La déferlante de questions avait de quoi faire rire je dois bien l'admettre, ce que l'homme ne se gêne pas de faire d'ailleurs. Je ne devrais pas le prendre mal et pourtant c'est ce qui arrive, ça me vexe ! Le pire, c'est qu'il garde son sourire comme si de rien était, mais bon, je décide de pas me montrer trop chiante ou immature en affichant la même expression que lui sur mon visage. Je sais bien qu'il ne se moque pas réellement de moi, qu'il fait ça pour détendre l'atmosphère après tout... Enfin, je crois. « J'espère bien oui ! » rétorquais-je en hochant la tête puisque s'il ne me répond pas, je repars aussitôt même si ça veut dire à pied, tant pis.

« Promis ? » lançais-je en le fixant avec un regard de chien battu. Oui, ce vélo j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux, c'est con, je l'admets, il suffit d'en retrouver un qui roule et l'affaire est réglée, du moins en théorie, parce que je m'en fiche de tous les autres, je veux celui-ci. Pour moi, il représente bien plus qu'un simple moyen de locomotion, il est le dernier souvenir en possession de mes sauveuses suite à la séparation subie avec mon frère. Sinon, forcément que si un beau jour je l'avais trouvé au coin d'une rue je m'en ficherais pas mal de devoir le laisser là-bas.

Kerwan continue de rouler, je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où il veut nous emmener, la seule chose dont je me doute est que c'est pour nous mettre à l'abri puisqu'il l'a lui même dit. J'ai un peu de mal à me réaliser que je me trouve dans une voiture en état de fonctionner avec comme conducteur un charmant homme ayant rencontré Nigel. Cette scène paraît tellement irréelle, ce n'est d'ailleurs pas pour rien que j'ai un peu de mal à me détendre. Non pas par rapport à sa conduite ou son comportement, là-dessus, il est irréprochable, mais comme ça doit bien faire facilement un an si ce n'est plus que je n'ai pas été à bord d'un véhicule, j'ai perdu l'habitude d'être en sécurité en me déplaçant.

Arrivés sur place, il me m'invite à quitter le siège passager et à entrer dans la petite bâtisse devant laquelle il s'est stationné. Impossible de nier qu'il est au petit oignon puisque le voilà en train de nous préparer de quoi manger, ce qui réjouit d'avance mon ventre qui exprime cette joie en communicant plutôt bruyamment. Tout semble si facile pour le brun qui agît comme si aucun danger n'était présent, ce qui en soi est le cas, mais l'assurance qu'il dégage est assez déconcertante. Puis, il commence à me parler de mon frère et d'un animal. « Ah ok, je vois, Monsieur m'a remplacé par un chien en fait ?! » lançais-je en mêlant un ton fait de plaisanterie et un peu d'offense pour être honnête tout en sachant pertinemment que non, il ne m'a pas au sens propre remplacé. « Au moins, ça lui fait de la compagnie, il n'est pas tout seul. » ajoutais-je en laissant un sourire se dessiner sur mon visage.

Prenant place à l'autre bout du sofa, je patiente pendant que le beau brun quitte la pièce. La chaleur sortant du réchaud se sent très bien, certes, comme chauffage d'appoint on fait mieux, mais ça donne presque l'impression de se retrouver au coin d'une cheminée sauf qu'à la place d'entendre le bois craquer sous l'effet des flammes, on entend l'eau bouillir. Mais Kerwan refit rapidement son apparition avec des couverts et des assiettes avant de parler une nouvelle fois de Nigel.

Peut-être s'en rend-il compte ou peut-être que non, mais rien que le fait de le savoir en vie me fait un bien fou tout comme d'apprendre à l'instant que je lui manque beaucoup. Oui, c'est évident, mais avec le temps il y a toujours la crainte de ne plus ressentir cela. « D'accord papa. » répondis-je d'une petite voix un brin amusée en ayant du mal à garder mon regard posé sur lui. « En tout cas, merci beaucoup, avec tout ça, je ne sais même plus si je t'ai remercié ou non. » dis-je en rougissant un peu de honte mais en gardant tout de même un petit sourire.

Attrapant l'assiette qu'il me tend, je lui dis encore une fois merci. « Je ne me rappelle pas de la dernière fois que j'ai pu manger chaud. Encore merci. » dis-je en posant l'assiette sur mes jambes. L'appel de la faim est bien trop fort, alors tant pis si je suis impolie mais je prends déjà une fourchette de pâtes en exprimant sans gêne le bonheur de la chose avec des petits gémissements. A peine les quelques pâtes avalées, je reprends involontairement mon interrogatoire « Vous êtes restés longtemps ensemble ? Tu disais que vous vous étiez séparés à cause des rôdeurs, mais t'es sûr qu'il va bien ? »

Je fais ma chieuse et capricieuse en disant que Dicky m’a remplacé par un chien même si je me doute que ce n’est pas le cas, c’est juste que ça fait bizarre en fait. Au moins, il ne voyage pas seul, pas comme moi et comme le dit si bien le beau brun, le chien protège. Ce n’est pas pour rien qu’on dit que cet animal est le meilleur ami de l’Homme hein, il sait se montrer fidèle, à l’écoute et peut, en fonction, même avoir le sens du sacrifice. Autant dire que c’est un sacré atout au final pour lui, ça lui fait de la compagnie aussi. Peut-être qu’il lui raconte ses écrits tiens, ou qu’il lui lit des livres d’autres auteurs. Rien que d’imaginer cette scène, ça me fait sourire. Il aurait un peu l’air d’un fou, en même temps, il y a de quoi le devenir de nos jours avec le temps.

C’est bon, mais c’est chaud. et pas qu’un peu ! C’est comme si ma bouche et mon corps tout entier n’était plus habitué à manger chaud, du coup, c’est étrangement bon et douloureux à la fois puisque les sensations se perdent. J’ai presque l’impression de me brûler alors qu’en fait non, ce n’est pas le cas. En tout cas, ça fait un bien fou et c’est drôlement bon. Quoi qu’il en soit, la nourriture bien que salvatrice n’était pas la chose essentielle de cette rencontre, oh non, Kerwan a rencontré Nigel, ça c’était le plus important. Cet aveu de sa part fut d’ailleurs la chose faisant basculer la balance en sa faveur, du moins, un argument de poids pour que je me décide à le suivre, alors on ne peut pas rester comme ça autour d’un bon repas sans en parler !

Avec mes nouvelles questions, Kerwan se montre sincère, enfin je pense, et y répond en tout cas. Je ne le quitte pas des yeux, même en continuant de manger mon assiette de pâtes. J’assimile chaque élément fourni car peut-être que ce qui peut ressembler à un détail pourrait éventuellement être un indice important. Ce n’est qu’une supposition bien évidemment, mais sait-on jamais. « Et ça va, il est en bonne santé ? Enfin, je veux dire, il n’était pas blessé, il ne boîte pas ou autre ? » demandais-je inquiète. La santé avant tout hein ! Pourtant, une autre question sort spontanément « Vous vous êtes séparés où et dans quelle direction est-il allé ? »

Mon ton est involontairement sec, je ne l’ai même pas remarqué d’ailleurs, c’est simplement l’excitation de me dire qu’enfin je tombe sur quelqu’un qui l’a rencontré. Ils ont passé du temps ensemble, deux ou trois jours, ce n’est pas rien, et en plus ce n’était pas il y a 6 mois. Donc forcément que tout cela m’intéresse et m’intrigue, que j’ai envie de tout savoir sur tout. La patience n’est pas mon fort pour certaines choses.

A son tour, Kerwan me pose une question. Il faut bien inverser les rôles par moment. M’essuyant la bouche en terminant ce que j’ai à l’intérieur, je le regarde avant d’y répondre à mon tour « Je ne fais pas confiance aux gens, surtout pas aux hommes. Ce n’est pas pour rien que je ne voulais pas te suivre au début. » commençais-je à expliquer en regardant ailleurs. Forcément je repense aux raisons pour lesquelles Nigel et moi avons été séparés et tout ce qui s’en est suivi ensuite durant ma captivité. Mais ça, je peux le garder uniquement pour moi et si un jour je devais en parler ce serait à mon frère, lui seul réussirait à trouver les mots, lui seul parviendrait d’une seule étreinte à m’apaiser un minium. « Peut-être que j’aurais pu trouver, mais je n’ai pas cherché, préférant partir dans mon coin ou alors en évitant au maximum les gens. C’est comme ça. » ajoutais-je en haussant les épaules avant d’afficher un petit sourire.