Il avait prononcé sa menace d’un air convaincu, même s’il s’agissait surtout d’une tentative désespérée pour obtenir les réponses qu’il désirait. En réalité, il n’avait pas réellement l’intention de la mettre à exécution. Déjà parce qu’il serait bien incapable de faire peur à qui que ce soit dans son état actuel. Mais surtout parce qu’il ne se serait jamais permis d’aller faire du mal à la petite sœur de Casey. Il ne la connaissait pas vraiment, n’avait pas d’avis sur elle, ni d’attaches particulières, mais il savait bien à quel point les deux sœurs étaient proches l’une de l’autre. Et il n’aurait rien fait qui puisse porter atteinte à la blonde en face de lui.

Mais justement, il avait décidé de réaliser cette fausse intimidation à cause de ce lien qui unissait les Summer. S’il y avait bien une chose qui pouvait faire réagir Casey, c’était qu’on s’en prenne à sa petite sœur. Takeo était donc prêt à subir la réaction de l’aînée, et avait bon espoir que cela permette de lui délier la langue. Mais il ne s’attendait certainement pas à ce qu’elle s’apprêtait à faire.

La blonde finit par se mettre en opposition entre lui et la porte, assurant que Maddie n’y était pour rien, que ses larmes n’étaient que le fruit d’un craquage d’ordre général. Et avant même que le japonais ne puisse lui répondre quoi que ce soit, elle l’attrapa doucement par la taille pour le retenir. Takeo écarquilla les yeux et resta surpris quelques instants. Ce geste de Casey, c’était sa façon de l’empêcher d’aller au bout de son idée, mais le jeune Shigeru ne pouvait pas s’empêcher d’y percevoir une certaine tendresse. Au final, peut-être ne voyait-il que ce qu’il voulait bien voir. Peut-être qu’il se faisait illusion, et qu’il n’y avait rien d’autre derrière cet acte qu’une volonté de le retenir. Toujours est-il que cette étreinte, qu’elle soit volontairement chaleureuse ou non, le rendit heureux, l’espace d’un instant.

Sans trop réfléchir, Takeo referma doucement la porte qu’il maintenait jusqu’ici entrouverte avec sa main droite. Puis à son tour, il enlaça Casey et la serra contre lui, ignorant la douleur de sa plaie. Il n’avait pas d’idées derrière la tête en faisant cela. Il n’avait pensé à rien. C’était venu naturellement. Lui-même ignorait pourquoi il semblait si touché par ce qui était en train de se passer. Sûrement parce que cela faisait très longtemps qu’il n’avait pas reçu de geste d’affection pur, qu’il n’avait pas eu le sentiment de compter pour quelqu’un.

La blonde ne s’en était sûrement pas rendu compte en l’étreignant ainsi, mais elle venait tout juste de le bouleverser complètement. Cependant, le japonais étant ce qu’il était, il ne fit pas durer cet accolade très longtemps. Gêné, il finit par s’écarter d’elle.

« C’est bon, c’est bon, j’irais pas… Tu peux me lâcher ! Tu sais que j’aime pas ça quand on me colle ! » râla t-il alors que c’était lui qui venait de prolonger ce moment. Il ne fallait pas le montrer pour autant.

« J’peux comprendre ta p’tite crise… » Takeo n’était pas du genre à extérioriser ce qu’il ressentait, ni à se laisser aller aux larmes. Mais c’était vrai, il pouvait comprendre. Ce nouveau monde, cette nouvelle vie, c’était énormément de choses à gérer, et il était normal de finir par perdre pied. Cela lui arrivait aussi, assez souvent. Sauf que chez lui, cela se manifestait plutôt par des crises de colères. Comme lorsqu’il éclata un tableau avec son flingue, quelques instants plus tôt dans la journée. Comme lorsqu’il avait failli frapper les sœurs Summer lors de ses premiers jours…

« J’suis pas dans ta tête, j’sais pas c’est quoi qui te manque ou qui te déçoit. Mais si t’as besoin…enfin tu sais… tu peux venir quoi. Quand tu veux. Enfin voilà. »

Comme à chaque fois qu’il cherchait à se montrer gentil, il se perdait dans ses mots à en devenir ridicule. Et comme à chaque fois, il terminait par une petite moquerie pour ne pas se montrer sous son véritable jour. En même temps qu’il lui parlait, il reculait, comme pour mettre de la distance entre eux.

« Ha ! Tu vois que c’était pas moi qui avais besoin d’aide ! Faut vraiment toujours s’occuper de toi, hein ! Un vrai béb … aaaarghh ! »

Sans qu’il ne puisse finir sa phrase, et à force de reculer sans regarder derrière lui, il se prit maladroitement les pieds dans la table basse et bascula en arrière. Il venait de s’éclater comme le dernier des imbéciles. Sous son T-Shirt, son pansement s’était apparemment arraché suite à la violence du mouvement et il était pris de vives douleurs. Il n’avait plus l’air de rien. Lui qui avait souhaité rompre le charme du moment, il n’aurait pas pu s’y prendre d’une meilleure manière !

Elle ne s’attendait pas à ce que ça se transforme en autre chose. Une étreinte. Ça en était une, elle avait conscience, mais… Il y avait plus. Son cœur s’accéléra doucement lorsqu’il referma ses bras sur elle pour la serrer contre lui. Comme si tout à coup, il se sentait soulager d’un poids. Comme s’il pouvait revivre sensiblement entre ses côtes. Elle huma son odeur comme pour s’en imprégner, en restant contre lui. Sans pouvoir s’empêcher de penser que c’était à la fois étrange et bizarrement logique. Elle avait ce sentiment que cet instant relevait de l’impossible, alors qu’il se réalisait tout contre elle. Combien de temps est-ce que ça dura ? Elle ne sut le dire. Mais elle ne manqua pas de sourire lorsqu’il se sépara précipitamment d’elle.

Les yeux toujours rougis par l’émotion, elle rigola cependant alors qu’il réalisait. Takeo s’était montré tendre avec elle. Comme si son immense carapace venait de se fissurer, qu’il s’en rendait compte, et qu’il cherchait à colmater les brèches, de peur qu’elle puisse y rentrer. Au fond, ce qu’il ne comprenait pas, c’était qu’elle y était déjà. Même si elle-même ne s’en rendait pas compte, elle se disait juste que ce type qu’elle ne pouvait pas blairer dans un premier temps n’était pas aussi détestable qu’elle ne l’avait pensé. Elle ne songeait plus à mal en le voyant, et n’avait aucune envie de le faire souffrir.

C’était ça qui comptait.

Casey enfonça ses mains dans ses poches. L’impression d’avoir toujours les yeux qui piquaient, d’être dans un sale état, elle haussa les épaules à la proposition de l’homme :

« Toi aussi tu peux venir. » Retoqua-t-elle avant de rire doucement. Elle lui rendait la pareille, et s’il la comprenait, alors ça voulait dire qu’il avait déjà vécu ce genre de moment de vide. « Quand tu veux. » Ajouta-t-elle avant de se rendre compte que ça pouvait ressembler à une proposition tout à fait différente de celle initiale. « Si tu pleures pas, je pleurerais probablement pour toi, ça compensera. » Se rattrapa-t-elle avant de rire.

Il recommença à la taquiner avant de basculer en arrière. Casey sursauta en le voyant faire, puis tenta de le rattraper. Elle eut à peine le temps de lui saisir le bras que le japonais se retrouva par terre à retenir un cri de douleur ! Il ne devait pas s’être arrangé…

« Merde ! » Laissa-t-elle échapper en venant se poser à côté de lui, pour vérifier qu’il n’avait rien. « Mais t’es con ou quoi ? » L’inquiétude parlait à sa place. Et elle ne voulait pas lui laisser le temps de se plaindre. Elle amena une main à son t-shirt pour le soulever, avant que Takeo ne tente de l’en empêcher : « Laisse-moi regarder. » Exigea-t-elle.

Le regard lourd que Casey lui lança ne lui laissa pas le choix. Elle n’eut aucun mal à voir que son pansement s’était arraché, et que ça recommençait à saigner un petit peu. Pas grand-chose de grave, mais il avait dû quand même douiller comme il fallait. Pinçant les lèvres, elle soupira :

« Je vais demander à un médecin de passer te voir. » Fit-elle en venant le manipuler sans même attendre son avis. Elle passa son bras autour de ses épaules, et le souleva pour le remettre sur ses jambes. « Appuie toi sur moi s’il le faut. » Suggéra-t-elle ensuite en le tenant par la taille. « Tu restes tranquille jusqu’à ce soir, ok ? » Elle le fixa un moment. « Je te ramène à ta chambre, et je t’interdis d’y bouger, sinon… »

Elle le mit en route, sans lui laisser le choix.

« Sinon, je préfère même pas te dire ce qu’il va t’arriver, mais c’est à base de ceinture de cuir et de menottes. » Plaisanta-t-elle avec un grand sourire.