Je reprenais doucement ma respiration, quand la lumière de sa lampe vint m’aveugler, et sans que je n’aie eu le temps de réagir, Caroline m’arracha ma flasque des mains, serrant le poing sous l’énervement, je me tournai, le visage crispé pour lui demander d’une voix tremblante :

« Rends-la-moi… »

M’ignorant complètement, elle l’ouvrit pour en sentir le contenu avant que je ne lui reprenne des mains. Pour qui elle se prenait celle-là ? Ignorant sa main tendue et sa requête, je repris la marche le long du sentier. Mais elle a l’air tenace, et pas décidée à me lâcher, elle m’emboita le pas, me déversant une compassion moralisatrice comme on avait pu m’en servir plusieurs fois par le passé. Une petite voix dans ma tête me disait cependant qu’elle avait raison, du moins, sur un point. J’étais de garde, et je ne devrais pas boire en même temps.

Alors qu’elle finissait son discours, je m’arrêtais brusquement, je la sentis manquer de me rentrer dedans derrière moi, je me retournai lentement, la regardant pour la première fois dans les yeux :

« J’ai ptêtre juste besoin que le temps s’arrête. Le monde était déjà bien merdique avant ça. Il l’est encore plus maintenant, alors ouai, ça ne résous rien, j’en suis conscient, bravo, tu as compris ça. Je ne veux rien résoudre. Y’a plus rien à résoudre de toute façon. On passe notre temps à perdre plus qu’on ne peut donner. Ouai, je bois, pour oublier un moment que la réalité est pire que dans n’importe quelle fiction qu’on a pu voir à la télé ou une autre de ces conneries qu’on verra plus jamais, ni toi ni moi. »

Reprenant mon souffle et reculant de quelques pas, je détournai le regard vers les ténèbres de la nuit, avant d’ajouter, à contrecœur :

« Tu as raison sur… Ce n’est pas le moment. Pour ça »

J’en étais bien conscient. Mes précédentes péripéties m’avaient prouvé que devoir et alcool ne faisait pas bon ménage, mais bien trop souvent, je me laissais emporter par mes émotions, et la seule chose qui les calmaient depuis bien longtemps, c’est ce putain d’alcool.

Troublé, je me retournais à nouveau, en direction du sentier, passant nerveusement ma main dans mes cheveux.

T.H.

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Spoiler:

Il s’arrêta, énervé. Il y avait de quoi, elle l’avait pris sur le fait. Comme un gamin qui essayait de prendre de la drogue. Mais elle l’y avait poussé. Franchement, c’était la première fois qu’elle avait affaire à un personnage pareil. Quarante ballais et déjà il faisait la loi. Ici ça ne passera pas. Caroline se crut fautive mais il était de sa responsabilité à lui de ne pas prendre d’alcool dans son sac.

De colère, il la fixa en déballant son sac. Ok elle avait bien compris. Thomas se soignait à l’alcool. C’était devenu un besoin, une drogue. Mais pour la vétérinaire s’en était trop. C’est comme si cet homme en face d’elle voulait en finir avec la vie. Mais si c’était le cas, il n’aurait pas intégré le camp. Etait-il venu dans le but d’avoir une vie ou d’en reconstruire une ? Etait-il venu dans le but unique d’être en sécurité tout en consommant ? Caroline cru à la première option mais le plus simple serait de le lui demander. De toute façon, au point où ils en étaient … La soirée avait bien commencé.

La trentenaire écouta chaque mot. Il se détourna d’elle pour enfin avouer qu’il avait commis une faute. Mais c’était très peu pour elle. Ils étaient des adultes, des personnes responsables alors il faut assumer. Il n’était pas fier, les signes trompaient pas. Il fuyait son regard. Mais elle le rattrapa « Si tu crois que je vais te laisser tranquille … » et passa devant lui. « Comme tu l’as dit on a tous perdu quelqu’un. Est-ce que tu nous vois boire tous les jours au point de vouloir oublier sans jamais avancer ? Non. Je te signale que la plupart d’entre nous viennent d’un camp qui a brûlé il y a trois mois. Certains ont perdus famille et amis. On s’en sort parce qu’on se serre les coudes. » Elle recula de quelques pas. « Ici on t’a accueilli, s’ils découvrent que tu bois, ils ne vont pas te lâcher ou … ce sera l’inverse ».

A ce stade, vraiment que pouvait-elle faire de plus ? Elle découvrait peu à peu Thomas. Typique de l’homme qui n’en a rien à faire des autres, qui était marqué par la vie. Elle devait obtempérer, qu’elle baisse les armes et qu’au lieu de le sermonner, elle comprenne vraiment pourquoi il faisait ça ? Mais il devait faire attention. Si Carmen découvrait qu’il buvait et que l’alcool était son medoc, c’était mauvais pour lui et pour son avenir au camp.

Alors elle osa lui poser la question "Pourquoi tu as intégré le camp ?"

Je soupirai en la voyant me rattraper pour me passer devant, m’imposant à nouveau ses phrases réprobatrices. Je sais très bien qu’elle a raison, mais je ne l’admettrai pas. Enfin, pas tout de suite, ou du moins, pas directement. Elle essayait de me comprendre, mais je n’étais pas sûr de me comprendre moi-même, n’ayant qu’une faible estime de ma personne. La boisson est le refuge dans lequel je me terre pour échapper à ma propre médiocrité et chacun de ses mots me rappelèrent les erreurs que cette drogue avait pu me faire commettre.

Lorsqu’elle me demanda finalement la raison de ma venue, je fus décontenancé… J’ouvris la bouche une première fois, ne sachant comment le dire, pris une grande inspiration avant de commencer :

« Après… L’hiver, après le… Ce qui lui est arrivé, je suis resté seul un bout moment. Plusieurs mois je crois, je ne suis plus sûr, j’ai vite perdu le compte. Je pensais en avoir assez des humains, de tout ce… De tout ce qu’ils pouvaient faire… »

L’image du corps de mon compagnon me revient en tête, je secouai la tête comme pour en chasser l’image avant de reprendre :

« Chaque matin, je me levai, et les premiers visages que je croisais, c’était ceux de ces putains de cadavres, ils furent ma seule compagnie pendant je ne sais combien de temps. J’ai cru que j’allais devenir fou à force de ne me parler qu’à moi-même. J’ai même hésité à aller en attraper un et le trimballer pour lui parler, mais je n’aurais jamais pu me faire à l’odeur… Je… Je ne pouvais plus rester comme ça, je… Cette solitude, c’est pire que tout. Plus jamais ça… Non, plus jamais ça… »

Recommençant à marcher le long du sentier, je m’arrêtais au bout de quelques mètres, je me retournai vers Caroline :

« Même si on ne fait que s’engueuler depuis tout à l’heure, j’ai plus parlé avec toi en une demi-heure qu’avec personne en six mois. Du coup, ça vaut ce que ça vaut venant de ma part, mais… Merci. »

Fouillant a nouveau dans mon sac, je sortis ma flasque à nouveau, la regardant d’un sourire las avant de lui tendre, mon bras tremblant, mon visage incertain :

« Vas-y. Tu peux aller le dire aux autres, si tu le veux. Ou pas. Tu arriveras pas à m'empêcher de boire, mais... Je... Je peux essayer de... Me "réguler".»

T.H.

Elle souhaitait savoir. Ça pouvait paraitre tordue comme question mais le sens en était tout autre. Pourquoi après avoir vécu longtemps dehors il souhaitait rester au camp. Elle avait croisé une personne à l’extérieur une fois. Un sacré personnage avec un sacré caractère. Il lui en avait fait voir de toute les couleurs. Il avoua vouloir rester dehors. Une histoire de mission à accomplir. D’enfants à retrouver … Bien entendu, Caro ignorait si ses parents étaient morts ou … infectés. Bien sûr que s’il en était autrement, elle aurait sillonné Seattle et Covington pour pouvoir les retrouver.

Caroline serait-elle prête à retourner dehors ? Ce n’était pas sûr. Elle s’était attachée à beaucoup de personnes ici. Des hommes et femmes qu’elle ne voulait pas perdre. De tous les quitter … Non c’était inimaginable un truc pareil. Elle se rendait utile pour le camp, elle avait trouvé une vraie utilité ici. C’était rassurant de se réveiller entouré. De voir des sourires sur les visages, de voir des enfants courir. De voir des couples évoluer, impatient d’agrandir leur famille. Ça existait. C’était leur bulle, un lieu plein de vie. Si Thomas pouvait découvrir ça. Et pourtant c’était sous ses yeux. Il devait juste les ouvrir.

Etonnée, elle écouta sa réponse les bras croisés un peu décontenancé par ce qu’il disait. Elle se souvint de chaque jour, rencontrer un ou plusieurs rôdeurs. C’était l’action de la journée, c’était les seuls visages qu’elle voyait … Alors Caro pouvait comprendre ce qu’il ressentait. Il la dépassa continua sur le sentier mais elle se retourna simplement, cherchant ses mots avant de lui emboîter le pas, mais il le fit pour elle. Elle leva sa tête au ciel, signe de gêne et dénoua ses bras. « Ecoute, je ne voulais pas te mettre dans l’embarra » Elle souffla et remis une mèche en place.

Thomas fouilla dans son sac et lui tend le flacon. Elle le remercia avant de le prendre. Il se détourna mais la trentenaire rajouta « Je ne dirais rien pour ce soir » Elle leva les yeux sur lui « Mais je te conseille de faire attention au camp ». Elle le rattrapa en mettant la flasque dans son sac. « Et bienvenue donc » salua-t-elle avec un sourire. « Et si tu veux bien on continue sans parler du passé ». C'était le deal pour la suite de la ronde.

D’une certaine façon, j’étais heureux d’avoir eu cette discussion, même si cette femme, plus coriace qu’elle en avait l’air, m’avait tenu tête sans sourciller. Une personne étonnante, je dois l’avouer. Enervante même, mais à raison. Ça devait être sa façon d’essayer de m’aider, quand bien même je ne faisais rien pour lui faciliter la tâche. Je devrais arrêter de repousser les personnes qui tentent de faire un pas vers moi, sinon tout mon voyage aura été vain, et j’aurais mieux fait de me laisser mourir. J’avais pu, d’une certaine manière, me décharger d’une petite partie du fardeau que j’avais l’impression de porter, je me sentais plus léger, voir curieux de voir ce qui donnait tant à la trentenaire cette envie farouche de vivre.

Tournant la tête vers Caroline alors qu’elle me rattrapait, j’écoutai ses quelques mots, soulagé qu’elle n’aille pas dévoiler ma tare à l’ensemble du ranch. Lui rendant la moitié d’un sourire, je répondis, gêné, bégayant presque :

« Me… Merci. Je… Oui, je pense que… que c’est mieux. »

Nous avons alors repris notre ronde, plus tranquillement. Laissant quelques minutes de silence s’écouler, le temps de prendre un peu de temps pour réfléchir à ce que je pourrais dire pour relancer une discussion un peu plus saine, j’observais les alentour. La végétation semblait s’éclaircir, laissant les rayons de la lune transparaitre à travers les branches, un spectacle à la fois superbe et mystérieux. Je me surpris alors à fredonner doucement une des mélodies que j’avais composé il y a bien longtemps, avant de m’arrêter soudainement, gêné de me donner ainsi en spectacle.

Comme si de rien n’étais, je décidai de faire un pas vers elle, et tenta une nouvelle conversation :

« C’est très tranquille ici. Vous avez choisi un bel endroit »

Avant de me mordre les lèvres, affligés de sortir une telle banalité.

« Enfin, c’est isolé aussi, c’est pratique. Ça évite d’avoir trop de mauvaises surprises. »

Guère mieux. Je suis vraiment pas doué pour les conversations.

T.H.

En fin de compte, ce n’était pas un homme si sauvage que ça. Lorsque les nouveaux arrivaient il était difficile de leur faire confiance. Le doute s’installait et la plupart observaient. C’était normal. Le camp du ranch avait accepté le reste du groupe Evergreen lors de leur arrivé et leur avait permis de rester 24h avant de leur annoncer la bonne nouvelle : qu’ils pouvaient rester à condition de les aider. Bien volontiers ! Le groupe s’était agrandit et forcément ils manquaient en matériel, vivres etc … Tous mettaient la main à la patte. Et aujourd’hui, une certaine routine s’installait et le rythme était tout aussi dynamique qu’au début.

Caroline apercevait un sourire de la part de Thomas, ils pouvaient donc continuer leur ronde tranquillement sans pour autant se préoccuper de ce qui venait de se passer. La trentenaire garda néanmoins un œil sur lui. Elle ne voulait pas non plus le mettre mal à l’aise. Il avait baissé les armes. Une petite victoire en cette nuit. Et heureusement pour elle, elle n’était pas du tout fatiguée.

Ils marchèrent pendant un petit moment sans vraiment parler. Caro évitait de le laisser derrière, lui montrant les pièges à éviter. Et ils allaient bientôt devoir sauter un fossé. Le même que celui dans lequel elle avait failli tomber la dernière fois. Pour ça elle avait bien retenu le passage ! Elle entendit Thomas lui parler de l’endroit. Son visage caché par les cheveux, elle sourit discrètement. « C’est pas vraiment un endroit que notre groupe a choisi mais c’est vrai qu’on ne pouvait pas mieux tomber. Il y a de l’espace, des cultures, on est bien caché, il y a de beaux couchers de soleil et un lac pas très loin. Et je t’avouerais que c’est rare de tomber sur des rodeurs. Mais il y en a toujours un qui se perd. » annonça-t-elle dans la nuit.

« Et sinon pour te défendre tu utilises quoi ou du moins, c’est quoi tes techniques ? » Caro bien entendu restait une curieuse avant tout et puis, elle voulait savoir comment il s’organisait sur le terrain.

Au bout de quelques minutes, la vétérinaire éclaira le sol « Attention va falloir sauter » elle prit un peu d’élan pour bondir et atterrir de l’autre côté. « A toi » dit-elle en éclairant le fossé devant Thomas.

Notre ronde continuait donc, plus sereinement, je restai attentif aux différents obstacles que Caroline me pointait fréquemment du doigt. Ils avaient l’air préparé, quand bien même le lieu ne semblait pas attirer les rodeurs. Ce qui est étonnant, ces bestioles semblaient avoir un sixième sens pour repérer les vivants, où qu’ils soient. Mais aussi étonnant qu’il soit, ce répit était la bienvenue, j’allais pouvoir me poser un peu, reprendre mon souffle, et on verra après.

Ecoutant sa réponse à mes quelques phrases, je me disais alors qu’il faudrait que j’aille faire un tour près de ce lac avec ma guitare, histoire de me poser un peu. Qui sais, j’aurais peut-être un peu d’inspiration, et je pourrais enfin m’en resservir un peu, après bientôt un an. Dans la nature, seul, il est plutôt malavisé de se laisser aller à faire de la musique.

« Tant que ce n’est que quelques-uns et pas une horde… »

Lorsqu’elle me demanda ma façon de me défendre, je répondis, sans hésiter :

« Un tournevis. Ça se plante facilement, ça se retire facilement, ça reste rarement coincé dans un crâne. Pas d’armes à feu, trop bruyant, chaque coup tiré en attire plusieurs autres. A utiliser en ultime recours je pense. Sinon, mes techniques, je n’en ai pas vraiment. Utiliser n’importe quel objet qui me passe sous la main, c’est une technique ? Et toi ? Comment tu t’en sors ?»

Je me demandais quelles capacités cette femme avait développé pour pouvoir survivre. Elle avait surmonté des épreuves, c’était certain, elle devait donc avoir une certaine expérience du terrain, elle n’avait pas l’air d’être du genre à rester au chaud à attendre que d’autres lui ramènent ce dont elle avait besoin.

Arrivant devant le fossé, je la regardais s’élancer pour le franchir avant qu’elle m’invite à faire de même. M’approchant du rebord, je jetais un œil au fond de la fosse, pour en estimer la profondeur. Je reculai de quelques à mon tour et couru sur quelques pas pour finalement sauter et atterrir lourdement de l’autre côté, me laissant presque emporter par mon poids, mon genou se pliant sous l’impact et venant toucher terre. Je me relevai doucement, comme si de rien n’étais avant de reprendre la marche le long du sentier, la jeune femme m’emboitant le pas.

« Et, tu fais souvent des sorties ? »

Dit-je, suivant son exemple. Autant parler du quotidien que l’on avait à présent aujourd’hui.

T.H.

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