Lundi, 10 Avril 2017
Quartier de Queen Anne
Seattle

« Allez buddy, on avance » avait lancé le Mainois à l'adresse de son compagnon à quatre pattes occupé à analyser un coin de la rue de son flair. Depuis quelques jours, tous deux traînaient un peu la patte dans ce quartier, ne se posant que la nuit pour récupérer un peu de repos dans un lieu que l'homme nettoyait au préalable de tout errant. Une routine pas franchement excitante mais c'était ainsi depuis des mois. Depuis qu'il avait perdu Hannah et que son quotidien avait perdu toute sa saveur, qu'il n'avait plus de repère. Les choses étaient encore pires depuis qu'il s'était fait à la conclusion qu'il ne la retrouverait jamais, qu'elle devait être morte, parce-qu'il n'avait plus le moindre objectif, ne savait même pas pourquoi il continuait à avancer et pourtant, il devait rester en lui une certaine volonté de ne pas se laisser tomber.

Après avoir rencontré Isiah près de deux semaines auparavant, l'écrivain n'avait pas recroisé d'autre vivant, ou en tous cas les avait évités comme la peste, jugeant plus prudent de rester seul s'il en avait la possibilité ; et quand on voyait ce dont certains étaient capable, sa décision ne pouvait qu'être la meilleure. Qui sait ce qui pourrait encore arrivé ? On lui avait arraché sa sœur en le laissant pour mort sur un carrelage froid, ils pouvaient très bien lui prendre Marvin désormais ; certains ne rechignaient devant rien pour avoir de quoi se remplir la panse. Cette idée le fit secouer la tête alors que le canidé arriva vers lui en trottinant doucement. S'accroupissant pour se mettre à sa hauteur, Nigel glissa ses doigts dans son pelage et déposa son front contre celui de l'animal en soupirant. « Tu es fatigué hein ? » avait-il soufflé à son compagnon, se faisant peu à peu à l'idée qu'ils devraient peut-être lever le pied pour aujourd'hui et se poser quelque part.

Le canidé se recula soudainement en se mettant à grogner et Nigel comprit. Une nouvelle fois, son côté bien trop tête-en-l'air ne lui avait pas permis de faire attention à tout ce qui les entourait. Il ne lui fallut pas longtemps pour remarquer l'errant qui s'approchait d'un air franchement intéressé par leur présence. Faisant une moue un peu contrariée, il attrapa dans la sangle de son sac son piolet et s'avança vers le rôdeur sans s'attarder plus sur la contemplation de ce qu'il pouvait être avant, le mettant rapidement hors d'état de nuire. Cela fait, il jeta un coup d’œil aux alentours et cet endroit qui semblait pourtant relativement calme n'en n'avait d'un seul coup plus vraiment l'air. Recalant son sac sur ses épaules, il reporta son attention sur le bouvier à nouveau un peu plus calme. « On va trouver un parc tranquille et y rester un peu. » Sans doute que l'animal ne comprenait pas la moitié de ce qu'il avançait mais qu'importait, au moins il n'avait pas le sentiment de se parler à lui-même et ainsi de perdre la tête. Se donner l'illusion d'avoir quelqu'un avec qui discuter, quelqu'un à qui il pouvait tout dire et avec qui il se sentait moins seul ; maintenant que le temps était passé, Marvin n'était plus du tout méfiant à son égard et tous deux avaient acquis une réelle complicité.

Flattant rapidement la tête de son compagnon l'écrivain se remit en route, évitant soigneusement les endroits d'où semblaient provenir des râles. Après une bonne dizaine de minutes de marche, il remarqua un petit parc devant eux. Aucune silhouette à l'horizon, pour l'instant. Poussant le petit portillon pour y entrer, Nigel alla jusqu'au centre où il trouva un banc, quelques buissons autour et ce qui devait servir d'air de jeu pour les enfants. « Ne t'éloigne pas trop » avait-il lancé au chien alors qu'il s'asseyait sur le dossier du banc, déposant son sac à ses pieds. Il ne retint pas un léger frisson malgré la veste d'hiver qu'il portait toujours, frottant ses mains ensemble afin de les réchauffer un peu ; il fallait dire que les mitaines qu'il portait n'aidaient pas vraiment. Se penchant légèrement, le trentenaire ouvrit son sac à la recherche d'une occupation. Il déposa ses doigts sur le manuscrit de son roman, soupirant bruyamment. Depuis quand n'y avait-il rien ajouté ? Il semblait qu'il était finalement atteint par ce foutu syndrome de la page blanche, sachant pertinemment qu'il ne parviendrait qu'à écrire sur le monde actuel et pourtant il ne pouvait se résigner à laisser ce qu'il avait écrit avant que le monde ne tombe derrière lui. Lâchant finalement l'idée d'essayer, il se contenta de sortir le livre qu'il avait dégoté dans une maison quelques jours auparavant, se mettant à sa lecture sans réellement s'y concentrer, sachant que Marvin resterait suffisamment proche pour l'alerter en cas de problème.

La discussion qu'il avait eue avec le leader l'avait fait réfléchir, la dispute avec Morgan aussi. Kyle ne pouvait pas se laisser abattre, il le savait. Être ici était sa meilleure chance de survivre au final, en dépit des personnes qui s'y trouver. Et puis, ce n'était pas si mal que ça. Kurtis l'avait abandonné comme un moins que rien. Il se disait qu'il le retrouverait peut-être un jour, mais il n'en avait pas envie. Il n'avait envie de rien en fait, il était trop absorbé par ses pensées, par les paroles de Zack aussi, par tout et n'importe quoi en fait. Le meilleur moyen de réfléchir ? Sortir, partir, rester seul. Neil lui avait demandé d'aller chercher des graines pour le champ, il pouvait bien faire ça, puis il avait le droit de sortir, de s'enfuir même. Il ne le ferait pas, parce que les paroles du blond résonnaient encore dans sa tête et même si un doute persistait, encore et toujours, parce qu'il était compliqué et que le monde dans lequel ils étaient l'été encore plus. Attrapant son sac et son couteau, il sortit, gardant son gilet sur ses épaules. Malgré tout, il ne faisait pas chaud pour le moment. Il se dirigea vers le phare pour prendre une arme, un simple pistolet. Autant être prudent, il ne reviendrait peut-être que tard. Prendre une arme, c'était un peu un gage de confiance de sa part. Stew était assez intelligent pour savoir que le journaliste n'était pas un voleur, si une arme n'était pas là, c'était qu'il ne partirait pas.

Ne croisant personne, Kyle regarda le ciel. Il était tôt. Il avait le temps d'aller un peu en ville, faire du repérage peut-être et surtout récupérer quelque chose d'utile. Les graines, ça n'allait pas être le plus simple à trouver. Remarquant qu'il avait oublié quelque chose, il fonça dans sa chambre pour prendre son carnet avant de sortir et d'engager une longue marche. Croisant quelques morts, il les élimina assez facilement. Ses sorties lui avaient permis de mieux s'orienter en ville sans spécialement avoir besoin de carte, même s'il lui arrivait de se perdre, parfois. Le fait de vivre ici depuis qu'il était petit aidait aussi énormément. Puis, c'était un chemin qu'il avait pris plus d'une fois lors de ses fuites, celles qu'il n'avait jamais signalées à son groupe. En y pensait, il se disait qu'il en avait fait des coups foireux. Pas étonnant que le leader l'ait chopé. Il s'était éloigné de nombreuses fois, trop loin souvent même. Par exemple, quand il avait dormi avec Kurtis.

Il avait un peu l'impression que cette escapade qu'il s'offrait était un moyen de se remémorer ces souvenirs, tous plus ou moins récents. Oui, il avait compris les paroles de Zack, il les avait considérés et heureusement d'ailleurs. Il avait juste encore besoin de réfléchir une dernière fois, il voulait être sûr. Peser le pour et le contre, même s'il y avait plus de "pour" que de "contre" et donc que le choix était vite fait. Cette sortie, seul, sans avoir prévenu personne, c'était un peu un moyen de dire adieu à toutes les fois où il avait fui le groupe et le phare. Bizarrement, la conversation qu'il avait eue ne lui donnait plus envie de faire ça sans raison. Là, il avait un but. Il n'allait plus quelque part sans raison, en errant, comme un de ces morts. Même si sa sortie ne se révélait pas fructueuse, au moins il était sûr qu'il y serait aller avec un objectif. Puis, Zack lui avait bien fait comprendre, le groupe était une sorte de foyer. C'était un endroit dont il avait besoin, en dépit de ne pas retrouver sa famille. S'ils étaient encore vivants...

Après au moins deux bonnes heures de marche, des magasins visités et seulement une boîte de punaise trouver, Kyle avait l'impression de tourner en rond. Pas de graine pour le moment, c'en était épuisant et en plus de ça il n'avait pas vraiment prit le temps pour se poser. Arrivant dans un parc, se disant qu'il était peut-être un peu trop loin du phare, il pris la décision de repartir une fois un peu plus reposé. Il prit sa bouteille d'eau, presque vide. Super. Il en but une petite gorgée. Au moins, il n'avait pas croisé autant de morts que ça, ce n'était pas plus mal. Quand il se releva, resserrant les bretelles de son sac à dos, il planta son regard sur un animal au loin. C'était un chien, magnifique. Kyle resta sur ses gardes. Un chien sauvage ce n'était jamais bon signe, du moins c'est ce qu'il croyait, celui-ci avait l'air inoffensif.

«Salut toi !» lança-t-il doucement. Il avait toujours aimé les animaux mais depuis l'apocalypse il les craignait un peu. Déjà, beaucoup d'animaux n'avaient sûrement pas survécu et ceux qui avaient réussi cet exploit devaient probablement être redevenus sauvage à cause du manque de nourriture et d'attention. Il s'approcha légèrement, un léger sourire plaquer sur les lèvres. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas vu d'animaux. Sauf qu'il sursauta au moment où le chien aboya.

Toujours assis sur le dossier du banc, un livre dans les mains, le Mainois ne se formalisait pas de la température relativement basse qui enveloppait encore la ville ; il était suffisamment habillé et, de toute façon, les journées fraîches étaient bien plus supportables que les nuits à grelotter dans des baraques au plancher grinçant, le tout agrémenté d'un silence simplement rompu par quelques râles portés par le vent. Parfois le brun pouvait clairement se croire seul au monde, seul survivant sur une terre en ruine où tout était à reconstruire, mais la réalité revenait bien rapidement et, si le danger ne venait pas toujours des vivants qui se faisaient sans doute de moins en moins nombreux, les errants rappelaient sans cesse l'environnement hostile dans lequel Nigel évoluait désormais accompagné de Marvin. Heureusement qu'il avait croisé la route du canidé d'ailleurs sinon il n'aurait pas donné cher de sa santé mentale, quoi qu'elle était déjà devenue relativement bancale à se donner l'illusion de ne pas parler seul parce-qu'il parlait au bouvier qui ne devait pas y comprendre grand chose par moments.

Il ne fallut pas longtemps à l'écrivain pour qu'il se perde dans ce qu'il lisait, oubliant presque ce qu'il y avait autour. Une nouvelle fois, son côté bien trop distrait mettait réellement sa vie en danger et, s'il était plus ou moins conscient qu'il ne pourrait se reposer sur l'attention de Marvin dans toutes les situations et à chaque instant, il ne pouvait s'empêcher de considérer la présence du canidé comme un gage de sécurité. Il lui avait déjà sauvé la mise à de nombreuses reprises, et le ferait sans doute encore parce-que c'était comme ça qu'ils fonctionnaient depuis qu'il s'était mis à suivre l'homme, mais un jour viendrait forcément où il ne l'avertirait que trop tard et où la situation serait déjà trop catastrophique pour qu'ils puissent s'en tirer. Le Mainois avait pourtant tendance à voir le verre à moitié plein, se persuadant qu'il y aurait toujours une issue, toujours un petit quelque chose qui lui permettrait de se dépatouiller dans une situation critique, même s'il n'avait désormais plus aucune vraie raison de continuer à avancer.

Tournant une page du roman qu'il tenait entre ses doigts pour s'apprêter à commencer un nouveau chapitre, les aboiement de Marvin le tirèrent de son occupation peu prudente. Il jeta sans autre forme de procès le livre sur le banc, récupéra son piolet et sauta au sol se mettant immédiatement en route vers l'endroit d'où provenaient les bruits. « Marvin ! » avait-il lancé à son compagnon à quatre pattes afin que celui-ci prenne conscience qu'il était là et stoppe ses aboiements ; s'il continuait, il attireraient trop d'errants et cela le chien en avait bien conscience, ce n'était qu'une alerte pour appeler son maître, une fois chose faite, il s'arrêtait, se contentant généralement de grogner si le danger était toujours présent. Et c'était précisément ce qu'il fit quand enfin Nigel arriva à sa hauteur. Les oreilles en arrière, le poil hérissé, la tête baissée, le chien reculait doucement vers lui, ne quittant pas des yeux l'homme qui se trouvait en face. À l'instar de l'écrivain qui s'était figé à une distance raisonnable.

Pourquoi fallait-il toujours qu'il tombe sur un vivant ? Et en plus il n'avait toujours pas retrouvé d'arme à feu, si l'autre en avait une et le braquait... il ne serait rien foutu de faire d'autre que de détaler en espérant qu'il ne sache pas viser. Ayant resserré ses doigts autour du manche de son arme, il ne faisait plus un geste, attendant que le chien soit suffisamment proche de lui et donc loin de l'inconnu. Ledit inconnu n'avait d'ailleurs pas l'air aussi menaçant que cela, il ne semblait du moins pas avoir au fond de son regard cette lueur de folie que le plus âgé avait déjà aperçu à de nombreuses reprises chez ceux qu'il croisait, mais il n'empêchait qu'un vivant était une menace à ses yeux et qu'il restait sur la défensive. « Le chien ne vous fera rien si vous ne tentez rien. Et moi non plus » avait-il lancé sur un ton franchement tendu, n'émettant toutefois aucun geste brusque. Si l'autre le laissait partir ou partait lui-même, il en ferait de même et tout rentrerait dans l'ordre. Restait plus qu'à espérer qu'il ne tenterait pas quoi que ce soit...

Il avait été particulièrement surpris par l'aboiement du chien. Déjà qu'il avait eu un peu peur en le voyant à cause des pensées qu'il avait des animaux depuis le début de l'apocalypse, mais là. Il se reculait légèrement, une boule au ventre, son rythme cardiaque ayant considérablement augmenté. L'aboiement était fort et il risquait de réveiller les morts alentour, surtout qu'ils étaient en plein dans la ville. Kyle n'arrivait même pas à s'imaginer le nombre de cadavres putrides qui devaient marcher dans les bâtiments et les rues. Le fait qu'il n'en est pas beaucoup croisé ne voulait pas dire qu'il n'y en avait pas. Ils étaient toujours là de toute façon, prêts à sauter sur les vivants sans même qu'il s'y attende, le brun ne le savait que trop bien. Il avait perdu Allan comme ça et il lui arrivait de revoir parfois les images. Il ne se serait jamais attendu à le perdre aussi rapidement et pourtant c'était la réalité de ce nouveau monde auquel il n'arrivait toujours pas à se faire. Même si bien sûr les choses avaient plus ou moins changé ces derniers temps.

Levant les bras en direction du chien, il regarda de chaque côté, histoire d'être sûr qu'aucun mort n'arrive, mais il fixait surtout le chien qui, même s'il n'avait pas l'air méchant, l'inquiétait légèrement. «Tais-toi ! Tais-toi !» avait déclarait l'ancien journaliste en gardant un ton assez bas. Mais le chien n'avait clairement pas l'air de l'écouter, il s'en foutait complètement. Ces animaux avaient beau être intelligent, ils ne devaient clairement pas avoir conscience du monde hostile dans lequel ils vivaient désormais. Jusqu'à ce qu'il entende une voix, bien humaine cette fois-ci, ce qui ne le rassurait pas pour autant. Les yeux écarquillés, il avait relevé le visage vers ce type qui venait d'arriver. Un survivant, armé et probablement propriétaire de l'animal, ce qui pouvait explique pourquoi il n'avait pas sauté sur Kyle, il était apprivoisé, il n'était pas revenu à l'état sauvage comme probablement les trois quarts des autres animaux encore vivants sur terre.

Les mains toujours en l'air, histoire de montrer qu'il ne ferait rien, Kyle était légèrement inquiet. Ce n'était pas la première fois qu'il tombait sur un inconnu mais là il était accompagné d'un animal et en plus de ça il ne semblait pas très commode. Acquiesçant aux propos du brun en face, il prit une longue inspiration, discrètement, essayant de se calmer, de ne pas avoir trop peur. Il fallait qu'il prenne sur lui. «Je vois pas pourquoi je tenterais quoi que ce soit.» avait-il répondu avec une petite voix avant d'entendre quelques grognements. Des morts, pas étonnant avec le boucan qu'avait fait le chien. Kyle tourna rapidement les yeux, il y en avait un qui approchait de lui alors qu'un autre se trouvait beaucoup plus loin. Il en avait aperçu un derrière le type. Sortant son couteau il n'avait pas réfléchi une seule seconde avant d'éliminer le mort, un peu stressé à l'idée que l'inconnu soit derrière lui. Après tout, il ne savait jamais à qui il avait affaire.

Se retournant vers le brun, il le fixa. «Je propose de déguerpir avant qu'il y en ait trop.» avait-il dit avant de finalement regarder tout autour de lui pour voir s'il n'y avait pas de danger imminent.

Toisant toujours le type en face de lui, Nigel gardait son piolet bien en main, prêt à réagir au moins faux mouvement ; attaquer ou fuir. La seconde option serait la plus envisageable. La plus lâche, certes, mais si l'autre avait une arme à feu le Mainois n'allait certainement pas prendre le risque de jouer au téméraire. Quoi que l'inconnu ne semblait pas spécialement dangereux au premier abord, les mains levées de la sorte, il semblait même un peu apeuré. En témoignait d'ailleurs sa petite voix lorsqu'il annonça qu'il ne tenterait rien, mais il en fallait plus à l'écrivain pour qu'il se calme. Après tout, n'y avait-il pas de ces gens qui savent mentir à la perfection ? Des manipulateurs sans âme qui n'avaient pas le moindre scrupule à faire tomber leurs pairs dans leurs filets ? Il y en avait, et de part ce fait, la confiance n'était clairement pas de la partie.

Un autre danger pointa cependant le bout de son nez, un danger bien plus connu et imminent : les errants. Et en un temps quasi record ils arrivèrent jusqu'à eux ; les premiers du moins, d'autres suivaient, un peu plus loin. La situation n'était donc plus vraiment adéquat pour se toiser ainsi en chiens de faïence, il fallait réagir sans plus tarder. Voyant que le brun en face avait repéré un rôdeur tout proche, le Mainois le laissa se charger du mort, se tournant à son tour vivement quand un errant attrapa son bras. Il s'en dégagea tant bien que mal, lui assenant un coup de piolet en grimaçant légèrement, peinant à le sortir de son crâne.

Aux mots de l'individu, Nigel inspira profondément, les sourcils froncés. Déguerpir oui, c'était un bon plan, notamment au vu des autres silhouettes qui semblaient approcher dangereusement dans leur direction. Marvin avait cet avantage de prévenir d'un danger, mais il avait en contre-partie le désavantage de pouvoir en attirer d'autres sans réellement s'en rendre compte ; comment lui reprocher cependant ? Il ne pouvait pas analyser tout ce qui arrivait comme les Hommes. Hochant la tête, l'écrivain se contenta d'un simple « par ici » en se détournant pour reprendre rapidement la direction du banc où il était assis quelques minutes auparavant et ainsi récupérer ses affaires restées là-bas. Il aurait tout aussi bien pu dire à l'inconnu de partir de son côté et lui du sien, mais il était curieux d'en savoir un peu plus, notamment parce-qu'il aurait aisément pu s'en prendre au Bouvier mais qu'il n'avait rien fait, totalement paniqué. Tout comme il aurait pu s'en prendre à lui-même lorsqu'il s'était occupé du mort. Cet acte méritait un minimum d'attention.

Arrivé au banc, il rangea le livre dans son sac et le referma avant de le hisser sur ses épaules, se tournant à nouveau vers l'individu. « On peut fuir ensemble, ou partir chacun de notre côté, mais les errants sont nombreux et je connais un endroit où on pourrait se cacher » avait-il lancé rapidement, peu certain que sa proposition était la meilleure. L'autre type pouvait tout aussi bien décider de le prendre à revers une fois qu'ils seraient ''à l'abri'' ; quoi que s'il n'était pas idiot, il se rendrait bien vite compte que Nigel n'avait pas grand chose à lui offrir, n'ayant déjà pas grand chose pour lui et son compagnon à quatre pattes. Le fait de tomber pour une fois sur un vivant qui ne semblait pas totalement fou avait cependant piqué sa curiosité.

Regardant un instant les morts qui s'approchaient, Kyle n'était pas du tout rassuré, si ce n'était même terrifié à l'idée de se refaire coincé par tout un groupe de cadavres vivants. L'expérience qu'il avait vécue quelques mois plus tôt dans ce centre commercial lui restait encore bien en tête. Il avait vraiment peur quand ils étaient en trop grand nombre, il pouvait très vite se laisser submerger et s'en ce serait fini et autant dire que cette possibilité ne le rassurait clairement pas. Aux mots du brun, il le suivit, se disant qu'il n'avait rien à perdre de toute façon. Pour le moment en tout cas. Son chien n'avait pas l'air méchant et comme on disait "les chiens ressemblent au maître" alors même s'il ne ferait pas totalement confiance à ce type, il se disait qu'il aurait pu tomber sur un malade. Et puis voir des vivants, hors du groupe, c'était devenu assez rare pour le brun maintenant vu qu'il ne sortait que rarement seul et autant dire que les survivants ça ne courraient pas les rues. Il se demandait encore combien de personnes avaient survécu. Combien étaient-ils encore ? Dans tous les cas, si lui avait survécu, d'autres aussi, beaucoup même. Certaines ne se laisser clairement pas marcher dessus et l'apocalypse ne les avaient rendues que plus cruel et désireux de vivre. C'était probablement les pires qui avaient survécu, ce ne serait même pas étonnant en fait, c'était comme ça. Il avait encore une vision très pessimiste des choses. Les forts arrivaient à survivre par des moyens tous plus horribles les uns que les autres et il ne trouvait pas ça juste. Alors que les faibles comme lui faisait ce qu'ils pouvaient. Il ne se lamentait pas, il savait qu'il avait la chance d'être en vie pour le moment encore.

Regardant un court instant le type en face alors qu'il avait rangé un livre dans son sac, il alterna son regard entre les morts, le chien et le gars qu'il venait de rencontrer. Le suivre, c'était survivre, potentiellement. Partir seul, ce serait un danger considérable vu que les morts se dirigeaient vers eux. Il n'avait pas le temps de réfléchir trois heures, il fallait qu'il prenne une décision maintenant s'il ne voulait pas être en réel danger. Acquiesçant aux propos du brun, il se disait qu'aller dans une planque serait le meilleur moyen d'échapper aux morts pour le moment. Il était plus que stressé à cette idée mais ce type n'avait pas une mauvaise tête, peut-être se trompait-il mais vu qu'il marchait à la première impression il décidait de le suivre. «Je te suis alors.» avait-il dit pour bien faire comprendre au type qu'il voudrait bien fuir avec lui. Sans plus attendre, ils quittèrent l'endroit en direction de la fameuse cachette que lui avait vendu le brun. Croisant quelques morts sur le chemin et sans ralentir, Kyle en avait éliminé quelques-uns. Il n'aimait toujours pas ça, surtout quand il faisait comme si ce n'était rien de plus que des trucs qui voulaient les bouffer. Il n'oubliait pas qu'ils étaient humains comme lui avant et voir une personne dans cet état c'était affreux. Mais au bout d'un moment il n'avait rien pu faire d'autre que de s'habituer à tout ça. C'était le monde maintenant, il n'y avait pas d'autres alternatives. Tout était tombé.

Suivant de près le brun, un peu surpris que le chien soit également là, il avait l'air vraiment attaché à son maître. Kyle ne cessait de lancer des regards vers derrière lui histoire d'être prévenu de la présence d'un quelconque mort. Ils avaient au bout d'un moment ralenti la cadence, s'approchant probablement de la planque du type. Poussant un léger soupir alors qu'il essayait encore une fois de se rassurer en se disant qu'il était en "sécurité" et qu'il était encore vivant, il observa l'inconnu un peu plus longuement. Le même genre que lui, l'apocalypse était passé par là, il était barbu aussi, avec les cheveux probablement plus long qu'à l'époque et ses vêtements étaient probablement aussi sales que ceux de Kyle. «Merci.» avait-il soufflé en regardant une nouvelle fois derrière lui. C'était la moindre des choses. «Je m'appelle Kyle.»

Zieutant quelques secondes encore l'inconnu dans l'attente d'une quelconque réponse, le brun hocha brièvement la tête avant de se mettre en route sans plus attendre ; chaque seconde était comptée et mieux valait ne pas traîner trop longtemps s'il comptait ce sortir de cette impasse. Lui qui avait espérer passer un moment tranquille à lire un livre sur un banc, ses plans venaient d'être royalement foutus en l'air, mais tant pis, il pourrait tout aussi bien repousser cette occupation à plus tard, ce n'était pas comme s'il avait autre chose à faire de toute façon. Restait plus qu'à espérer que l'autre type resterait aussi calme et sympa qu'il en avait l'air, Nigel lui laissait le bénéfice du toute, pour l'instant. Il s'était donc engagé dans la rue, évitant le plus gros des errants qui se traînaient autour d'eux tout en en tuant quelques uns au passage à l'aide de son piolet à glace, ceux qu'ils ne pouvaient éviter. Un rapide coup d’œil vers l'arrière lui permis de voir que Marvin suivait toujours, à l'instar de l'individu qui semblait lui aussi laisser quelques cadavres derrière lui. Se perdant quelques secondes dans ses réflexions à ce sujet, le Mainois manqua de trébucher sur un trottoir, soupirant une nouvelle fois d'agacement devant son côté bien trop distrait. Il aurait eu l'air fin s'il s'était étalé tête la première sur le bitume, question bonne image, on faisait mieux.

Après de longues minutes, l'écrivain avait un peu ralenti sa course, remarquant qu'ils avaient suffisamment distancé les rôdeurs pour se permettre de souffler un peu. L'endroit dans lequel il avait passé la nuit et qui devait -normalement- être encore sûr n'était plus qu'à deux rues de là. Haussant un sourcil étonné à son remerciement, Nigel s'était contenté d'un simple « pas de quoi » en tournant son visage vers lui. Pourquoi le remerciait-il au juste ? Il n'avait rien fait d'autre qu'essayer de sauver sa peau et sans s'en seraient-ils tous les deux sortis même s'ils n'étaient pas partis dans la même direction alors quoi ? Le remerciait-il de ne pas simplement l'avoir tué ? Peut-être, c'était une éventualité envisageable, quand on voyait les fous bien vivants que l'on pouvait désormais croiser dans les rues. Lorsque l'inconnu se présenta, le trentenaire lui avait souri ; il était bien mieux de pouvoir mettre un prénom sur une tête, même s'il l'aurait probablement oublié dans quelques temps. « Nigel » avait-il répondu avant de reporter son attention sur la rue devant lui afin de s'éviter une chute inutile.

Ils auraient sans doute pu rester à papoter dehors, ou même reprendre chacun leur route, mais se mettre à l'abri une heure ou deux serait probablement une meilleure option au vu des errants encore relativement présents dans les environs. Arrivé enfin devant le bâtiment, Nigel se tourna vers lui avant d'entrer, dardant sur lui son regard sombre. « Avant de te laisser entrer, sache que j'ai à peine de quoi nous nourrir tous les deux -il avait désigné le canidé à ces mots- alors si tu comptes trouver une mine d'or, tu es au mauvais endroit » avait-il lancé sur un ton calme, exposant simplement les faits. Bien sûr, ça n'empêcherait pas ce Kyle de le tuer si telle était son intention, mais au moins il aurait l'information selon laquelle il risquait de ne pas s'en sortir indemne pour des gains franchement faibles. Cherchant dans son regard un minimum d'approbation, le Mainois avait ouvert la porte de la petite maison plain-pied et avait laissé Marvin entré, suivit de l'individu. « J'ai passé la nuit ici mais je me déplace beaucoup, ce n'est pas une vraie ''planque'' à proprement parler » avait-il jugé bon d'ajouter. Si l'autre espérait revenir et lui faire tomber un quelconque groupe dessus, il serait déjà loin.