Je déteste déjà ce type. Ami de la blonde ou pas, il vient d’essayer de me faucher avec notre voiture. Alors, la clope que l’actrice me tend, elle trouve vite sa place au coin de mes lèvres pour embraser un peu de réconfort. C’est que le stress peine à relâcher mon cœur, et le tremblement s’estompe tout juste dans le bout de mes doigts quand je fais craquer avec quelques difficultés la pierre de mon vieux briquet. Je passe celui-ci à Sarah, tout en écoutant l’échange qui… ouais, ne me concernerait pas, en temps normal. Je recrache un nuage de fumée épaissi par le froid et avise un regard entendu à Sarah quand Finan évoque le fait de n’avoir nulle part où se poser. Je suis bien la dernière personne du camp à vouloir absolument en garder la position secrète même aux personnes honnêtes, mais pour le coup, je n’ai pas tant de mal à tenir ma langue. « Ouais… » Je tourne le nez vers Finan, ne fais pas l’effort de feindre quelconque intérêt et dégueule plutôt dans la facilité de l’ironie, « On serait mieux à L-A, non ? Le soleil, la plage… Allez, » Je hausse les épaules et décolle les fesses de la bagnole, reprends une taffe. « J’vous laisse vous r’trouver deux minutes, j’ai lâché les pompes que j’ai trouvé quand cette tête de cul est arrivée. » Je lance à nouveau un regard appuyé au jeune homme et, le pas crispé, reviens dans le magasin dont on vient de s’échapper. Il pourra peut-être faire office d’abri pour la nuit, si on se trouve un coin sécurisé et rien de mieux avant le début de soirée.

Entre deux allées, je retrouve les précieuses chaussures et me penche pour les ramasser. J’en profite pour faire un nouveau tour. Deux exécutions de rôdeurs plus loin, je remarque l’affichette « Matériel de camping » dressée devant une autre porte automatique – qui ne l’est plus depuis longtemps. L’accès renvoie sur un espace extérieur clôturé. Dans un coin, il y a toute une scène aménagée pour présenter les tentes et autres accessoires modernes et trop chers. Il y a aussi une sorte de faux feu de camp au milieu de tout ça : un petit tas de buches proprement entouré de pierres. Si Tacoma était plus verdoyant que ça, l’effort serait convaincant.

Lorsque les deux amis finissent par me rejoindre, je commence à me détendre. J’écrase mon mégot qui a déjà cessé de fumer contre les dalles qui recouvrent le sol, et esquisse un mince sourire à l’intention de Sarah. « On peut faire un break ici, qu’est-c’que t’en dis ? » Le brun n’a pas encore son mot à dire : mais certainement qu’il trouverait un moyen de dénouer les tensions.

Il avait fallu un grand hasard pour qu'ils se tombent dessus aujourd'hui, Finan avait pensé que sa chance avait tourné en faisant démarrer leur voiture mais les choses ne s'en étaient pas tenues à ça. Et aussi improbable que ça paraissait, les deux amis de longue date étaient à nouveau réunis. L'irlandais cherchait sa sœur, dont elle avait un vague souvenir et qu'elle n'avait que peu cotoyé, il semblait certain qu'elle se trouvait à proximité d'ici. Eli resta plus silencieux, il faut dire que le premier contact entre les deux hommes avait été plutôt... Electrique ! Et les deux se tenaient à distance l'un de l'autre, s'adressant des regards méfiants. " T'y étais presque hein pourtant ! ... " ricana la blonde, alors qu'il lui expliquait une galère qu'ils ne connaissaient que trop bien quand ils étaient en vadrouille : un endroit sûr où se reposer. " Et je pourrais même pas t'aider, je suis venue rarement ici... " d'ailleurs, qu'est-ce qu'elle faisait ici ? Son ami plaisanta d'ailleurs sur le fait qu'il l'imaginait d'ailleurs à Los Angeles plutôt qu'ici, Eli demeure tout autant ironique. " C'est vrai qu'à choisir.... " songea-t-elle en riant, si ils devaient jouer au jeu du n'importe où plutôt qu'ici... Il ne faudrait pas réfléchir longtemps, le graffeur finit par prendre congé, prétextant devoir récupérer les chaussures qu'il a laissé derrière, ne manquant pas de tacler l'irlandais au passage.

Sarah le regarda alors, roulant des yeux, comme pour lui demander de ne pas prêter attention. " Ça paraît si loin tout ça désormais hein ? New York … Quelle époque... J'étais à Seattle quand tout a commencé, on est à la recherche de vivres pour le moment, mais le temps simplifie pas les choses... " elle resserra alors un peu plus son écharpe autour de son cou, jetant le mégot avant de réchauffer ses mains dans les poches de sa veste. " Tu as des pistes à propos de ta sœur alors ? Tu penses qu'elle est dans le coin ? " à en juger par ce qu'il expliquait, il ne semblait pas vraiment être du coin, s'était-t-il même posé quelque part ? " On n'a rien vu de spécial en venant jusqu'ici mais la ville est plutôt grande après tout... " déclara-t-elle en regardant un peu à l'horizon, le brouillard n'aidait pas à y voir clair, il serait donc plus que nécessaire de récupérer la voiture, s'ils voulaient espérer aller ailleurs. " Pour le moment, allons rejoindre Eli d'accord ? " l'actrice l'invita alors à la suivre dans le magasin de sports, où ils retrouvèrent le mexicain qui avait trouvé un accès à plusieurs matériels de camping, dont quelques tentes, dans un aménagement extérieur.


Puisqu'il avait fait mieux que de retrouver ses chaussures, elle hocha la tête positivement à sa proposition. " C'est une très bonne idée, on pourra bloquer facilement les accès et on ne risque pas d'être pris par surprise ici. " jaugea-t-elle en observant attentivement l'endroit. " Après s'être occupé de la voiture, on sera tranquilles..." la blonde s'était ensuite assise dans un gros coussin moelleux afin de profiter de quelques moments de répit. " Tu pensais jeter un œil de quel côté Finan ? " l'interrogea-t-elle, alors qu'eux-mêmes ne savaient pas trop où ils pourraient aller. " Il y a cet espace commercial à côté, mais sinon, j'avoue que je ne connais pas trop le coin... " il leur restait sans doute quelques heures avant que le soleil ne se couche, il ne leur restait plus qu'à bien décider de leur destination.

La blonde approuve l'idée de se poser un instant, très bien. Ça lui vaut un léger sourire, un peu contraint par la présence du mystérieux ami. C'est pas que je sois d'un naturel très méfiant, au contraire ; c'est juste la première impression qui a bien du mal à passer. J'acquiesce, et prends le temps de fouiller un peu le matériel qui nous entoure en les écoutant bavarder avec plus d'attention que je n'le devrais. Ça ressemble à des confessions, de quoi m'faire me sentir étranger. Distraitement, je passe la tête dans l'une des tentes. Au sol, un mince matelas en mousse, des sacs de couchage déroulés et froissés. Un peu crades, en fait. Je me redresse, en sort le museau. C'est le brun qui parle du campus. Puis de son "but". 'Me manque clairement des morceaux. "Quel but ?" Je glisse, un peu curieux et feignant bien maladroitement l'indifférence.

Finalement, l'appel des jambes fatiguées se fait entendre. Comme Sarah, et tout près d'elle, je me pose sur un espèce de siège de pêcheur en tissu et un peu rouillé. J'en profite pour défaire mes lacets rongés et changer de chaussures. Désolé pour l'odeur, à force de traîner ça doit chatouiller.

La réponse - ou le vent - de Finan se fait interrompre par un bruit un peu sourd. J'fronce légèrement le regard vers le magasin ; sûrement rien d'autre qu'un truc déjà bancal qui serait tombé à cause de notre agitation, mais - ça repart en fracas.

"T'es con ma parole ! Fais attention où tu mets les pieds !" Une voix assez lointaine, de femme. De nana énervée, même. Je lance un regard rapide à Sarah, essaie d'y déceler ses intentions sur la marche à suivre - on sait tous les deux que les rencontres avec les vivants nous réussissent rarement. Puis je jette mes airs de reproche sur Finan, me relève et lui lance en parlant bas, "T'as ramené des gens avec toi ?!" en allant me poster près de la porte vitrée.

Le confort que lui offrait le gros coussin moelleux dans lequel elle s'était plongée pourrait lui jouer des tours, si elle baissait sa garde, elle finirait bien par s'endormir. Aussi, ça ne semblait pas très raisonnable que ses camarades s'installent eux-aussi, mais Sarah était un peu préoccupée par les motivations de Finan à se trouver ici et s'assura d'en avoir le cœur net, comprenant qu'il était à la recherche de sa sœur, et qu'il pensait jeter un œil du côté du campus universitaire.

Eli avait du manquer quelques détails, mais ne s'en préoccupa pas vraiment plus, affairé à changer de chaussures. " Le campus hein? C 'est pas une mauvaise idée... e ça pourrait être un bâtiment facile à protéger, et idéal pour y bâtir un refuge, si toutefois de nombreuses précautions étaient prises au préalable. " On pourra peut-être y faire un... "

Mais un bruit sourd se fit alors entendre, suivi d'une voix féminine qui provenait de l'entrée du magasin, le regard du mexicain croisa le sien, alors qu'elle poussait un soupir. Il y avait au moins deux personnes, mais ils étaient incapables de les voir de là où ils se trouvaient. Finan n'avait pas davantage réagi, étaient-ce ses compagnons de route ? Ils avaient certainement du apercevoir le véhicule à l'extérieur, qui était fort heureusement pour le moment, encore bloqué, mais ce qui ne représentait pas un gros problème, si c'était des amis de Finan.

Pour préserver leur champ d'action, la jeune femme s'était simplement contentée de se rapprocher, accroupie pour se dissimuler derrière les rayons, afin d'avoir un point de vue sur les deux personnes qui étaient entrées. Il y aurait sans doute conflits d’intérêt si ces deux personnes avaient prévues de s'installer ici, tout comme eux. Méfiante, la blonde glissa ses doigts dans le manche de son couteau, restant attentive à leurs mouvements, se reposant également sur ses deux camarades pour voir de quelle manière il serait plus judicieux d'agir.

Sarah est la première à me doubler pour s'approcher. Cachée, les inconnus que je garde difficilement en ligne de mire depuis la porte ne nous voient pas. Finan prend position à son tour et s'emballe de trop - c'est lui qui se fait griller et se retrouve en face à face avec la jeune femme au langage... salé.

Kiara ? C'est qui ça encore ?! Je sors de ma planque pour m'élancer vers eux. Dans le même temps, c'est le compagnon de l'étrangère qui se ramène, surgit d'entre deux rayons de vêtements pour cyclisme et assomme le brun d'un bon coup de coude dans le crâne. Au fond, c'est pas désagréable comme vision. "Qu'est-c'que tu fous, Ducon ?!" lance la demoiselle d'une voix de poissonnière. Ça doit être parce qu'il connaît Sarah, mais j'ressens un élan aussi stupide que protecteur pour cette tête de cul. J'arrive à mon tour, tendu comme un string par l'adrénaline et braque le flingue droit devant. Sur l'homme. Le mec est assez grand, relativement baraqué pour une fin du monde où la bouffe se fait rare. La tignasse blonde un peu décoiffée, la peau blanche et le regard clair, perçant. L'expression affreusement sérieuse malgré le vide qui lui hante le fond des yeux. Il a le même réflexe, lève son arme vers ma gueule et titille la gâchette de son index. Kiara interrompt cet échange cordial, "Oh merde, mais tu l'as carrément assommé, tu déconnes ?!" Elle se penche une seconde sur Finan, un peu confuse, et se relève pour le braquer immédiatement. "'da fuck ?" J'ai l'regard qui file alternativement du type qui m'fait face à Finan qui s'réveille douloureusement.

En le voyant revenir à lui et les étoiles se disperser au dessus de sa tête, j'grogne, "Est-c'que quelqu'un aurait la bonté d'm'expliquer c'qui s'passe ? Tu connais toutes les nanas du coin ou quoi ?!" Puis faut croire qu'il s'est mis celle-là à dos, et j'ai ma p'tite idée de pourquoi. J'reste statique sans lâcher le joug que je tiens sur l'autre. Reste Sarah de planquée, c'est un avantage sur ces deux-là. Mais quelque chose me dit qu'elle ne va pas rester longtemps en retrait.