« Pourquoi ? » Demanda-t-elle dans la foulée, quand il confia s’énerver lorsqu’il avait tenté d’entamer une discussion avec Stanley à propos de tout ça. « Pourquoi tu… Tu t’énerves ? » Bafouilla-t-elle. L’usage du tutoiement la gêna un peu, mais lui ne s’en formalisa pas alors elle rassembla son courage comme elle le put.

La manche fermement tenue par Takeo, elle fit mine de rien. Ses yeux sondèrent juste le jardin autour d’elle, à la recherche de son compagnon à quatre pattes, l’espoir vibrant follement à l’idée de pouvoir rentrer chez elle, enfin. Il faudrait cependant mettre le japonais bien au chaud avant d’entamer cette fuite vers sa propre maison. Les lèvres pincées, son attention fut attirer par l’homme lorsqu’il envoya un coup dans le menton et qu’elle lâcha un « Aie ! » de surprise.

Dans les faits, elle n’avait pas vraiment eu mal, mais elle se frotta tout de même la zone de ses mains froides pour tenter de faire disparaitre cette impression de malaise.

« C’est pas grave… » Céda-t-elle avec un sourire en coin. Puis, elle secoua la tête : « Non, merci… C’est… Je ne fume pas… »

Sacha se retint d’ajouter que c’était mauvais pour la santé, et que les ressources en tabac allaient finir par se tarir, qu’il valait mieux arrêter tout de suite pour lui. Elle n’était pas sa mère, sa femme, ni même son amie, du coup ses bons conseils devaient lui passer totalement au-dessus. Il lui tendit le briquet pour qu’elle l’aida à allumer sa cigarette, et elle s’en empara comme elle put.

« Euh… Ok, attend… » Fit-elle en essayant de le tourner dans le bon sens pour pouvoir en faire bon usage. Sauf que l’ustensile lui échappa des mains, et ricocha sur le sol avant de finir dans l’herbe. « Zut… » S’affola-t-elle en relevant le nez vers Takeo : « Attend ! » Elle s’écarta, se baissa, et fouilla dans l’herbe avant de trouver le saint graal. Revenant vers l’homme, elle tituba sur ses appuis, puis tendit le bras pour ouvrir maladroitement la flamme.

La cigarette s’alluma, donc. Et il lui demanda ce qu’elle en pensait :

« J’en sais trop rien, ça me regarde pas vraiment s’ils vont bien ensemble… » Fit-elle en hésitant. « Le plus important, c’est qu’ils soient heureux tous les deux, tu ne crois pas ? »

Dans la foulée, Sacha se pencha pour entendre son secret, et ne sut trop comment le prendre. A dire vrai, elle ne comprenait pas l’ensemble de l’histoire, ce qu’il se passait concrètement. Elle n’avait pas le tableau dans son ensemble, qui lui permettrait de tout entendre correctement. Pour cette raison, la dernière remarque du japonais la surpris :

« Attend, tu as été avec elle ? » Demanda-t-elle, sans cacher sa surprise. « C’est parce qu’elle n’est plus avec toi alors que ça t’énerve ? »

Ses questions tombèrent à plat, Takeo étant trop dans son monde pour vraiment l’écouter. Elle comprenait pourquoi. Sans oser se mettre à son niveau, elle comprenait que tout ça était sérieux, et qu’elle marchait probablement sur des œufs : elle était face à un homme à la vie compliquée, qui se laissait trop souvent aller à la colère.

« Je te crois. » Souffla-t-elle simplement. « Tu as donc un enfant ? » Reprit-elle, comme pour se concentrer sur le positif : « Il est ici ? Il doit dormir à cette heure… Tu devrais peut-être le rejoindre, pour dormir aussi un peu ? » Suggéra-t-elle.

Sacha ne se doutait pas de ce qu’il allait lui répondre, ni d’à quel point elle était à côté de ses pompes.

Lorsqu'elle fit maladroitement tomber le briquet au sol, Takeo esquissa un léger sourire. Il la trouvait marrante, surtout parce qu'elle semblait complètement s'en affoler, comme si elle venait de faire quelque chose de très grave. Mais Takeo perdit son sourire aussi rapidement qu'il était venu, et continua à lui raconter ses histoires, la remerciant d'un signe de tête pour lui avoir allumé sa cigarette.

Il lui posait des questions, lui demandait son avis sur ce qu'il lui racontait, parce que son approbation lui semblait extrêmement importante. Il ne la connaissait pas vraiment, mais il s'en foutait : il voulait qu'elle soit de son côté. Parce qu'il avait cette sale impression que personne ne l'était jamais, que personne ne le comprenait. C'était de sa faute : avec les événements récents, il s'était éloigné du peu de personne avec qui il s'était rapproché . Avec certains, c'était volontaire, parce qu'ils étaient de bons amis du couple qu'il maudissait. Avec d'autres, c'était seulement les conséquences de sa nouvelle relation privilégiée avec l'alcool et de son attitude purement négative depuis le séisme. Toujours est-il qu'il se sentait seul et que cela le pesait, contrairement à ce qu'il voulait laisser croire. C'était pour cela qu'il voulait tant qu'elle reste, pour cela que son opinion lui importait.

Il aimait donc lui poser des questions, mais par contre, lorsque c'était elle qui l'interrogeait, il l'ignorait complètement. Il ne le faisait pas volontairement. Mais il était tellement concentré dans ses histoires et ses explications qu'il ne portait aucune attention au reste. Et il ne réalisait évidemment pas à quel point il était brouillon dans ses propos, à quel point son récit n'était pas clair pour quelqu'un de totalement extérieur à la situation. Pauvre Sacha, qui devait avoir du mal à tout comprendre, qui ne trouvait pas réponse à ses questions, et qui était contrainte de rester l'écouter quand même.

Puis Takeo changea de sujet, commençant à aborder sa vie d'avant, et notamment le fait qu'il avait blessé sa copine enceinte. C'était un sujet dont il ne parlait jamais en temps normal, mais l'alcool, couplé à l'étrange sentiment d'apaisement qu'il ressentait en la compagnie de la rousse, lui déliait la langue. Il ne jouait pas un rôle, et il fut réellement soulagé lorsque Sacha lui assura qu'elle le croyait. Et réellement attristé lorsqu'elle le questionna sur son enfant. Il baissa de nouveau la tête avant de tirer une latte de cigarette.

« Non, pas ici... elle est encore... dehors » chuchota t-il « On a été séparé avant qu'je vienne ici... » Il soupira. « Mais elle est pas toute seule, y a Stephan avec elle ! » précisa t-il comme si la rousse savait exactement de qui il parlait. « Tfaçon, c'est lui qu'elle appelle « papa », alors... moi elle me trouve méchant... » Il voulut tirer une nouvelle latte de cigarette, mais aspira trop fort et se mit à tousser fortement, la faisant tomber au sol. « J'lai pas vu grandir, mais c'quand même ma fille, tu comprends ? » l'interrogea t-il en ramassant sa clope. « J'veux la ramener ici pour qu'elle soit en sécurité... alors j'lai cherchée encore et encore... » Il afficha une moue désespérée « … Mais j'ai arrêté maintenant... j'la retrouverai sûrement jamais... » avoua t-il. C'était une chose qu'il n'avait jamais osé dire à voix haute auparavant, qu'il avait perdu espoir. « Et puis, que m'dirait Greyg si j'le retrouvais aussi, hein ? » demanda t-il, encore une fois comme si Sacha savait qui était Greyg, le père de Kevin et Tom.

On ne pouvait pas dire que Takeo collaborait vraiment avec elle pour l’aider à suivre la conversation. Sacha se sentait perdue, et un peu inutile à dire vrai à ne pas pouvoir comprendre toute son histoire. Elle faisait pourtant des efforts pour se concentrer, mais des noms apparaissaient, d’autres ne revenaient pas, ils passaient du coq à l’âne sans arrêt sans réussir à se fixer sur quelque chose. Autant dire que pour le coup, l’alcool faisait vraiment bien son travail. Mais plus encore, elle se sentit se décomposer intérieurement lorsqu’il lui confia que sa fille n’était pas au campement, qu’elle était encore dehors…

« Oh… » Fit-elle, morte de honte. Elle sentit son visage chauffer, comme si elle était la pire personne du monde. Elle porta sa main devant sa bouche, passant nerveusement une mèche de cheveux derrière son oreille en réajustant ensuite ses lunettes. « Je suis désolée, je ne savais pas… » Ajouta-t-elle d’une petite voix troublée.

Elle se racla la gorge, et tira vers le bas sa veste avant de venir s’asseoir sur la marche à côté de lui. Maintenant pour s’enfuir, après avoir remué le couteau dans la plaie, ça n’était même plus la peine d’y compter ! Elle se sentait piteuse, et fit de son mieux pour ne pas en rajouter davantage. Le sujet avait eu l’air de toucher Takeo, et lui permit de parler, aussi de ne pas s’attarder sur l’histoire avec Stanley et Casey… Ses yeux se portèrent vers la maison pleine de vie en face d’eux. Elle poussa un soupir :

« Oui je comprends. » Fit-elle sur le même ton, doux. Elle remonta ses jambes à sa poitrine, pour tenter de se réchauffer. « Comment est-ce qu’elle s’appelle ? »

Sacha n’osa pas poser d’autres questions. A propos de ce Greyg par exemple, qui aurait visiblement des choses à lui reprocher. Quoi ? elle n’en avait aucune fichue idée, mais elle n’irait pas faire sa curieuse pour en parler avec lui. Peut-être viendrait-il le lui dire tout simplement ! Et elle comprendrait probablement un peu mieux ce qu’il se passait. Pour l’instant, elle avait l’impression que Takeo composait avec beaucoup de souvenirs, et d’évènements dans sa vie. La fin du monde n’était pas tendre avec lui, tout particulièrement.

« Pour ta fille, peut-être qu’il faut que tu la cherches… Autrement ? » Suggéra-t-elle sans trop savoir sur quel terrain glissant elle s’aventurait. « Tu as… Délimiter ton secteur de recherche ? » Questionna-t-elle. « Ou… Demandé de l’aide ? »

C’était sans doute très bête, mais elle-même était prompt à vouloir se débrouiller toute seule lorsque quelque chose lui arrivait et qu’elle ne parvenait pas à le régler. Ça n’était pas bon, à force, surtout quand d’autres étaient assez doués pour filer un coup de main.

Takeo s'était un peu décalé sur le côté pour laisser de la place à Sacha qui s'asseyait à côté de lui. Cette dernière semblait complètement gênée d'avoir trop rapidement suggéré que sa fille était encore au camp. Mais le japonais ne lui en voulait pas du tout, conscient malgré son état que ce n'était pas quelque chose qu'elle aurait pu savoir. Il était au contraire plutôt content de la voir s'installer à ses côtés et s'intéresser à son histoire, car c'était un sujet qu'il n'abordait que rarement, même avec les personnes avec qui il avait été le plus proche.

« Lya... c'est beau hein ? » répondit-il à sa question « Elle est belle ma fille ! Elle est pas... elle est pas faite pour tout ça, oh non ! » Quel enfant de 10 ans le serait ? Mais Lya n'était véritablement pas préparée à la vie à l'extérieur. C'était elle qui aurait du se retrouver ici, sur cette île – plus ou moins, on l'avait vu lors des événements récents – sécurisée. Takeo avait toujours trouvé ça injuste que ce soit lui ait hérité de cette chance, alors que ce n'était pas lui qui en avait besoin, ou qui le méritait.

« Délimiter ? » s'interrogea t-il suite aux suggestions de la rousse. « Non, ça fait... hmmm... » Il se mit à compter sur ses doigts comme l'aurait fait un gosse. Et il dut même s'y reprendre à deux fois avant de réussir à aller jusqu'au bout. « … 10, oui, 10 mois maintenant... ils peuvent être n'importe où... » Il ouvrit grand les yeux, comme si il venait de réaliser. « C'est impossible, ah oui ? » De la retrouver un jour.

Et est-ce qu'il avait déjà demandé de l'aide ? Pas vraiment. De toute façon, si beaucoup étaient au courant que le japonais était à la recherche de sa fille, la plupart ne le prenait pas vraiment au sérieux, jugeant ses espoirs de la retrouver irréalisable. Lui y croyait dur comme fer – du moins jusqu'à ce que ne survienne le séisme et ses conséquences – et il jugeait ne pas avoir besoin de l'aide de personnes qui pensaient différemment.

« Et j'peux pas... demander de l'aide » répondit-il en secouant la tête. « Stephen, il a la tête dure... et Greyg il est toujours méfiant ». C'était bien là la principale raison pour laquelle il ne pouvait pas demander l'aide d'autres groupes de sortie. Impossible. Étant donné la politique de recrutement du clan, et leur manière de présenter les choses, le japonais était persuadé que Stephen et Greyg n'accepteraient jamais la proposition. Takeo était bien content de pouvoir utiliser cette politique pour mener ses propres recherches, mais il savait qu'il devait être celui qui retrouve Lya et les autres. Parce que sinon, s'il n'était pas là pour les rassurer, ils auraient la bêtise de refuser et les conséquences seraient désastreuses. C'est pourquoi Takeo ne pouvait pas se permettre de déléguer, et qu'il espérait que personne ne les retrouve avant lui.

« Faut qu'ça soit que moi... passque sinon ils vont refuser... et tu sais c'qui s'passe quand ils refusent... » Il passa son index contre son cou pour signifier une mise à mort. Était-elle seulement au courant ? Takeo présumait que oui, mais il n'en savait rien, en fait. « Alors tu vois, j'peux pas... j'dois faire tout seul... toujours tout seul... » Il haussa les épaules « Mais c'est ptêtre mieux que j'les r'trouve pas, hein ? Passque Greyg, il va m'en vouloiiiiiiiiir » dit-il en secouant sa main gauche.

« C’est beau, oui. » Admit-elle sans peine avec un doux sourire au coin des lèvres. Lorsqu’il s’agissait d’enfant, Sacha n’avait aucun mal à dire les choses. Elle les aimait tous ! Il valait mieux pas que ça soit les siens, parce qu’elle sentait qu’elle ne ferait pas une très bonne maman. Pas avec les exemples qu’elle avait eu dans sa vie, ni avec ses choix de carrière, encore moins avec son tempérament. « Quel âge a-t-elle ? » Demanda la rousse, curieuse.

Elle serra un peu plus ses jambes contre elle, surtout lorsque la morsure du froid se fit ressentir. Elle n’était clairement pas assez couverte pour séjourner plus longtemps sur le pallier d’une maison, mais avait-elle le choix ? Hulk divaguant toujours dieu savait où autour de la maison, et Takeo qui ne donnait pas l’impression de se les geler comme elle, Sacha se sentait vouer à mourir glacé…

« Non, ça n’est pas impossible, il faut juste procéder plus logiquement… » Rattrapa-t-elle rapidement, pour ne pas qu’il perde espoir de revoir sa fille. Parce qu’elle avait dument noté le changement sur son visage lorsqu’il parlait de son enfant, et qu’avec tout ce qu’il vivait, l’homme avait vraiment besoin d’un miracle. « Je te montrerais. » Jura-t-elle dans la foulée avec un sourire avenant. « Je suis sûre que si tu en parles à… Donovan, il acceptera de t’aider. Et il comprendra que tu dois être là… »

Lui, ou un autre, ça importait peu. Il y avait probablement des gens emplis de bienveillance, apte à comprendre pourquoi un père devait être avec sa famille. Elle hocha la tête, même si sa remarque sur ce qui advenait de ceux qui refusaient lui faisait froid dans le dos. C’était une marche à suivre qu’elle ne comprenait pas toujours : n’était-ce pas normal d’être hésitant ? Pas mal d’équipe laissait une chance, l’opportunité d’y réfléchir, c’était déjà plus pertinent que d’abattre en se posant immédiatement en sauveur. Sacha avait une foi infinie en l’être humain, et en sa capacité à faire le bien. Après tout ce qu’ils avaient traversé, et notamment les pillards, c’était probablement stupide. Même les cas désespérés, comme son colocataire Elias, ne l’étaient pas tant que ça, au fond…

« Pourquoi ? Qu’est-ce que Greyg te dirait ? » Demanda la rouquine, soucieuse.

Elle ne comprenait pas. Parce qu’elle n’était pas au courant de tous les morts qu’il y avait eu. Elle avait été enfermée dans son laboratoire, à ordonner les choses, jusqu’à la fin. Lawrence avait au moins eu la satisfaction de retrouver un endroit propre, qui semblait ne pas avoir été touché par le séisme. Ce fut sa seule utilité…

« Tu ne veux pas qu’on rentre ? On sera au chaud comme ça. » Lui demanda-t-elle d’une voix douce, en tournant timidement les yeux vers la poignée de la porte.

Sacha avait de plus en plus de mal à cacher ses tremblements, elle ne parvenait pas à se réchauffer. Lui ne devait pas se rendre compte de la température, l’alcool aidant. Ce qui était d’autant plus dangereux dans son cas…

« 10 ans maintenant, si elle est toujours... » Vivante. Mais il ne termina pas sa phrase. C'était dur pour lui d'admettre cette éventualité. Il s'y était toujours refusé, persuadé que ce n'était pas possible. Elle était bien protégée, il n'y avait pas de raisons de s'inquiéter... c'était ce qu'il se répétait. Lui et Stephan ne s'entendaient pas, mais il savait que le beau-père aimait trop Lya pour la laisser en danger. Et Greyg, c'était son ami, il la protégerai jusqu'au bout. Il en était convaincu, jusqu'à ce que l'invasion de rôdeurs ne lui prenne Kevin et Tom. Lui aussi était censé les protéger jusqu'au bout, et pourtant il avait échoué, alors qu'ils étaient au sein même de ce campement qu'il pensait être hautement sécurisé. Si un désastre était arrivé ici, que penser de ce qui pouvait survenir à l'extérieur ?

Il avait perdu l'espoir, ce jour-là. Alors il apprécia particulièrement les mots rassurants de la rousse, qui lui promettait de lui montrer un moyen logique de procéder à ses recherches. Il en fallait plus pour lui faire reprendre confiance, mais devant ces paroles et son joli sourire, il avait envie d'y croire un peu quand même. « Tu jures ? » lui demanda t-il comme l'aurait fait un petit enfant.

Puis il s'approcha un peu d'elle, et plaça la paume de sa main contre la nuque de Sacha, attrapant quelques cheveux au passage. Il la fixa dans les yeux quelques secondes, qui parurent durer longtemps. « T'es vraiment gentille, toi. T'es comme ma fille, t'es pas... t'es pas faite pour tout ça » Cela se voyait, sa bienveillance et son innocence transpiraient à travers ses mots, ses attitudes, ses regards. Sacha, c'était typiquement le genre de personnes sur lesquelles il ne se serait jamais arrêté. Qu'il aurait méprisé même, sans chercher plus loin. Et paradoxalement, c'était aussi exactement le genre de personne dont il avait besoin. Il ne s'en était simplement jamais rendu compte.

Elle l'interrogea ensuite sur Greyg. Logique, puisqu'il l'avait déjà mentionné plusieurs fois dans leur conversation. Le japonais leva les yeux au ciel, semblant chercher ses mots. La mort des deux adolescents était un sujet toujours sensible, et il n'en avait jamais vraiment reparlé depuis ce jour. Quand il se décida à prendre la parole, il s'interrompit. Il avait remarqué – ENFIN – que Sacha était en train de mourir de froid. Elle venait d'ailleurs de leur proposer de rentrer à l'intérieur.

« Oh, t-t'as froid ? Désolé... » s'excusa-t-il en cherchant à se relever, s'appuyant sur la rambarde. Il parvint à se mettre debout, non sans quelques difficultés. Il jeta ensuite les restes de sa cigarettes sur le côté, avant de jeter son dévolu sur la poignée. Une fois la porte ouverte, il invita Sacha à entrer, mais il lui emboîta le pas. Il avait toujours autant de mal à marcher mais il ne sollicita pas la rousse. Heureusement, à l'intérieur, il pouvait s'aider des meubles. « A-Attends ! » lui demanda-t-il tandis qu'il titubait mais se raccrocha au sofa. S'aidant de ce dernier, puis de la table, il se dirigea vers une sorte d'armoire qu'il ouvrit pour en sortir une couverture qu'il tendit à Sacha. « Tiens, réchauffe-toi... » lui dit-il, l'air concerné tandis qu'il essaya de lui passer la couette par dessus les épaules, non sans mal.

Puis soudainement, il se souvint qu'il lui devait des explications sur Greyg. « At...attends, j'vais t'montrer un autre secret... » l'interpella t-il de l'index, avant de lui désigner du doigt la cuisine, et plus précisément la porte qui donnait sur le jardin. Il tendit ensuite le bras vers elle pour qu'elle l'aide de nouveau à se déplacer jusqu'à là-bas. Pauvre Sacha qui voulait rentrer pour échapper au froid et qui se retrouvait contrainte de sortir à nouveau.

Une fois sur place, il l'amena jusqu'à un coin du jardin, un peu à l'écart, sur lequel on pouvait remarquée un bout de terre retournée. C'était là qu'il avait enterré Kevin et Tom, ensemble, avec l'aide de Merl. Est-ce qu'il avait le droit, d'ailleurs, d'enterrer des corps chez lui sans autorisation ? Il ne le savait pas, et sur le moment, il s'en était bien fichu. Il ne pouvait pas jeter les adolescents à la mer comme le reste des cadavres. Mais il espérait que cela reste secret.

D'un mouvement de tête, il désigna la tombe. « En d'ssous, y a... Kevin et Tom... les fils de Greyg... » Il soupira, la voix tremblante. « J'devais les protéger, mais... » Il tourna son visage pour regarder Sacha. « J'pouvais pas savoir... que les rôdeurs allaient r-rentrer... j'pouvais pas... » Il fixa de nouveau la terre. « C'était des sales morveux, mais... » termina-t-il d'une voix désespérée.

« Euh… Bah… Merci je suppose ? » Souffla-t-elle d’un air gêné en le regardant droit dans les yeux. Elle se sentit rougir aussi, vitesse grand V, alors qu’il dégageait l’une de ses mèches de cheveux.

Elle était gentille oui, et elle n’était pas faite pour tout ça. Son souci, c’était qu’elle n’était pas faite non plus pour l’hostilité du monde d’avant. Au fond, Sacha se demandait souvent s’il y avait une place pour elle, quelque part, où elle serait tout simplement bien. Pas coincée entre un patron qui la détestait, un coloc qui la méprisait, des gens qui la regardaient de haut et questionnaient son utilité. Pinçant les lèvres, elle savait que sa gentillesse était le problème : puisque l’homme était un long pour l’homme, elle s’était posée directement en brebis prête à être croqué par qui aurait faim.

La rousse poussa simplement un soupir de soulagement lorsqu’il se décida à bouger, en constatant qu’elle se gelait. Se redressant, elle se sentit grelotter, avant de le suivre à l’intérieur de la maison où le contraste de température lui fit un bien fou. Hésitante, elle s’avança avec prudence jusqu’au salon, alors qu’il lui demandait d’attendre. Ça suffit à la figer sur place et à ce qu’elle ne bouge plus d’un pouce en attendant la confirmation de Takeo pour respirer. Il revint, et passa maladroitement une couverture autour de ses épaules.

Elle se sentit chauffer encore, gênée de cette attention si touchante. Ses doigts glacés attrapèrent le bord de la couverture, pour venir la nouer autour de ses épaules plus fermement. Elle n’aurait plus froid.

« C’est bon, ça ira ne t’en fais pas… » Le remercia-t-elle, craignant de trop en faire, ou d’abuser de sa générosité.

Elle eut néanmoins l’impression que ses phalanges étaient glacées, et eut du mal à les mouvoir comme elle le voulait. La rouquine manqua de perdre sa couverture en rattrapant Takeo de justesse, alors qu’il la conduisait dehors en titubant toujours. Elle était curieuse de voir ce qu’il avait à lui montrer, et à la fois craintive de ce qu’elle découvrirait. Quelques pas dans la terre humide, elle constata alors deux endroits où le sol était retourné, et l’homme lui expliqua.

C’était deux tombes. Ceux des fils de Greyg. Et elle eut l’impression de se recevoir une claque en plein visage. Le souffle coupé, elle secoua la tête comme pour s’excuser d’avoir posé la question : elle n’osait plus parler, plus rien dire, parce qu’elle sentait l’émotion dans la voix de son voisin, et le fait qu’elle avait provoqué tout ça avec ses interrogations.

« Je suis désolée… » Articula-t-elle d’une petite voix sans pouvoir cacher son trouble. « Ce n’est pas ta faute, tu ne pouvais pas savoir que ça arriverait. » Confirma-t-elle dans la foulée. « Personne ne le pouvait… » Le mur s’était effondré lorsque le fort était déjà à la merci des éléments…

Elle posa une main sur le bras de l’homme pour attirer son attention.

« Viens, ne restons pas là. » Souffla-t-elle, attristée. « Tu penses que ça va aller pour dormir, ce soir ? Tu ne te sens pas… Nauséeux, tu n’as pas le vertige ? » S’inquiéta Sacha dans la foulée.

Pile au moment où Hulk arriva par le bord de la maison pour venir se planter à quelques mètres d’eux et se rouler dans l’herbe…