Doucement, l’homme prenait ses marques au milieu de cet univers qui lui avait paru si hostile depuis l’épidémie. Il lui avait fallu un petit temps pour se remettre de la maladie, mais il était à présent guéri depuis assez longtemps pour avoir repris une bonne condition physique. La neige dehors, n’était plus et même s’il faisait froid. Il était sans doute temps d’affronter ses températures peu hospitalières dans l’optique de faire diminuer ses mots de tête. Il avait toujours ses lunettes sur le nez et son verre fissurerai n’avait fait qu’empirer. Il devait s’en occuper avant de n’en avoir plus qu’un sur le nez. C’est vrai, à l’heure d’aujourd’hui, il n’avait plus autant à se préoccuper de leurs survies au sens propre, mais Caleb savait qu’il avait besoin de s’occuper de ça. Ses crises devenaient de plus en plus fréquentes et il n’était plus viable pour lui de simplement ne rien a avoir sur le nez. Il avait besoin de lunette et il avait besoin de s’en occuper maintenant. Il savait très bien avec qui il devait se rendre en expédition, c’était une évidence… La question ne s’était même pas posée quelques secondes dans son esprit.

Il trouva sa femme en train de lire juste après le repas du midi. Il allait pouvoir passer l’après-midi dehors, il espérait sincèrement rentrer avant la nuit parce qu’il ferait un froid insoutenable dehors. Enfin, ça il ne pouvait malheureusement pas vraiment le prévoir. Il préférait garder cette pensée pour lui pour le moment. Il était inutile d’alarmer sa moitié pour rien. Il souriait tendrement alors qu’il passait dans son dos pour lui poser ses mains sur ses épaules et un baiser sur la joue. Il resta immobile un instant sa joue contre celle de sa femme. Il appréciait des moments simples avec elle, surtout depuis qu’ils avaient leurs petites routines au sein de ce groupe. Il ne s’était jamais posé la moindre question de ce que les autres pourraient penser vis-à-vis d’eux et ce n’était pas aujourd’hui que cela allait commencer.

- Dis-moi, tu as prévu quelque chose pour ta journée ?

La question était simple et Caleb savait déjà la réponse à cette dernière. Il l’avait posée plus pour la forme qu’autre chose. Il aimait sa femme de tout son cœur et voulait faire en sorte qu’elle ne se sente pas mise au pied du mur même si c’était sans doute u peu le cas. Il avait besoin d’aide pour aller dehors et elle était celle en qui il avait le plus confiance surtout dans la conjoncture actuelle. Il espérait simplement ne pas être pris d’une crise de maux de tête une fois dehors. D’une certaine façon, il savait presque que ça allait lui tomber sur le coin du nez, il ne voyait pas comment il pourrait en être autrement, ce n’était pas comme si c’était ce dont il avait le plus peur et que par conséquent c’était irrémédiablement ce qui allait lui arriver. C’est avec un sourire qu’il ajoutait tout en se redressant quelque mot à l’intention de sa femme.

- Parce que sinon, il serait peut-être temps d’aller fouiller quelques maisons à la recherche d’une autre paire de lunettes et éventuellement s’offrir un peu de temps loin de tout le monde.

Le sous-entendu était présent et sans doute qu’elle avait compris de quoi il était question. Il était évident qu’elle était loin l’époque où ils n’étaient que tous deux et qu’ils pouvaient s’adonner à quelques folies. Il affichait un sourire plein de sous-entendu pour le coup. Il avait véritablement besoin de lunette, mais s’il pouvait joindre l’utile à l’agréable, il n’allait pas s’en plaindre pour autant. Dans le fond Caleb savait déjà ce qu’elle allait répondre, elle avait été victime à plusieurs reprises de sa mauvaise humeur à cause de ses problèmes liés à ces dernières et ça serait sans doute autant un soulagement pour elle que pour lui de pouvoir pallier à ce problème. Ne serait-ce que trouver une paire qui ne tombe pas en miette serait un grand soulagement.

Il fallait croire que tout changement finissait par être accepté, après une période d'adaptation. C'était sans doute le propre de la nature humaine, toujours chercher à aller de l'avant, et même si c'était un processus inconscient. Le couple en avait vu de belles en arrivant au ranch, et leurs premières semaines n'avaient pas été des plus agréables ni des plus faciles. Pour autant, du temps avait passé, et on pouvait dire qu'ils avaient fini par s'habituer à ce nouvel environnement et à sa façon de fonctionner. Pouvait-on dire qu'ils avaient baissé leur garde ? Pas totalement, c'était une certitude. On ne pouvait pas gommer des années de survie en solitaire à l'extérieur d'un simple claquement de doigts.
Eileen avait passé un petit bout de temps à l'entretien du ranch, dans tout ce qui était petites tâches du quotidien. Elle profitait actuellement d'un moment de repos bien mérité, et avait choisi de se faire un petit plaisir en sélectionnant un livre qu'elle alla lire tranquillement installée au rebord de la fenêtre, enveloppée dans une couverture polaire. Elle fut interrompue dans sa lecture par l'arrivée de Caleb, qui lui demanda si elle avait prévu de faire quelque chose de sa journée. Utilisant son doigt pour marquer sa page, elle referma le livre et tourna la tête vers lui en faisant mine de réfléchir.

« En fait, j'avais prévu d'aller au cinéma et de faire une petite soirée restaurant avec des copines ensuite, mais je peux décommander sans souci.

La brune resta un moment sans rien ajouter, puis elle laissa un sourire venir étirer ses lèvres, et elle lui adressa un petit clin d'oeil. L'occasion avait été trop belle pour le taquiner, et elle n'avait naturellement pas pu passer à côté. De fait, elle savait que la question de son mari n'était pas innocente, et qu'il avait besoin d'elle. Il avait sans doute des projets pour eux. Histoire de ne pas perdre sa progression, elle récupéra un marque page de fortune pour le glisser entre deux pages à la place de son doigt, puis elle posa l'ouvrage près d'elle. Sans rien dire, elle posa sa tête sur ses genoux remontés vers sa poitrine pour écouter ce que le sénateur avait à lui proposer.
En réalité, Caleb voulait sortir pour avoir un peu d'air, mais surtout pour mettre la main sur une nouvelle paire de lunettes. Il était certain que cela risquait de devenir une urgence alors que les jours puis les semaines passaient. Rien que pour cette raison, la jeune femme aurait été prête à le suivre. Mais ce qu'il lui proposait était mieux encore qu'une petite sortie entre eux, à l'ancienne. S'ils retrouvaient un peu d'intimité et un endroit sûr, ils pourraient facilement profiter de leur présence mutuelle sans crainte d'être dérangés. Le sourire qu'elle affichait se fit plus large encore.

- C'est une offre alléchante... Je crois que je vais dire oui.

Eileen avait été sincère et n'avait pas marqué la moindre hésitation. Dans le fond, ils n'avaient pas vraiment besoin de trouver un endroit tranquille pour avoir une vie intime tous les deux. Ils étaient passés maîtres dans l'art de profiter l'un de l'autre discrètement, même avec du monde près d'eux. Pour autant, c'était agréable aussi d'être un peu tranquilles et de ne pas avoir à surveiller ou à redouter quoi que ce soit. Lentement, elle sortit de son plaid et s'étira avant de se remettre sur ses pieds. Elle prit livre et couverture sous son bras pour les ramener dans leur chambre. En passant, elle vint dérober du bout des lèvres un baiser à Caleb.
Une chose était certaine, c'est qu'ils allaient devoir se préparer un minimum pour sortir. Le froid et la neige étaient toujours là, et ils allaient donc avoir besoin de vêtements épais pour s'en préserver. Il leur faudrait aussi avoir de quoi se prémunir de quelques situations dangereuses et déconvenues, ce qui signifiait qu'ils auraient aussi besoin de se constituer un sac à dos convenable. Rien d'insurmontable pour eux qui avaient vécu sur les routes si longtemps, et qui savaient donc s'équiper en conséquence. Glissant sa main libre dans celle de son mari, la brune l'entraîna vers leur chambre pour qu'ils puissent se préparer.

- Plus sérieusement, tu as une idée de l'endroit où tu veux aller ? Changer tes lunettes ne sera pas du luxe... »

Et sourire apparut sur le visage de Caleb en entendant la remarque de sa femme. Il l’avait un peu cherché en lui tournant la situation sous cet angle et à part sourire, il ne pouvait rien dire. Elle l’avait mouché, elle était bien plus douée que lui à ce jeu d’avoir le dernier mot. Du moins quand il n’était question que d’eux. Il aurait pu trouver une petite pique à répondre, mais il n’en avait pas envie. Il était trop content qu’elle accepte de le suivre sans trop poser de question. Il ne savait pas comment aller se passer ce moment, mais il avait bon espoir que tout irait bien.

- On est parfaitement d’accord. Cette situation est vraiment dramatique et ça commence vraiment à me rendre fou. Je n’ai par contre pas vraiment, d’idée sur la façon de s’y prendre. J’ai bien noté des habitations à certains endroits pas trop loin d’ici, mais je ne peux pas dire avec certitude si j’y trouverais vraiment ce que je cherche.

Caleb n’était pas sortie depuis longtemps, mais il savait qu’il n’avait pas vraiment perdu l’habitude. Ce n’était pas quelque chose qu’on était capable d’oublier surtout dans un monde comme celui-ci. Il n’était pas enchanté à l’idée d’aller dehors au milieu du danger, mais il n’avait pas le choix, il fallait le faire et c’était comme ça. Son regard se posait sur sa femme, elle le soutenait comme toujours ou presque. Il était évident que ce ne serait pas chose aisée de conclure cette quête. Mais il fallait y croire, il ne pouvait pas rester avec cette paire de lunettes qui ne lui permettait presque plus de viser correctement. Tout serait tellement mieux si ses yeux n’étaient pas si fatigués par son ancien boulot et qu’il était plus jeune. Enfin, il ne se plaignait pas, il n’était pas totalement aveugle et c’était déjà ça. Il finit par se relever de sa position pour s’éloigner de sa femme, ce ne serait pas évident de sortir dehors avec les températures actuelles, mais le soleil était présent ce qui était un bon début.

- En tout cas, couvre-toi bien, il faudrait éviter de retomber malade ce serait vraiment dommage de s’en être sorti pour devoir à nouveau passer ses journées à dormir dans un lit.

Un sourire apparut alors sur mon visage alors que finalement après quelques minutes de préparation tout avait rassemblé pour que cette expédition se déroule à priori sans problème. Enfin, ça c’était surtout de leurs côtés, il n’était pas à l’abri de tomber sur trop de morts qu’ils ne pouvaient gérer ou des vivants avec une envie de leurs ôtés la vie. Dans le fond, il était resté particulièrement traumatisé par toutes ses bonnes femmes qui en avaient eu après lui. Il ne savait même pas pourquoi ça avait été le cas, après tout Frederik aurait été tout aussi bien pu être désigné comme coupable. Il soupirait doucement en essayant de chasser ses pensées négatives, cela ne servait à rien de se prendre la tête comme ça pour des choses aussi stupides. Il avait enfilé son manteau et ses chaussures, il était couvert de la tête au pied et il était prêt à partir affronter l’extérieur. Il n’était pas très enjoué à cette idée, mais les options lui manquaient et donc la décision avait été prise.

- On est parti alors ?

Il savait que sa question n’était que rhétorique. Il allait faire froid sur la route, mais il ne se voyait pas emprunter une voiture pour ça et ce n’était pas si loin. Il avait de quoi manger un ou deux repas dans leurs sacs alors même s’il ne rentrait que le lendemain ce n’était pas bien grave. Du moins Caleb ne serait pas celui qui se plaindrait s’il ne rentrait pas le soir même. De toute façon, il n’avait rien à perdre à passer la nuit dehors sauf éventuellement avoir un peu plus froid et moins de sécurité que s’ils étaient restés à l’abri du ranch, mais des choses arrivaient sans qu’on puisse y faire quoi que se soit. Caleb l’avait appris à ses dépens depuis un moment. Il souriait doucement à sa femme alors que la route vers l’inconnue arrivait une fois de plus. Chaque jour était synonyme de survie et aujourd’hui le serait particulièrement plus que les derniers qu’il avait passés.

Eileen ne perdit pas de temps et déposa rapidement son plaid et son livre dans leur chambre dès qu'ils y parvinrent. L'espace d'un instant, elle eut envie de rester à l'intérieur, avec Caleb, juste ici et sans bouger. Le fait que la pièce soit habituellement fermée et ce tout au long de la journée garantissait une certaine conservation de la chaleur. À défaut de faire réellement chaud, il faisait au moins une température plus supportable que dans le reste du bâtiment. Malgré tout, ils avaient toutes les raisons du monde de sortir et elle se remit donc en mouvement pour se préparer.
Son mari lui glissa qu'ils allaient devoir bien se couvrir pour ne pas attraper un mauvais coup de froid, et elle ne pouvait qu'être d'accord avec lui. Même s'ils en avaient vu de belles, il était hors de question de tenter le diable. Sans oublier que le sort s'était acharné sur eux depuis le début de l'hiver et qu'ils avaient eu leur lot de problèmes de santé.

« Je crois qu'on a eu notre compte de maladies ces derniers temps...

Si la brune avait été la première à tomber malade, le sénateur avait suivi avec cette petite épidémie qui avait sévi peu de temps après leur arrivée, lorsque tout le monde avait été sur les dents à cause des meurtres qui avaient eu lieu. Par les temps qui couraient, aucun d'eux n'avait envie de se retrouver à nouveau malade, c'était une certitude. La jeune femme sélectionna des vêtements chauds et peu encombrants, enfilant le tout sans attendre. S'ils devaient partir, ce serait immédiat de toute façon. Perdre du temps n'était pas une option.
Elle eut vite fait de vérifier que son sac à dos contenait toujours le nécessaire pour une sortie. À vrai dire, ils ne le retiraient jamais, au cas où ils auraient dû partir précipitamment. Puisqu'il s'agissait d'un sac de randonnée, elle y rajouta un sac de couchage soigneusement roulé qu'elle y attacha à l'aide des lanières prévues à cet effet. Le temps de s'armer, et elle était prête à y aller, comme elle le signala très justement à Caleb.

- Si tu sais où aller, alors oui, on est partis. Je te suis.

Eileen glissa sa main dans celle de son mari, le suivant ainsi jusqu'à l'extérieur. Son seul regret en cet instant était que leurs gants ne permettent pas le contact de leurs peaux. Au moment de sortir, le froid piquant les accueillit. La couche de neige de ces derniers temps avait fondu, et le gel qui se présentait certains jours l'avait remplacée par une couche de glace. Par moments, il y avait encore des chutes de flocons, mais la pluie n'allait pas tarder à reprendre ses droits et les températures à repartir un peu plus à la hausse. Au moins, l'air était pur, et ils risquaient peu de croiser des rôdeurs. Ou du moins, des créatures dangereuses. Le froid avait fait en sorte de les geler, et ils ne pourraient donc pas faire grand chose jusqu'à ce que le vrai dégel n'arrive.
Pas après pas, le couple s'éloignait du ranch. Ce n'était pas un départ définitif, rien qu'une petite escapade. Ce n'était pas leur première sortie depuis leur arrivée, mais c'était sans doute la première vraie sortie qu'ils s'octroyaient ensemble. Il ne fallait pas oublier qu'ils avaient passé un bon moment cloîtrés à l'intérieur par les intempéries... et par la maladie. La campagne hivernale était presque trop tranquille. Ils y étaient habitués, eux qui avaient survécu seuls, mais leur arrivée dans ce groupe les avait aussi habitués à plus de bruit autour d'eux. Et que dire du monde passé, celui qui avait succombé face aux morts-vivants ? Un monde de bruit et d'agitation... Tout cela était bien loin à présent.

- Tu sais... Je crois qu'on a de la chance d'avoir passé autant de temps seuls dehors. Qu'est-ce qu'on aurait à craindre hein ? Mais bon, je t'avoue que je suis heureuse d'être née et d'avoir grandi en Alaska, ça aide à supporter cette vague de froid. »

En réalité, Eileen n'était pas trop affectée par les basses températures actuelles. Elle était bien habillée, et elle avait par le passé connu bien pire. À bien y réfléchir, elle se demanda pourquoi Caleb et elle n'avaient jamais tenté leur chance et traversé le Canada pour s'établir en Alaska. Avec un climat pareil et une faible population, il devait sans doute y avoir bien peu de rôdeurs pour représenter un vrai danger... Il aurait simplement fallu s'adapter aux rigueurs du climat, et cela aurait sans doute été la partie la plus difficile du plan, au moins en ce qui concernait le sénateur.

Savoir était un bien grand mot, il avait une idée de l’endroit où ils allaient, mais il ne savait pas grand-chose de plus malheureusement. Il aimerait pouvoir dire tellement plus à sa femme. Dans le fond, il avait peur, les possibilités étaient nombreuses et une part de lui se disait que tout ça ne se passerait pas bien. Il y aurait une inconnue qu’il n’avait pas prévu en même temps que pouvait-il prévoir ? Il n’était pas météorologue et les rôdeurs n’étaient pas réputés pour être prévisibles non plus en dehors de leurs envies de chair fraîche du moins. Caleb avait quelques pensées noires quand il entendait Eileen demander ce qu’ils avaient à craindre, il avait envie de lui faire une liste longue comme le bras de tout ce qu’il avait en tête en guise de réponse, mais choisi le silence. Il aurait été inutile de la démoraliser, ce n’était pas comme si c’était nécessaire d’en passer par là.

Caleb avait prévu qu’ils devraient marcher un certain temps. Mais en même temps c’était toujours mieux que la voiture. Non pas qu’il n’aimait pas conduire, mais l’essence était quelque chose de bien trop rare et précieux pour la gaspiller bêtement surtout que s’ils avaient à subir une panne mécanique sur le chemin, il aurait bien été incapable de bidouiller quoi que ce soit. Après un moment de marche qui n’en finissait plus, ils arrivèrent enfin à destination. Pour le coup, il était bien content de voir des maisons se dessiner devant lui, il n’avait cependant pas prévu que tout se passerait comme ça. Il y avait visiblement eu le passage de l’homme dans le coin et ceux plus récemment que ce qu’il ne pensait. Il y avait des traces qui ne trompaient pas.

Il ferma les yeux une seconde ou deux avec le faible espoir que tous les signes qu’il avait devant lui ne seraient plus là lorsqu’il les rouvrirait, malheureusement, bien évidemment, ce n’était pas le cas. Il y avait toujours ses mêmes marques autour de lui et il devait se rendre à l’évidence qu’ils pourraient éventuellement tomber nez à nez avec des humains. Une voiture avait traversé cette route, peut être que c’était juste de passage, mais quelque trace de pas autour de la marque des pneus ne pouvait que lui dire le contraire. Cette histoire ne lui plaisait définitivement pas et il ne savait même pas quoi faire vis-à-vis de tout ça. Peut-être qu’ils pourraient faire demi-tour et trouver un autre endroit pour leur sortir, ou peut-être qu’ils devraient continuer. Après tout rien ne leur prouver qu’ils étaient encore là.

- Je crois qu’on ne va malheureusement pas être seul ici. On tente tout de même notre chance ?

Caleb à choisir, préférait sans doute la prudence, mais d’un autre côté, il n’en pouvait plus de cette paire de lunettes dans un état pitoyable, il avait envie de rentrer dans ses différentes maisons et fouiller les lieux. Peut-être que les personnes qui étaient dans le coin étaient parties depuis longtemps et qu’il se faisait du souci pour rien. Ils n’étaient peut-être que de passage pour une nuit ou deux. C’était tellement rassurant de se dire un truc comme ça, mais d’un autre côté, il trouvait inquiétante l’absence de monstre qu’il y avait dans le coin. Trop de choses ne collaient pas à cette hypothèse. Son regard se posait sur sa femme attendant d’avoir son avis. Il avait bien repéré un autre hameau plus loin, mais ça impliquait marcher encore pour un petit moment, ils pouvaient largement le faire ce n’était pas la question, mais peut être que c’était trop tard, peut-être qu’on les avait de toute façon déjà remarqués.

Le nombre d’interrogations dans la tête du sénateur ne faisait qu’augmenter petit à petit. Il sentait ce poids peser sur ses épaules alors qu’il cherchait la bonne solution, mais le jour où Ludwig lui avait dit qu’il n’y en avait pas de bonne ni de mauvaise, il devait se rendre à l’évidence qu’il avait eu raison. Pendant tout ce temps, ils avaient continué de se rapprocher et Caleb devait bien se rendre à l’évidence qu’ils étaient ici pour fouiller alors autant le faire maintenant que le plus gros du chemin avait été fait, ce n’est pas parce qu’il y avait de vieilles traces d’être humain qu’ils sont forcément encore ici.

Le temps était plutôt humide, et cela donnait lieu à un froid des plus désagréables. Il pénétrait les chairs jusqu'aux os. Eileen n'était pas fâchée de s'être bien couverte, mais elle avait l'impression que c'était bien insuffisant. Lorsqu'elle vivait en Alaska, il n'y avait pas une telle humidité ambiante, et c'était donc bien plus supportable et ce même avec des températures inférieures. Le couple marcha de concert, main dans la main. La brune avait l'impression qu'ils étaient seuls au monde, au milieu de la campagne. C'était peut-être un peu le cas. Tout était calme, et de temps à autres un animal se manifestait soit par le cri rauque d'un corbeau prenant son envol, soit par le passage furtif d'une biche ou d'un renard au loin près des taillis. Au retour du printemps, la nature renaîtrait une fois de plus et pourrait les combler de ses bienfaits. Auparavant, c'était un moment qu'ils attendaient avec grande impatience car il facilitait d'autant leur subsistance.
Au bout d'un certain temps, ils parvinrent au hameau que Caleb avait voulu visiter pour trouver de nouvelles lunettes. C'était en général un travail long et fastidieux, car il fallait avoir de la chance pour tomber sur la bonne paire de lunettes. La mauvaise nouvelle fut celle d'un présence humaine difficile à déterminer dans le temps. Cela donna naturellement lieu à un certain nombre d'hésitations sur la bonne conduite à adopter.

« Je ne sais pas... Les traces dans la boue sont gelées. C'est difficile de savoir s'ils sont encore là ou non.

Le piétinement ne facilitait en rien ce diagnostique. Ils avaient vécu comme des nomades solitaires, avaient appris beaucoup de choses en matière de survie, mais ils étaient loin d'être des Sioux pour autant. Ils n'étaient pas forcément des traqueurs ou des pisteurs aguerris. Avec ce qu'ils avaient sous les yeux, il était compliqué de savoir si oui ou non ces étrangers étaient repartis de ces maisons. Même en ayant intégré un camp, le couple restait méfiant à l'égard des autres vivants. Ils avaient sans doute moins de souvenirs positifs que négatifs avec des étrangers.
Doucement, la brune pressa la main de son mari dans la sienne, puis la relâcha. Elle vint se pencher sur les traces, sourcils froncés, essayant de toutes ses forces d'y lire quelque chose. En vain, elle ne parvenait pas à en savoir plus. En désespoir de cause, elle leva les yeux vers la maison la plus proche, tâchant de sonder les fenêtres pour déterminer si quelqu'un les espionnait, pour essayer de surprendre le coup d'oeil d'un inconnu. Son attention finit par se retourner vers le sénateur.

- Qu'est-ce que tu en penses ? On cherche plus loin ?

Sans doute ne fournissait-elle pas de réponse satisfaisante à ses propres interrogations. La jeune femme le savait et offrit un sourire d'excuse à son compagnon. Prenant une longue inspiration d'air glacé, elle finit par se remettre en marche. Elle fit le tour de la maison avec mille précautions, craignant que quelqu'un ne se manifeste pour l'attaquer. Son attention était tournée en particulier vers les fenêtres, craignant d'y voir apparaître le canon d'une arme. Pour l'heure, tout restait calme. Son observation ne lui laissa voir aucun signe de présence humaine quelconque. En dehors des traces, rien ne semblait indiquer que quelqu'un puisse se trouver là.
Revenant vers Caleb, Eileen secoua doucement la tête comme pour lui dire que la voie était libre. Ils ne pourraient rien savoir de plus en restant à l'extérieur de la maison. Sauf, bien entendu, dans l'éventualité ou un inconnu aurait l'obligeance de se manifester soudainement pour les prévenir de sa présence. La brune avait capté l'air dépité de son mari, et elle voulait lui éviter ce genre de déception. Chercher plus loin serait sans doute fastidieux, et dans toute survie il y avait une part de prise de risque.

- Sinon... On peut jeter un œil et si ça semble trop dangereux, on ira voir ailleurs. »

La jeune femme désignait la porte d'entrée. Ils devraient pénétrer dans la maison s'ils voulaient avoir le cœur net de leur impression et de leur crainte. Ces traces ne suffisaient pas, un examen extérieur des lieux ne leur avait rien appris. Ils n'avaient plus qu'à entrer pour affronter un éventuel danger, que ce soit en trouvant la clé ou en forçant la porte. À moins bien sûr que celle-ci ne soit déjà ouverte...

Eileen proposait de tout de même fouiller les alentours et pour le coup, il ne pouvait pas dire non. C’était d’après lui la meilleure des choses à faire. Ils étaient ici, il aurait été stupide de changer d’avis. Peut-être que c’était dangereux, mais en soit la vie l’était. Il jeta un regard relativement inquiet à sa femme alors qu’il était en train de faire son inspection dans son coin. Il était arrivé à la même conclusion qu’elle. Rien ne pouvait lui faire conclure que cet endroit était habité et ils n’avaient alors pas beaucoup d’options et pour lui, il trouvait ça plus logique de rester et de fouiller plutôt que de partir. Il s’en rendrait bien assez vite compte si des survivants étaient dans le coin, il faudrait espérait qu’ils ne seraient pas trop mauvais et qu’ils pourraient s’en sortir en vie, il n’avait pas spécialement envie de laisser sa peau ici. Finalement après avoir réfléchi un moment, il décida de confirmer ce que sa femme lui avait dit un peu avant.

- On est là, ça serait stupide de faire demi-tour. Je suis presque persuadé qu’un autre endroit ne sera guère plus rassurant que celui-ci si on réfléchit un peu. Le monde n’est plus rassurant…

En vérité, Caleb avait presque envie de dire qu’il ne l’avait jamais été, mais pour le coup, il n’avait pas vraiment à se plaindre de ce dernier de ce qu’il était par la passé, mais s’il avait eu des gardes du corps c’était bien évidemment à cause de ça. Les gens avaient toujours été fous, certains plus que d’autres, il savait qu’il pouvait compter sur sa femme et c’était bien la seule chose dont il était totalement certain. Il finit par se diriger doucement vers la porte. Il avait glissé sa main à l’intérieur de son manteau pour récupérer son arme à feu avant de retirer la sécurité, l’armer et se diriger vers la porte. Il ne voulait pas risquer de se faire surprendre par qui que ce soit. Doucement, il tenta d’actionner la poignée, cette dernière s’ouvrit l’air de rien, lui signalant par la même occasion qu’elle était ouverte. Il n’aimait définitivement pas ça, mais il ne pouvait rien dire ou faire de plus. Il jeta un coup d’œil plein d’inquiétude à sa femme avant de regarder le hall d’entrée de la maison. C’est à pas de loup qu’il s’aventura dans ce dernier sans savoir sur quoi il pouvait tomber. La peur n’avait de toute façon plus sa place dans la survie. Au milieu de la pièce, il se tourna une nouvelle fois en direction de sa femme lui indiquant qu’il n’avait rien d’extraordinaire pour le moment et l’invitant alors à le suivre.

- Pour le moment, ça m’a surtout l’air désert.

Il avait parlé à mi-voix inquiet de ce qu’il pouvait réveiller en parlant trop fort. Il ne sentait pas d’odeur de décomposition, mais il savait que trop bien que ça ne voulait rien dire. Il avait peur de ce qu’il pouvait trouver ici et partir à la recherche de lunette n’était sans doute pas évident. Peut-être qu’il aurait dû trouver une maison de retraire, ou les bureaux d’une société peut être même qu’il aurait dû chercher du côté des rodeurs, mais il était invraisemblable de trouver un rodeur avec une paire de lunettes en état. Il refoula rapidement cette pensée dans un coin de sa tête avant de se reconcentrer sur ce qu’il y avait dans cette maison. L’endroit n’était pas sale, il était même plutôt propre quand on y regardait de plus près et c’était inquiétant de voir ça. Peut-être qu’il aurait dû faire demi-tour, peut-être que les survivants allaient revenir d’un instant à l’autre et les trouver ici. Caleb n’était pas rassuré à cette idée.

- Je ne sais pas ce que tu en penses, mais je trouve cet endroit un peu trop propre. Je me fais peut-être des films, mais c’est étrange.

Tout en parlant, Caleb commençait doucement à fouiller. Il avait remis la sécurité de son arme à feu et l’avait remis en place pour avoir les mains libres. Il était prêt à retirer sa machette de sa ceinture si un rôdeur se promenait pas très loin de lui, mais dans le fond, il savait qu’il n’en aurait sans doute pas besoin ici. Le silence était définitivement trop pesant à ce moment précis, mais il se devait de le rester pour ne pas se retrouver avec des ennuis encore plus grands. Peut-être qu’il y avait des vivants dans cette maison, il n’en savait rien.