Ça tirait encore. La longue ligne de points de suture qui suivait toute sa clavicule droite, à la base de son cou. Vestige d’un affrontement trop récent qui l’obsédait encore chaque nuit. Le bandage blanc était à moitié visible au-dessus du col de son tee-shirt, à l’instar de celui qui entourait son avant-bras. Le reste était caché, les bleus sous le tissu, les points sous la tignasse qui masquait ses tempes, mais elle en ressentait encore les tiraillements. Joy ne l’avait pas ratée, mais elle était là, prêtre pour cette expédition, en dépit des protestations de Lisandro. Selene avait dû promettre de ne pas trop en faire et de se cacher derrière Duncan si jamais ça tournait au vinaigre. Elle avait accepté, pour faire plaisir au chilien, sachant pertinemment qu’elle ne serait jamais la dernière au front.

Ils avaient pris deux véhicules en partant de la prison la Jeep et le chevrolet, toutes les deux suffisamment grandes pour être remplies à décemment. Malheureusement, la progression des voitures s’arrêta devant une grande grille en apparence verrouillée. Echangeant un regard au viking, à qui elle avait confié le volant, la musicienne descendit la première. Aux aguets, une main déjà resserrée sur le manche de son couteau mais sans le dégainer, elle s’approcha pour vérifier que le portail était bien fermé.

Bon… premier obstacle. La chaîne et le cadenas n’avaient pas été suffisamment altérées par le temps. La bonne nouvelle, c’était que si c’était fermé ici, alors l’intérieur était resté plus ou moins intact. A moins que quelqu’un n’ait replacé le verrou plusieurs mois après le début de l’épidémie, après avoir pris ses aises. Dans tous les cas, le problème restait le même :

- On va devoir trouver comment entrer, souffla-t-elle machinalement aux autres qui devaient déjà avoir compris.

Quel grand véhicule, ça changeait de la moto ! Bien installée côté passager et carte sous le pif, le duo féminin ouvrait la marche à quatre roues en direction de la base, une seule entrée semblait convenable selon leur tour de repérage, encore fallait-il passer cette grille. Le véhicule maintenant arrêté, la russe ne se fit pas prier pour descendre et s'empressa d'ouvrir le coffre pour récupérer tout son matériel. Les holsters contenant ses deux pistolets étaient en place, de même pour ces précieux couteaux à sa ceinture.

Veste en véritable cuir maintenant sur le dos, elle enfila ses mitaines du même acabit. Son grand sac de randonnée était presque vite, il ne contenait qu'une lampe torche, deux grenades fumigènes récupérées au No Man's Land, un lot de serres-câbles, deux bouteilles d'alcool au deux tiers vides, chiffrons et jumelles. Jumelles qu'elle s'empressa de déposer dans les mains de Riley alors qu'elle s'avançait vers la fameuse grille, sa pince coupante bien tenue entre ses doigts tatoués.

"C'est déjà tout trrrouvé." Avait-elle oublié de lui parler de cette grille fermée ? Sans doute. Dans tous les cas, elle s'empressa de s'exécuter avec sa pince et s'occupa de faire sauter la chaîne qui semblait moins résistances que le gros cadenas. "Et voilà ! Ça me rrrappelle ma jeunesse !" Aaaah Moscou.. tant d'aventures borderlines...

"On planque les véhicules dans un coin avant de fairre un petit tourr à l'intérrrieurr ? On est pas cerrrtains d'êtrrre seuls, je prréférrrais jouer la carte de la discrrétion. Vous en pensez quoi ?" Au cas où, c'était une idée et le coin ne manquait pas de verdure et de bois pour y planquer deux véhicules facilement non loin.

Dès leur descente, la militaire avait armé fusil d'assaut et pistolet, faisant un rapide décompte des balles qu'il lui restait, elle se pris à être optimiste. Deux chargeurs, c'était Byzance. Une fois sa propre check-list terminée, elle se contenta d'un hochement de tête pour Roza et sa pince coupante, avant de sortir les talkies-walkies récupérés à la prison qu'elle distribue à l'ensemble de leur groupe. L’ambiance était pesante, d’autant plus pour elle, de retour au point de départ de son errance. Elle avait pris cette route pour survivre il y a de cela deux ans, la voilà à présent qui se jetait dans la gueule du loup dans l’espoir d’y trouver de quoi survivre un peu plus longtemps.

“Pour les véhicules… Les mettre de l’autre côté de la barrière une fois qu’on l’aura ouverte ça peut-être pas mal. Avec des feuilles et des branches et en refermant, on devrait pouvoir les retrouver facilement.” S’ils étaient leur seul moyen de s’enfuir, il fallait les sécuriser au mieux. Même si c’était totalement utopique dans le cadre actuel. La question n’était pas de savoir si ça allait se compliquer, mais quand, et d’anticiper. Elle aura jeté un oeil à la horde proche, venant maintenir chaîne et cadenas, autant pour assister la Russe que pour éviter qu’elle ne glisse entre les mailles de la grille dans un vacarme littéralement mortel. “On va éviter de sonner l’alerte hein…” aura-t’elle glissé à sa comparse avant de reprendre “Ca a été installé après…” désignant le portail d’un petit geste de la tête, avant d’épauler son fusil à la recherche d’autres anomalies entre leur situation et ses souvenirs. Inutile de préciser l'après, la Russe avait eu droit au résumé de son histoire. Et l'épidémie n'allait pas épargner une base pour une raison inconnue.

“C’que je donnerais pas pour un Reaper…” faisant référence aux drones espions de l’US air force, elle se prit à regarder le ciel une brève seconde alors qu’elle étudiait les arbres à la recherche d'éventuels dispositifs et se rendit à l’évidence, elle n’avait jamais eu autant la sensation qu’à cet instant, voler lui manquait.

Résumé:

A la bonne heure : Roza avait de quoi résoudre leur problème. Pensive, la musicienne s’écarta de quelques pas pour lui laisser le champ libre. S’ils n’étaient pas certains d’être seuls ? Effectivement, c’était plus qu’une probabilité, parce que Selene avait l’impression que le cadenas était un peu moins abîmé que le reste. Dans la mesure où les rôdeurs ne savaient pas utiliser leurs dix doigts pour autre chose qu’agripper une proie, cela signifiait que quelqu’un avait voulu empêcher des vivants de rentrer. Quelqu’un qui pouvait encore être là, ou pas.

La pianiste récupéra le talkie que lui tendit Riley, le régla sur la fréquence qu’ils avaient choisi et prit son sac sur la plage arrière de la voiture. Munitions, lampe-torche, bouteille d’eau, rien d’extraordinaire. Dans son état, elle avait préféré un équipement léger plutôt que de s’encombrer du M4 dont le recul lui ferait plus de mal que de bien. L’ancienne militaire distribuait des premières directives que la benjamine du lot approuvait silencieusement. A la vue des rôdeurs au loin, mieux valait s’assurer qu’ils ne viendraient pas les prendre à revers, donc rentrer les voitures, les cacher et fermer le portail. Elle confirmait aussi son sentiment que les lieux pouvaient être habités.

- Je m’occupe des voitures, informa-t-elle après la demande de Duncan.

Evitant au maximum de faire vrombir le moteur pour ne pas attirer l’attention des cadavres, la jeune femme manœuvra en suivant les signes de la russe, pour aligner les deux gros véhicules dans un coin moins évident à déceler.

- Si vraiment on est chez quelqu’un, on devrait se dépêcher de se mettre à couvert.

Peut-être qu’ils avaient eu de la chance, qu’ils passaient entre deux rondes ou qu’un type allait soudainement avoir envie de se promener jusqu’ici. Prudence est mère de sûreté qu’on disait et pour l’instant, en dépit des apparences de calme plat, ils n’étaient pas en safe zone.

Talkie maintenant en main, elle le glissa à sa ceinture et s'en retourna vers ses collègues dans une fine grimace. Recouvrir les véhicules de branchages ? L'idée lui semblait bien trop longue et surtout peu adaptée avec un seul bûcheron débutant dans l'équipe. Elle rejeta alors aussitôt la proposition, peu envieuse à l'idée de passer autant de temps à découvert pour un résultat qui ne serait aucunement efficace vis à vis des locaux du coin qui connaissaient logiquement un minimum leur terrain.

"Si on a un ennemi dans les airrrs, on peut en effet planquer les bagnoles avec des feuillages, pour leurrrrer un hélico.. mais là, sur la terrrre, si y a du monde ici et qu'ils connaissent leurrr pérrimètrrre, le subterrrfuge ne passerra pas, et on manque clairrrement de temps pour fairrre ça bien." Elle désigna ensuite un petit bâtiment juste à côté d'eux dans la grande cour et qui ne semblait par chance pas coller à la grille. "Garrre toi là bas, entre le grrrillage et le bâtiment, ce serrra assez bien planqué comme ça. Rien de mieux qu'un bon mur pour cacher deux gros engins !

Selene sembla valider cette idée et s'exécuta avec l'aide de la russe pour effectuer des manœuvres qui se voulaient efficaces. La slave s'approcha ensuite de la fameuse grille pour la fermer temporairement à l'aide d'un simple serre-câble de bonne longueur, jugé suffisant pour retenir quelques morts. Pour leurrer les possibles vivants du coin, elle récupéra la chaîne et le cadenas dans les bras de Riley et disposa l'ensemble autour de la grille pour cacher son serre-câble. Une feinte visuelle de type trompe l’œil, un simple subterfuge là où la prudence était d'or en ces temps d'apocalypse !

"Je prrropose qu'on longe les grrrilles pourrr éviter de s'exposer en plein centrrre. On peut se découper en deux équipes. Le prrremier qui trrrouve quelque chose d'intérrressant prrréviens les autrrres. Ou alorrs on prrrogrèsse tous ensembles ? À votrre convenance !"