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Le partenaire de son agresseur avait repéré l’arme et s’était jeté dessus avant que la musicienne n’ait plus pensé à le faire. Mue par un réflexe de survie, elle bondit de côté mais une morsure au niveau de la hanche lui indiqua qu’une balle l’avait éraflée. Encore trop sonnée pour tenir sur ses jambes, Selene était tombée, le choc de la chute lui coupant brièvement le souffle. Elle entendit Simon hurler, se jeter sur le dénommé Kylian et alors attirer l’attention du violeur potentiel. Ce dernier hésita longuement entre sa proie, prostrée au sol, ou le blondinet qui refaisait le visage de son ami à coups de crosse.

Son choix fut fait. Il traîna sa jambe blessée vers le trentenaire pour le plaquer lourdement. La pianiste n’entendait plus que des grognements de mâles en pleine lutte et le bruit sourd des coups échangés. Elle sentit une tension lui traverser la colonne, l’urgence à l’état brute : s’il arrivait quelque chose à son complice, c’était de sa faute. Soufflant pour expier la douleur, elle rassembla ses forces pour se remettre sur pieds. Le monde tanguait encore, une migraine venait écraser l’arrière de son crâne.

Avec le peu de luminosité qui régnait, les autres n’étaient que des ombres. Il y en avait une étalée au sol, le visage tuméfié, qui poussait des gémissements étouffés et avait toutes les difficultés du monde à reprendre ses esprits. Les deux autres se battaient sauvagement, dans une telle confusion qu’il était difficile de voir qui avait le dessus et où était passé le revolver.

A la première occasion, Selene feula comme un grand félin enragé et enfonça profondément son long couteau dans le dos d'Eric. Il perdit immédiatement toute l’emprise qu’il pouvait avoir sur Simon, momentanément paralysé, et fut dégagé sur le côté, repoussé par le plat du pied de la jeune femme. Ce mouvement lui fit perdre l’équilibre ; elle manqua à nouveau de tomber mais se raccrocha à un plan de travail de ce qui était autrefois une cuisine. Là, elle toisa les deux hommes, ensanglantés, meurtris, cloués au sol. Son cœur battait à tout rompre, sa propre respiration était saccadée, bruyante.

- Je vous avais dit de partir, souffla-t-elle entre deux expirations.

Son regard était froid, dur, impitoyable. Son crâne bourdonnait de voix contradictoires, à l’affût de ces moments de transe violente pour revenir l’influencer. Sa dernière victime tenta de se redresser pour lui cracher des insultes au visage – sans doute – et reçut un talon dans la mâchoire qui le réduisit immédiatement au silence. Avec un calme glaçant, Selene tourna brièvement la tête vers Simon en tendant une main.  

- Donne-moi le flingue.

Elle attrapa l’arme en dépit des réticences de son ami. Le souffle court, la musicienne vérifia le chargeur et le réenclencha pour faire monter une balle dans la chambre. Si elle comptait les laisser là ? Juste se casser alors que ces enfoirées étaient à une poignée de mètres de leur refuge ? Au mieux, ils crèveraient lentement pour devenir deux rôdeurs de plus qui pourraient dévorer l’un un jour prochain. Au pire, ils survivraient et risquaient de revenir se venger. Alors il n’y avait pas de place pour l’hésitation. Plus maintenant.

- Sors si ça te dérange, je te rejoins, rétorqua-t-elle froidement.

Non. Ils n’avaient pas compris et quand bien même, ils n’y couperaient pas. Malgré toute la sagesse qu’elle avait pu acquérir ces dernières années, certaines névroses avaient la vie dure. Ils n’étaient plus à l’époque de la demi-mesure et de l’à peu près. Ne pas agir, c’était agir indirectement et parfois, ça avait des conséquences dramatiques. Selene ne souhaitait pas à Simon de le découvrir à la dure, elle pouvait porter ce fardeau pour lui. Ses yeux glacier toisèrent un instant ses deux victimes ; déjà prostrées, déjà vaincues.

BLAM. BLAM. BLAM. BLAM.

Deux balles chacun dont les échos résonnèrent douloureusement dans la cuisine désaffectée, dont une dans la tête. Ils allaient devoir filer dans la seconde : si des charognes n’étaient pas loin, elles pourraient avoir entendu et ils n’étaient pas en état de se dépatouiller d’une horde. Difficilement, la pianiste remit la sécurité de son arme pour se remettre en mouvement, une main plaquée sur sa hanche blessée. Pas un mot de plus ne lui échappa. Elle devait digérer ce qui venait de se passer : une simple sortie de routine qui vrillait en confrontation à mort avec des inconnus. Ce ne fut qu’à l’extérieur qu’elle consentit à desserrer les dents.

- On avait pas le choix. Tu as vu ce qu’ils allaient me faire ? Ce qu’ils t’ont fait ? A la lumière du jour, les dégâts causés par les coups reçus par le trentenaire étaient effarants, ce genre de type ne peut plus vivre avec des gens normaux, ils ne respectent plus rien.

Ce n’était pas l’ouverture d’un débat, c’était une affirmation. Selene n’était de toute façon plus à un monstre près dans ses placards. Ceux-ci ne la hanterait alors pas bien longtemps : ils s’ajouteraient à son cortège de fantômes, avec les autres…