Prenant ses aises sans réellement se demander si son attitude est correcte ou non, il débouche l’une des bouteilles de liqueur et s’en offre une bonne rasade, grimaçant tout de même face à l’amertume de cette dernière avant que le sucre lui emplisse tout le gosier. Non, ce n’était définitivement pas sa came, mais à défaut d’autre chose, ça lui allait. D’ailleurs, il n’avait jamais été trop porté sur l’alcool en règle générale. Pourquoi il avait picolé autant déjà? Et pourquoi il pensait autant? Et pourquoi? La voix de Pipas le sort de ses songes, pas très profonds soit dit en passant et il ouvre la bouche pour répliquer quelque chose… qui ne vient pas. À la place, son visage s’illumine d’une franche admiration et d’un enthousiasme certain. “Mais c’est du génie!” S’exclame-t-il avant que quelques coups contre le mur de la chambre le fasse grimacer. Le garde forestier se fige, attendant une colère qui ne vient pas et il appose un index sur ses lèvres comme pour signifier à l’homme de se taire alors que c’est lui qui fait tout ce raffut. “Une paire de jumelles, un fusil dans une main, qu’est-ce qui pourrait mal tourner?”

Il se redresse légèrement prêt à en découdre avec une menace fantôme. Mimant un fusil, il va même jusqu’à ponctuer ses gestes de petits bruits caractéristiques d’arme à feu. “Mais c’est à l’autre bout du camp” grimace–t-il soudainement en testant sa motivation avec une nouvelle gorgée d’alcool. “Et faut grimper une échelle” Pas sûr qu’il soit en état de faire tout ça. C’était un risque à s’arrêter pisser contre un tronc d’arbre et à s’endormir debout ça. Et s’il est désireux, pour une fois, de jouer le militaire, ça l’ennuierait qu’on le retrouve demain le soldat à l’air.

Finalement, il s’affale de nouveau dans les oreillers, une main derrière la tête. Fronçant les sourcils, il tire de sous les draps un morceau de tissu et sans même l’identifier comme une petite culotte la jette sans viser, cette dernière atterrissant sur l’épaule de son camarade. “Ça te plairait à toi? De faire le pied de grue dans le froid à surveiller la côte? On doit s’faire chier en fait.” Un peu comme eux maintenant mais il est trop rond pour s’en rendre compte. Et louchant sur l’homme, il pointe son épaule du doigt. “T’as un truc là”

Il acquiesce frénétiquement quand il lui annonce que son idée c'est du génie. Bien sûr que oui, c'est du génie. Il n'est pas du genre à dire de la merde, non ? Il ferme les yeux, les rouvre un peu plus mollement ; le choc chaud froid étant en train de terminer de le cuire. Entre l'alcool et l'heure avancée, il ne manque pas de somnoler. Mais l'intervention suivante du blond ne manque pas de le réveiller, il s'agite, se relève un peu de sa position où il était littéralement vautré sur ce lit qui n'était pas le sien, et il rétorque :

" Hein, hé, non ! Fusil, bouteille dans la main " il glousse avant de reprendre, avec un peu de retard : " T'es con mec, qu'est-ce que tu veux voir de nuit avec des jumelles ? " il met ses poings devant ses yeux, fait mine de regarder dedans comme si c'était des jumelles, mais en ayant les poings fermés. Il reprend d'un ton un peu barré, imitant un ton alcoolisé alors qu'il l'est clairement lui même : " Hey, hey Jerem' ! J'vois rien Jerem' ! " il rit un coup de sa propre connerie, probablement trop fort, avant d'écouter l'objection de son camarade.

Encore de la marche ? C'est mort, il a clairement la flemme. Alors, il ne manque pas de lui dire :

" Trop loin, trop dangereux. On a qu'à... attendre là, non ? " et il acquiesce frénétiquement quant à l'ennui supposé d'être à un poste de garde. Oh que oui, et il a déjà assez donné dans le domaine.

Il se fige quand il lui annonce avoir un truc sur l'épaule. Il est tellement inhibé qu'il ne l'a même pas senti atterrir. Sans perdre de temps, il expulse instinctivement le sous-vêtement, puis, une blague lui vient à l'esprit, et il tourne sa tête vers l'autre pour lui demander :

" T'es magicien ou quoi ? " il fait mine de regarder sous son pantalon, avant de demander : " Comment tu m'as enlevé ma p'tite culotte ? " et il éclate de rire à sa connerie éclatée, qu'il ne trouve hilarante que parce qu'il a un peu trop bu.

Se redressant encore plus droit, il mime un salut militaire très approximatif - c’est qu’il lui avait toujours apparu comme des bouffons dans ce genre de gestuelle - et baragouine un “Chef oui chef” en tentant de réduire le volume sonore. Non pas qu’il veuille réellement préserver le sommeil des habitants de la maisonnée, en tout cas pas dans son état, mais il avait clairement trop la flemme de se bouger les miches pour chercher un autre port ce soir. Arquant un sourcil d’incompréhension à Ignas, il pouffe. “C’toi qu’est con, on est à TR mec, y’a des jumelles ther… infr… enfin des jumelles pour voir la nuit quoi. Faut juste espérer qu’une greluche ou deux aient les ovaires de prendre un bain de minuit et…. ouais non, j’vais pas terminer cette vanne, ça fait vraiment gros sexiste pervers dégueu” finit-il par capituler en se laissant retomber dans les oreillers, s’offrant une gorgée supplémentaire.

Il lève un pouce à la proposition de rester là, à moins qu’il en confonde un instant avec le majeur dans un mauvais réflexe mais quand il louche sur sa main, aucun doigt n’est levé. Tant pis. Il hausse les épaules pour lui-même, avant de les hausser une nouvelle fois dans un rire gras. “Jeremiah Houdini qu’on m’appelle, magicien de l’apocalypse, aucune culotte ne lui résiste!” avoue-t-il théâtralement, ne se rendant même plus compte à ce stade-là de son degré de connerie et de beauferie.

Les discussions profondes - ahem- continuent quelques heures encore, et, son inconscient l’espère, bon nombre dont le garde forestier ne se rappelera pas demain. Quoi qu’il en soit, au petit matin, quand le soleil éclaire à peine la chambre mais que la porte de celle-ci s’ouvre sur une tierce personne, cette dernière a la surprise de découvrir deux crétins alcoolisés vautrés l’un à côté de l’autre sur le lit, bouteille encore à la main, ronflements du bienheureux qui cuve d’un sommeil sans rêve, et, heureusement pour leur orgueil, encore habillés.

HRP :