“J’me rappelle déjà plus du premier alors le second….” se marre le garde forestier en laissant son esprit dériver un instant sur le petit bout de femme qui avait su se frayer un chemin par delà les barricades. “Ouais bah quand l’empire britannique est brune aux yeux bleus et possède autant d’arguments de poids, tu te couches mec!” Se défend-il faussement avec ce sourire de parfait con qu’il a parfois. Ouais, et plutôt deux fois qu’une, une fois l’orgueil ravalé.

Jouant distraitement avec son verre désespérément vide, ce dernier finit par rouler sur lui-même et se rapprocher dangereusement du bord de la table. Dans un geste que la quadragénaire pense rapide mais qui doit se dérouler presque au ralenti, il le rattrape au moment où les lois de la gravité l’emporte au sol et se penchant, soupire de soulagement. Relevant son museau à hauteur de table, il lève triomphalement le précieux Graal avec un sourire ravi. “Réflexe!” Reposant le précieux sur la table, il fronce les sourcils. Comment ça six raisons d’aller tremper son biscuit? “Mais nooooon, j’en ai qu’une et j’éviterai toute allégorie avec le thé sous prétexte qu’elle est anglaise” souligne ce dernier rapport au biscuit. “Et pis sous-estime pas les lesbiennes, elles peuvent être vachement dangereuses…” Ok, celle-ci, il le sait pas vraiment d’où il la sort mais certainement pas de sa matière grise. Enfin… plutôt jaune avec tout l’alcool ingurgité.

“Tue pas le peu d’fun qui nous reste mec! On a une mission sacrée. Même deux! La première, trouver du stock!” Affirme-t-il alors qu’il voit les chaises être mises sur les tables vides. “Allez, on migre Captain’!” Scande-t-il en se redressant prestement, se rattrapant à la table tellement tout tangue autour de lui. “Putain, ils déconnaient pas en affirmant que la Terre tourne…” Attendant que sa vision revienne à la normale, il fait signe à son nouveau pote de le suivre et se faufile déjà vers l’extérieur.

Dehors, il regrette de ne porter qu’un pull car le froid hivernal lui glace le sang. Il a au moins le mérite de lui remettre un minimum les idées en place. Un minimum seulement. “Ok heu attends…” commence le grand couillon en jetant un coup d’oeil aux différentes rues. “Par là” pointe-t-il sur sa gauche en se dirigeant sur la droite.

" Les flingues putain. Le deuxième, c'est les flingues. Comment tu peux pas savoir ça ? T'es... un p'tain de cali, ou quoi ? Sans ça on aurait été... " il a un moment d'absence, alors que l'autre donne des précisions quant aux tenants et aboutissants de ses obligations impériales. Ces dernières lui permettent de trouver l'exemple parfait : " Ah bah, ouais t'as raison ; sans ça, on aurait été comme les anglais ! Tu t'imagines, juste avec ton couteau de poche pour te défendre contre ce bordel ? Ah non, ils avaient même pas le droit d'avoir un couteau ces cons ! Elle a choisi l'bon continent pour la fin du monde ta belle "  

Il regarde le sketch de l'autre, table sur la table de joie quand il voit qu'il parvient à rattraper son verre in extremis. Putain, ça c'est un gars qui prend des risques et assure derrière. Il commente son injonction par une autre, en le gratifiant : " Machine ! "

Il acquiesce sérieusement et pensivement à sa prochaine affirmation, l'autre lui admettant que c'était un mec sérieux et réglo. Il esquisse un soupir, avant de répondre à l'autre : " J'sais bien, j'sais bien " d'un air qui se veut être pensif et sage, alors qu'il donne juste l'impression d'être simplement ravagé.

Quand vient le moment de bouger, il se ne se fait pas prier ; il se lève vigoureusement, tangue un peu avant de se stabiliser et de pouvoir répondre à l'autre :

" Oh bordel, oui. Allez, j'te suis, c'toi l'ancien " arrivé trop récemment pour avoir tous les bons plans, il allait devoir faire confiance à son nouvelle associée dans cette noble entreprise qu'ils entamaient en cette froide soirée. à vrai dire, il risque même d'avoir du mal à retrouver la baraque qui lui a été assigné.  

Leur périple commence alors ; il pointe une direction, part dans l'autre. Silas se presse un peu pour le rattraper donc, puis qu'il a fait un faux départ dans  la mauvaise direction. Le froid ne tarde pas à l'attaquer, n'ayant pas de veste mais simplement un hoodie grisâtre délavé. Alors qu'ils marchent, ou plutôt qu'ils titubent, vers il ne sait où, il en profite pour lui demander :

" Tu t'plais bien ici ? ça fait c'bien de temps qu't'est là, cali-fuckboi ? "

“San Diego baby” avait-il affirmé avec une petite pointe de fierté en se foutant pas mal  de ne pas connaître les amendements de ce foutu pays, Californien ou non. Quant au choix du continent, il est vrai qu’il n’était pas mécontent que Layla ait fini de ce côté de l’océan.

L’extérieur leur tend les bras et titubant plus qu’il ne marche en direction du premier point d’intérêt de cette soirée, il ne remarque pas qu’il a perdu son compagnon qui ne tarde pas à le rattraper pourtant. Tentant de se repérer alors que ses sens le trahissent, il a rapidement l’impression de tourner en rond. Chaque maison ressemble à la précédente et il fronce un instant les sourcils avant de baisser les yeux vers ses pieds qui ne bougent pas. Oh! Remontant son regard vers la maison, c’est effectivement parce qu’il reste plantée devant la même depuis tout ce temps qu’elles semblent toutes similaires.
Coupé dans son élan par son comparse, il se remet en branle. “Un an, quasiment jour pour jour mec.” Encore une raison de plus de picoler! “C’était pas évident au début, j’étais habitué à être seul et tout. La foule… blablabla… j’suis resté cloîtré un moment dans ma baraque et pis… bah… j’suppose que j’ai évolué à un moment donné. Mais tu verras c'est cool.” Il ne pensait plus tous les quatre matins à foutre le camp comme au début en tout cas.

Arrivant à destination après trois tours inutiles de quartier qui ont pu leur prendre deux minutes comme vingt, toute notion du temps perdue, il s’accroche à l’épaule de Silas et le tire vers le bas pour l’inciter à se planquer derrière une haie. Maintenant accroupi, il lui fait signe de se taire et marche comme une poule derrière les buissons qui donnent sur un jardin. “Maintenant, c’est opération commando. On rentre, on trouve la picole et on ressort. Ni vu ni connu. Easy peasy…..et tout le reste…” Et d’un mouvement qu’il pense souple, il se redresse pour enjamber la haie.

Se prenant les tibias dans celle-ci, il se vautre vers l’avant et fait un rouler bouler ridicule de l’autre côté du feuillage, atterrissant durement sur la pelouse du jardin. Étouffant un cri et accusant le coup, il voit la trogne de son compagnon apparaître au-dessus de lui, toujours étalé au sol. “T’étais aussi grand y’a genre deux minutes?” Demande-t-il le plus sérieusement du monde.

Un an ? S'il était sobre, peut-être que Silas aurait réagit autrement. Un an, c'est peu dans une vie mais techniquement beaucoup dans ce nouveau monde. Qui n'est plus si nouveau que ça, d'ailleurs, mais voilà. Quand il annonce qu'il s'agit d'un quasi-anniversaire, l'ancien militaire écarte les bras et son visage s'illumine ; mais il n'a rien à dire, il lit sur le visage de l'autre qu'ils pensent à la même chose. C'est une occasion qui ne peut que se fêter. Il glousse à son commentaire suivant, et lui demande :

" Tout seul, tout seul ? P'tain, t'as dû t'faire chier comme un pauvre frère, mon rat " il ne capte même pas la dissonance entre sa pensée et ses mots. L'alcool a de bon qu'il n'y a plus vraiment besoin d'être exact pour être compris. avec les bonnes personnes, évidemment ; sans quoi, il en serait peut-être déjà venu aux mains. " ah bah t'inquiète, j'm'y fais plutôt pas mal "

Quand il sent le contact de son camarade, il se fige. L'espace d'un instant, le flamme que le feu de la guerre a créé en lui se ravive. Il capte ne serait-ce qu'une infime lueur de la lucidité absolue que l'état de combat apporte, avant que les mots viennent éteindre tout ça. Il glousse, veut glisser un " t'es con " mais n'en a pas l'occasion avant que l'autre se prenne pour un putain de delta. Puis, il le voit faire un pas, il se dit directement qu'il aurait plus affaire à jarhead un peu plus frappé que les autres. Puis, il le voit chuter, et il éclate de rire. Mais quel zgeg, pense-t-il très fort.

Il ne tarde pas à le rejoindre, se met au dessus de lui, et lui demande :

" Commando, hein ? Des forces spéciales ? Très spéciales pour le coup j'dirais " il lui tend son avant-bras pour l'aider à se relever, avant qu'il ne regarde la batisse qui leur fait face. C'est à ce moment qu'il a la bonne idée de demander :

" T'es pas en train de m'embarquer dans un plan qui risque de nous faire finir la nuit au trou, rassure moi ? C'est chez qui, ça ? Y doit s'demander c'qu'on branle dans son jardin "

Sourire niais sur les lèvres, il se retient d’éclater de rire, autant pour la discrétion qu’il a prôné plus tôt que parce que les muscles de sa cage thoracique le tiraillent après la chute. “Comme l’a dit un grand penseur un jour du nom de Jeremiah, un miracle ne se produit jamais deux fois, la preuve, je suis unique” souffle-t-il en acceptant tout de même le bras tendu pour se redresser dans une grimace de douleur. Merde, c’est qu’il s’était pas raté. Titubant quelques secondes, il retire les feuilles et brindilles accrochées à ses fringues et ses cheveux et lance un petit regard plein de promesses à son nouveau pote.

Levant les paumes vers le ciel, il grimace à nouveau, faisant mine de peser le pour et le contre des risques encourus lors de cette périlleuse aventure. “J’peux rien promettre mais tu vas pas t’la jouer p’tite pédale d’écossais hein?” Et fronçant les sourcils, il vérifie que Locke n’est pas dans le coin avant de se rappeler qu’il est absent depuis le début de la soirée.

Relevant son museau vers la baraque, il hausse les épaules. “Nan ça pionce là-dedans. Hum… Mills, Bill, Devon, Gavin? Un truc comme ça. J’suis pas doué avec les prénoms Midas fais pas chier” le rabroue-t-il en chuchotant, ce qui le décrédibilise grandement soyons honnêtes.

D’un pas rapide - pas vraiment - il vient se caler contre le mur de la maison et le longe, prenant soin de se baisser dès qu’il arrive à hauteur d’une fenêtre alors qu’il a pénétré dans le jardin aussi discrètement qu’un troupeau de rhinocéros. Faisant coulisser la baie vitrée qui donne sur le salon, il remercie intérieurement le faux sentiment de sécurité portée par cette île et se glisse à l’intérieur. Accroupi, il avance dans une démarche de… gros con… et va se planquer derrière le canapé, l’index sur les lèvres. Seuls des ronflements proviennent de l’étage, sonores, profonds.

Dans un faux code avec les doigts qui ne veut rien dire, il tente de communiquer avec Silas. Poing levé, il frappe deux coups rapides sur son poignet puis pointe de sa main entière la commode à trois mètres d’eux où il pense trouver de l’alcool. Pense seulement, parce qu’en vérité, après tous ces tours de quartier, Jeremiah ne sait absolument pas dans quelle maison il vient de pénétrer. Il pourrait bien être chez Layla qu’il ne s’en rendrait même pas compte dans son état.

" La gueule du miracle " se contente-t-il de commenter en rigolant.  Et quand l'autre ose défier sa bravoure, il ne peut s'empêcher de rétorquer directement : " Oh p'tain, j'sens qu'on va finir au trou. Allez, j'te suis "

Il suit ensuite son regard alors qu'il se pose sur le bâtiment éteint. Il n'est pas assez lucide pour se dire que c'est un plan complètement foireux ; sauf si son nouveau pote a eut une carrière de cambrioleur. Et encore, même le plus adroit des voleurs, avec quelques grammes dans le sang, ne vaut plus grand chose. La discrétion est une affaire de lucidité, de concentration, d'adresse et de patience ; tout ce que l'alcool ronge.

Et pour le coup, ils se jettent littéralement dans la gueule du loup. Discrets comme des ombres, comme celle d'un nuage solitaire qui s'amuse à masquer le soleil d'un ciel complètement dégagé. Alors que l'autre passe sous la fenêtre en se baissant d'une façon simple mais efficace, il ne peut s'empêcher de faire une roulade tactique pour passer l'obstacle encore plus vite ; roulade dont l'exécution n'est pas aussi parfaite que ce qu'il s'imaginait. Mais il se relève quand même assez rapidement derrière, prenant une posture caricaturale. Il reste perplexe un instant quand il voit que l'autre tire juste la porte vitrée pour rentrer dans cette baraque. Il se frotte les yeux. il rêve ou quoi ? sans doute. Il ne s'attarde pas quand il voit Jeremiah rentrer dans le bâtiment, et il s'élance à ses trousses, trébuche légèrement sur le rebord de la porte. Mais il ne tombe pas, se rattrape sur ce qu'il peut.

Dans l'obscurité, il voit l'autre s'agiter mais le distingue à peine. Putain, ils auraient dû passer à l'armurerie récupérer des NODs. Mais il fait mine de comprendre, comprends un peu sans faire exprès, puisqu'il lui répond en levant ses deux pouces comme un débile, avant de se diriger vers leur objectif. Il cogne un rebord au passage, lâche dans un murmure un : " aïe " avant de parvenir à destination.

Face au meuble, il fait mine de l'inspecter, mais il n'y voit rien. Il passe sa main dessus, réalise qu'il y a une petite poignée, et essaie de tirer. Il murmure alors :

" Verrouillé " mais, d'un geste, il sort sa pince multi-fonction. Il en fait surgir un crochet, essaie de l'introduire dans le trou de la serrure, puis, une fois dedans, se souvient qu'il ne sait pas crocheter. Il demande alors, d'un murmure un peu fort :

" Euh, tu sais crocheter ? Parce que j'ai aucune putain d'idée de ce que j'dois faire là, tu vois "

Continuant de mimer ses directives dans des gestes insensés qui ne veulent strictement rien dire, le garde forestier se retourne là où était encore Silas il y a quelques secondes et ne rencontre que le vide. Ouvrant grand les yeux, il fronce les sourcils, tentant de comprendre par quel prodige son nouveau pote vient de disparaître sous ses yeux ou s’il vient de développer quelques pouvoirs métaphysiques, avant que son cerveau, bien embrumé, n’aille à la solution la plus simple et pour le coup la plus réaliste. Ce dernier s’est juste déplacé sans que Jeremiah le voit et est déjà rendu au meuble, précieux sésame de leur escapade nocturne.
S’avançant jusqu’à celui-ci, il le regarde sortir un outil et tenter de forcer la serrure, puisque le meuble est verrouillé. Dans quel monde les gens ne prenaient pas la peine de fermer leur baie vitrée correctement mais mettait sous scellés leur alcool? Sûrement un vieux qui avait connu la prohibition . Du coup, il se fait la réflexion qu’ils ne sont probablement pas chez Mills, Bill, Gavin Norton ou Hector… bref, celui chez qui le blond pensait s’être introduit. Et pourquoi l’intérieur lui semble tout à coup si familier?

Louchant sur l’objet tendu par Gildas, il met dix bonnes secondes avant de comprendre ce qu’il veut, avant de lui arracher l’ustensile des mains. Enfin arracher à la vitesse d’un escargot, ce qui ressemble davantage à une prise délicate. “J’ai déjà vu MacGyver au moins dix fois, ça devrait l’faire” confie-t-il comme si cette simple précision suffisait à lui prêter des talents innés.

Se plaçant face au meuble, il fait pénétrer le crochet dans la serrure plutôt simple du meuble ancien et tente de percevoir n’importe quel clic qui lui signifierait qu’il progresse dans sa manœuvre, en vain. Forçant un peu plus au gré des secondes qui défilent il se concentre, la langue entre les dents et place même son oreille contre le bois comme s’il était en train d’ouvrir un coffre-fort. Une minute, peut-être deux - ou seulement vingt secondes plus tard - il force tellement qu’il entend un craquement sinistre. Ouvrant les yeux, surpris, il louche à nouveau sur l’outil confié à Silas, sur lequel la serrure est maintenant accrochée.

Le regard déviant vers le meuble, là où se trouvait la serrure il voit maintenant un large trou dans le bois et la porte s’ouvre dans un grincement encore plus sinistre. “Oups” murmure-t-il, se disant que son camarade n’avait rien précisé sur la manière.

Seulement, ça se bouscule au-dessus de leur tête et Jeremiah plante son regard dans celui de l’homme. Chopant la première bouteille qui lui passe dans la main, une liqueur de fruits quelconque, il la colle dans les bras de Silas avant d’en choper une deuxième. “On s’tire!” souffle ce dernier en se relevant et, sans plus prendre le plis de la discrétion, il se rue vers la baie vitrée, se la mangeant dans l’épaule au passage, avant de détaler par le jardin. Cette fois-ci, il tente de ne pas se vautrer en passant la haie et continue de courir comme un connard sans se retourner. Pas besoin, il entend son pote faire écho à ses pas dans le silence de la rue.