Mars 2022

Le véhicule s’arrête sur le bas-côté de la route encombrée de carcasses en tout genre. À part quelques rôdeurs ci et là, le chemin a été relativement calme. Rien qui ne les ait vraiment ralenties sinon les nombreux détours pour éviter les grands axes, plus repérables. Coupant le moteur, elle laisse les autres s’assurer que le nom des rues correspond au point marqué sur la carte, quelques semaines plus tôt.
Si Monroe reconnaît la nécessité de ce plan, il ne la ravit pas pour autant. Mais la menace New Eden, jusqu’ici vague rumeur de la métropole, est devenue un brin trop présente, même ici, à Olympia. Faute aux nombreux survivants ayant fui la grande ville pour la capitale de l’État. Et ça la fait chier. Royalement. Qu’ils risquent d’attirer l’attention sur une zone qu’elle pensait relativement préservée jusqu’à maintenant. La mécano n’a jamais été une tendre. Loyale certes, attachée aux gens formant son groupe, mais pas le genre bonne samaritaine pour autant. Les siens avant tout, ça avait toujours été son crédo. Et cinq ans passés à survivre contrait tous les arguments contraires.

Alors elles avaient choisi de se dégoter un point de repli, juste au cas où. Abandonner ce qui avait été construit pour repartir, s’il le fallait, de zéro. Encore une fois. Toujours. Ce n’était pas une fatalité en soit, mais dans ce monde, la brune préférait avoir un plan B et C…. comme ça jusqu’à Z.

Surveillant les alentours, elle ouvre légèrement la fenêtre pour repérer tout bruit annonciateur d’emmerdes, mais rien pour le moment. Idriss est resté à l’école pour monter la garde avec Michelle et c’est donc dans ce quatuor familier qu’elles ont entrepris de choisir un bâtiment à vider des possibles infectés en cas de fuite urgente de leur planque actuelle.

Elle regrette que son géant ne soit pas ici. C’est même étrange, après toutes ces années à l’avoir comme une ombre, de ne pas sentir sa carrure imposante collée à ses basques. Preuve que la dynamique avait changé avec les mois.

“On se la joue méthodique. Question rituelle, vous préférez qu’on se sépare en deux duos et on se rejoint plus tard ou mode Spice Girls?” Oui bon ces connasses étaient cinq mais l’idée restait la même.

Vérifiant son arme, elle reprend le couteau laissé à portée de main et le range dans son étui, se contorsionnant légèrement sur le siège conducteur. Un coup d’oeil à Kara, comme toujours, pour s’assurer que tout va bien et qu’elle est prête, sans mot, pour ne pas se compromettre devant le groupe. Elle n’y pouvait rien, depuis l’opération, l'inquiétude persistait.

Les kilomètres s’avalent dans un silence conséquent, sans doute se sentent-elles toutes ou presque un peu mal à l’aise à l’idée de devoir quitter un jour l’école. Perspective triste mais propre à la survie où la mobilité est généralement la meilleure décision à entreprendre pour qui souhaite allonger son espérance de vie. La preuve en est, l’intuition de la forgeronne et de la mécano ont payé, fuir Seattle fut clairement le meilleur choix qu’elles ont eu à faire l’année passée. Aussi, la blonde ne ronge pas réellement son frein à cette idée de déménager un jour et d’écouter à nouveau son instinct. Ses poings fermés accompagnent davantage ses inquiétudes pour le No Man’s Land et le Motel d’Oxana. Plus de réelles nouvelles de l’un, ni de l’autre, aucun détail de valeur quant à l'implantation exacte de New Eden dans ses environs. Seulement des brides comptées par quelques vagabonds s’étant rendus au Store récemment, rien de plus.

Arrivée à Littlerock, la mécanicienne prend la direction de l’ouest et traverse la petite ville de Bordeaux pour se rendre au Cedat Creek Corrections Center, un des nombreux lieux à fort potentiel qu’elles ont notés. Reculé dans une grande zone boisée, un cours d’eau non loin, ce grand centre de correction peut s’avérer efficace, aussi bien pour sa discrétion que pour les barrières qui l’encadrent. Le véhicule arrêté devant l’établissement, il est facile de comprendre en un coup d'œil que le lieu a jadis été pris d’assaut par des infectés et possiblement des vivants également. Plusieurs barrières sont au sol, créant ainsi un trou béant dans la clôture où quelques charognes oubliées rôdent encore. Si ce lieu est choisi, il y a de lourdes rénovations à faire pour qu’il retrouve sa sécurité d’antan.


La voix de la tatouée la sort rapidement de ses pensées et elle vient croiser ce regard qu’elle ne connaît que trop bien, où inquiétude et appréhension se mélangent. D’un signe du menton accompagnée, elle vient rassurer sa compagne avant de sortir de l’utilitaire blindé.  

“On peut faire ça oui. Il faut s’assurer que la zone ne soit pas occupée avant de s’enfoncer dans le centre de correction.” En effet, autour d’elles, qu’il s’agisse du nord, de l’ouest et du sud, plusieurs  bâtiments encadrent le centre et ne demandent qu’à être visités. Première étape indispensable avant de découvrir les entrailles de cette prison. “Soyez prudentes…” Sac à dos sur l’épaule, la blonde réajuste son épais brassard de cuir sur son avant bras et récupère sa machette qu’elle sort de son fourreau avant de prendre la direction du Nord avec Monroe. “Cet endroit à vraiment du potentiel.” Constate-t-elle tout haut tandis que ses pupilles bleues dévisagent les environs et s’arrêtent sur un grand entrepôt autrefois blanc. “Commençons par là…” Comme pour leur souhaiter la bienvenue, quelques rôdeurs s’agitent de l’autre côté des grilles depuis le terrain du centre de correction. La forgeronne n'y prête pas attention, les barrières ont l'air de tenir sur ce flanc là, aussi, elles s’occuperont d’eux plus tard.

Comme tout le monde, ça ne plaisait pas à Naya de devoir envisager de tout quitter à cause de New Eden. Cependant, rien ne servait de l’énoncer une fois de plus. C’était un sacrifice qui serait peut-être nécessaire à leur survie, et comme tout sacrifice, il n’avait rien d’agréable.

De ne pas mourir ou de ne pas se faire laver le cerveau par cette bande de religieux fanatiques et misogynes, ça valait tous les sacrifices, non ?

Elles arrivèrent enfin à destination et la Cubaine baissait aussi un petit peu sa fenêtre. C’est un hoquet de surprise qui s’échappait d’elle, alors qu’elle reconnaissait cet endroit. Comme si c’était hier. Y avait-il encore des gens ? À première vue, c’était très abandonné. La seule façon de toute manière de s’en assurer, ce serait d’aller explorer. Monroe et Kara ne partent certainement pas avec l’idée que c’est sécuritaire, donc Naya pourra leur dire plus tard ce qui s’est passé ici…

Sortant du véhicule, elle vérifiait son couteau, son pied de biche et son nouveau pistolet. Incapable de réparer la carabine, elle s’était faite à l’idée que ce n’était plus qu’un vulgaire souvenir. Qu’il lui fallait une arme à feu. Elle avait donc dégoté celle-ci à The Store. Rapidement, les quatre femmes prirent la décision de se séparer en deux groupes. Tout naturellement, Naya emboitait le pas à Erin, laissant Monroe et Kara ensemble.

- Soyez prudentes. Leur lançait la Latina avec son accent prononcer, avant de se retourner vers sa sœur de cœur. Tu reconnais l’endroit ? On dirait que personne n’a mis les pieds ici depuis…

Pas plus mal ! En plus toutes deux connaissaient bien les bâtiments. Les points faibles aussi. Là où il fallait des vigies, mais aussi qu’il ne restait absolument rien d’utile ici hormis les bâtiments en soit. Pas de surprise agréable en vue donc, mais un coin connu des filles.

- Tu crois qu’on va en retrouver de vivants ? Enfin… vivant… Transformés quoi. Des rigidos. Depuis le temps, Erin n’avait plus trop besoin de traduction, elle savait très bien que Naya parlait des macchabées, les « rigides ».

Bon, il était peut-être temps toutefois de la boucler, songeait la brunette. Valait mieux écouter ce qui les entourait pour ne pas être vilainement surpris.

Puisque tout le monde se souhaitait prudence, la mécano ne rajoute rien et prend la direction du Nord aux côtés de la forgeronne, le pistolet à la hanche et la lame finalement dans une main. Ses doigts jouent avec le manche de cette dernière, le regard détaillant le bâtiment en L qui se profile devant elle et surtout à l’affût du moindre cadavre qui s’intéresserait à elles d’un peu trop près.
C’est étrange et un brin cinglé mais ça lui a manqué. Les sorties, l’adrénaline de l’action, l’anticipation du risque et l’exutoire que peut représenter parfois la suppression définitive de ces parasites. Ce n’était pas devenu une pleine et entière habitude mais ça faisait clairement partie du décor et surtout du quotidien. Prétendre qu’elle ne ressentait rien en tuant ces choses serait mentir. Prétendre ressentir autre chose qu’une sincère satisfaction tout autant.

Son regard coule sur les véhicules à l’abandon restés ici depuis cinq ans. La carrosserie est rouillée, la peinture écaillée et délavée, les pneus et les jantes fichues, mais il doit bien rester encore que ces carcasses quelque intérêt à désosser. “Matériel gratos” lance-t-elle en mesurant sa voix en désignant rapidement les rangées de véhicules sans pour autant en prendre la direction. Elles auraient le temps pour le loisir et l’utile après. La priorité était de nettoyer l’endroit si elles le pouvaient sans risquer une vie et de décider s’il était possible de faire quelque chose de viable de cet endroit. L’emplacement restait idéal, perdu au milieu d’une vaste zone forestière, la rivière en contrebas leur assurerait de la nourriture et une barrière naturelle et les hautes grilles une relative sécurité.

De ce qu’elles savaient, New Eden ne venait pas de cet État. Il y avait, en conséquence, peu de risque qu’ils connaissent le lieu. Pour le moment, la brune n’y voyait que des avantages. Quelques âmes errantes tournent la tête dans leur direction mais trop éloignées encore pour être une réelle menace. Inconsciemment, elle souhaite juste qu’aucune de ces créatures 2.0 ne soient dans les parages mais encore une fois, elles étaient plutôt loin de tout.

Arrivées à hauteur du bâtiment, une chaîne garde l’une des portes, la principale et si Monroe tenter de tirer dessus, espérant que le temps ait joué son oeuvre et affaibli les maillons, celle-ci ne cède pas. “Va falloir trouver une autre entrée” signale-t-elle dans un coup d’oeil à sa partenaire. Ici, il n’y a jamais de mots tendres, jamais de regards charmeurs ou charmés. Sur le terrain, elles sont avant tout le duo qu’elles ont toujours été, bien avant l’intime et les sentiments. C’est ce qui faisait leur force depuis presque quatre ans maintenant.

Jetant un regard en direction des deux autres, elles ne sont déjà plus à portée de vue. Contournant la façade, une fenêtre brisée leur offre une entrée. Tendant l’oreille pour détecter la présence ou non de morts, elle se tourne vers Kara. “Tu veux tenter un autre point d’entrée ou on finit de péter le verre et on se faufile par ici?” S’il n’y avait aucun autre point d’accès, elle risquait un tour pour rien et une perte de temps inutile. Terminer de casser la vitre attirerait fatalement les possibles macchabées ici mais leur donnerait également un bon indicatif sur leur nombre.

La Latine hochait doucement de la tête aux dires de sa sœur de cœur. Il y avait effectivement une petite partie d’elle aussi qui souhaitait presque tomber sur leurs anciens geôliers pour les faire payer. Pour se venger. Il valait mieux que l’endroit soit désert après la horde qui avait ravagé le centre correctionnel, de leur temps ici. Plus simple. Y aurait-il toutefois de ces nouveaux rôdeurs mutants ? Naya se crispait en y pensant. Rien n’était jamais simple en fait.

- Je sais pas querida. On a surveillé, mais…

Ils n’avaient repéré personne, mais quand on voulait passer inaperçu c’était possible d’y arriver parfois. La preuve, Erin et elle étaient restées des ombres des années durant à Olympia. Même encore aujourd’hui, leur groupe ne se mêlait qu’au troc, sans donner sa localisation ou se mêler des enjeux locaux.

Sauf les Brotherhood. Ça c’était une vermine à exterminer.

- Pas de râles, pas d’oiseaux… Confirmait la Cubaine à Erin. Trop silencieux, beaucoup trop.

Ça pouvait être que le hasard, un prédateur dans le coin qui faisait un peu peur aux animaux, des rôdeurs qui n’avaient pas encore repéré le quatuor de femme, mais ça pouvait aussi être des vivants qui trainaient silencieusement dans le coin. D’autre avant elles…

- Si. Acquiessait Naya en emboitant le pas à l’ingénieur.

Vérifié ce bâtiment, se mettre un peu à couvert, au pire elles trouveraient un peu de matériel à rapporter. Ça lui semblait être un bon plan. Peut-être que l’Endroit était réellement désert aussi ? Il faudrait en faire le tour pour s’en assurer, être très prudente en le faisant. Elles n’étaient que quatre après tout.

Posant la main sur la poignée, la Cubaine vérifiait si c’était verrouillé ou non. Aussi bien tenter le plus facile en premier, plutôt que de passer inutilement par une fenêtre. Bingo ! Ce n’était pas verrouillé. Avec précautions, Naya ouvrait le plus doucement la porte, écoutant s’il y avait du mouvement ou un bruit à l’intérieur, avant d’entrer. Pas question d’ouvrir la porte en grand et de se prendre n’importe quoi sur la gueule. Il fallait être futée.

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