Le silence, apaisant murmure qui éveille autant de craintes que de satisfaction chez la forgeronne, un juste mélange des deux. C’est la mécanicienne qui la sort de sa torpeur dans un tintement de métal qu’elle reconnaît aisément, le chant des maillons épais. En un simple coup d'œil vers ces derniers, elle confirme les propos de soufflés d’un hochement de tête, la chaîne est dans un excellent état et ne cédera pas sans effort. “Contournons.” Ajoute-t-elle du bout des lèvres avant de revenir à sa hauteur pour longer à ses côtés le bâtiment avec prudence.

Imitant sa comparse, son regard file à la recherche de ses partenaires, en vain, celles-ci ont effectivement disparu de leur champ de vision. Ce n’est pas pour autant qu’elle compte s’inquiéter, ces deux là ont déjà fait leurs preuves à de multiples reprises et n’ont pas attendu Kara et Monroe pour survivre. Arrivée à hauteur d’une entrée potentielle, la blonde conserve son mutisme et se rapproche de la fenêtre pour y jeter un coup d'œil. Rien, le lieu a l’air désert. Pour toute réponse, elle termine de casser la vitre d’un coup de coude et vient déblayer le reste avec son avant bras, profitant de la présence de son brassard de cuir et de métal pour éviter toute coupure.

Tendant par la suite l’oreille, elle constate rapidement qu’aucun son ne semble émaner du petit entrepôt, parfait. “La voie est libre.” Conclue-t-elle dans un clin d'œil pour son amante avant de se glisser prudemment par l’ouverture. Si elle en a l’occasion, elle préfère toujours ouvrir le bal et passer en première. Ce n’est pas une question d’orgueil mal placé ou de leadership, plutôt une notion de protection, un besoin qu’elle ne peut guère contrôler en présence de Monroe.

Un lieu qui vaut le détour. Des chaînes accrochées aux murs, une cage, des taches de sang séchées ici et là, des outils à la teinte cuivrée religieusement rangée sur un planche en bois retenue par deux tréteaux. Un tableau où l’imagination laisse place à une once de terreur. Détaillant ce nouvel environnement à l’odeur de fer, son cœur s’accélère bien soudainement et tambourine si fort au creux de sa cage thoracique qu’elle n’entend désormais plus que lui. Spectacle macabre qui a ce mérite d’annoncer la couleur concernant l’ancienne activité des lieux. “Ce n’était vraisemblablement pas des saints qui occupaient les lieux.” L’évidence même mais qu’elle avait besoin de dicter à haute-voix, comme pour s’en détacher. S’approchant de l’une des chaînes, pour en soulever quelques maillons du bout de ses doigts calleux, elle en inspecte silencieusement le métal. C’est de la qualité et une quantité conséquente qui a la refonte sera intéressante à exploiter, elle va devoir les embarquer, mais plus tard…

À la suite de sa belle, la mécanicienne enjambe souplement le rebord de la fenêtre et atterrit à l’intérieur, sa poigne se resserrant sur le manche de sa dague. Rien. Ni râles de mort, ni chuchotements de vivants. Pas de pas précipités ou de cliquetis caractéristique pour les cueillir. Ne règne qu’un silence lugubre à l’image du spectacle qui s’offre à leurs iris. Il lui faut quelques secondes pour s’habituer à la pénombre mais chaque détail qui prend forme devant elle lui retourne un peu plus l’estomac. Monroe avait vu bon nombre de saloperies au cours de sa survie, en avait sûrement commis quelques-unes, même si tout était une question de perspective. Mais on ne s’habituait jamais à la monstruosité humaine. Même dans les instants les plus sombres, la tatouée avait tenté de garder un certain sens moral, préserver ce qui pouvait rester d’humanité. Ici, les chaînes, les traces de sang aux contours noirâtres, l’odeur significative qui se dégageait des lieux et les images qui se forment dans sa tête lui vrille les tripes. Elle avait bien attaqué une femme enceinte mais une future mère de famille qui était venue leur mettre la tronche en sang. C’était elles ou eux, Kara ou ces pantins déguisés. Un instinct de survie primaire, voilà ce qui avait régi son acte. Ici, rien ne sonne comme une obligation mais comme la simple volonté sadique de faire souffrir. “On enferme rarement des Saints dans ce genre d’endroits…” souffle-t-elle sans chercher à argumenter davantage. Parce que rien ne prouvait que les anciens pensionnaires étaient ceux qui avaient commis ces actes.

Un besoin viscéral de se raccrocher au rationnel et au pragmatique se fait sentir, histoire de ne pas se laisser submerger par tout ça. Elle n’était pas insensible, heureusement, mais ne souhaitait pas épiloguer plus qu’il n’en faut sur le sujet. “Ce sera toujours utile pour toi” Fait-elle remarquer en désignant les chaînes. Le plus juste serait de forger une arme à partir de ces trucs, une arme qui servirait peut-être à blesser et tuer l’un des bourreaux… L’espoir faisait vivre, l’utopie un peu moins, le réalisme aidait à remplir sa gamelle. “Au moins c’est vide” souligne-t-elle en continuant à avancer dans la pièce pour vérifier que rien de valeur n’avait été oublié. Mais à part quelques vêtements déchirés et ensanglantés et quelques chaussures à la semelle élimée, rien d’utile, même recyclé. Du moins pas pour elle. Les filles auraient tout le loisir de soulever les capots des quelques véhicules encore garés dehors et de ramener du matos une fois l’utilitaire rapproché. “J’ai pas l’impression qu’il y ait encore âme qui vive ici. À voir avec les filles mais une fois la place nettoyée des macchabées, c’est une solution de repli idéalement localisée, assez loin de tout mais à l’accès possible pour ne pas se couper entièrement du monde. Une rivière en contrebas, des défenses déjà présentes. On ne repartirait pas complètement de zéro dans un endroit comme celui-ci si l’avenir est aussi pourri que celui annoncé.”

Restait plus qu’à rejoindre Naya et Erin pour voir si elles en avaient fait le même constat. Mais il ne semblait pas avoir non plus une horde de ces choses à l’extérieur. Rien qu’elles ne puissent toutes gérer. Et en espérant qu’elles n’aient pas rencontré de problèmes de leur côté.

Naya s’arrêtait immédiatement de bouger, de respirer même, en entendant cette fois les menacer. Son sang ne fit qu’un tour, la colère prenant déjà les rênes de sa raison. Après les derniers événements, la Cubaine avait envie de protéger sa sœur de cœur de tout, absolument tout. Qu’on la menace comme ça la mettait tout simplement hors d’elle.

Sans réfléchir, la brunette se révélait à l’inconnu, le prenant en joug, se retenant de justesse de ne pas appuyer tout simplement sur la détente de son pistolet, d’éliminer cette menace immédiatement.

- C’est toi qui vas baisser ton arme hijo de put… S’arrêtant brusquement dans son insulte, les prunelles boisées de la Latina ne purent échapper à la familiarité du visage en haut de l’Escalier.

Ce visage qu’il lui semblait connaitre et qui les menaçait désormais. Il lui fallut une petite seconde pour remettre ses souvenirs en place, pour faire baisser d’un cran l’adrénaline qui lui hurlait aux oreilles d’abattre ce type.

- Roman ?! Baissant son pistolet légèrement, Naya venait de reconnaitre le type de l’hôtel.

Ça semblait dater d’une autre vie maintenant, d’un autre temps. Celui avant les mutants, d’avant New Eden…

- Tu veux bien baisser ton flingue ?! On est pas ici pour foutre la merde.

En signe de bonne foi, la Cubaine baissait enfin son arme, posant une main sur l’épaule d’Erin pour qu’elle en fasse tout autant.

- Je l’ai rencontré à l’hôtel à Seattle l’an dernier, quand j’avais le contrat pour les sommiers. Expliquait-elle à l’ingénieur.

Il était bien loin de chez eux, enfin depuis le temps, si c’était toujours chez lui avant même que New Eden décide de prendre ce qui lui appartenait pas. Naya avait une petite pensée pour Ana-Lucia et Zack,se rappelant que la première était chez Matias, mais que le deuxième semblait manquer à l’appel. C’était la vie d’aujourd’hui, le monde dans lequel ils vivaient tous. Un jour on y était, le lendemain on y était plus.

- T’es seul ? Demandait la brunette curieuse. La plupart vous vous êtes arrêtés à The Store, t’as décidé de pousser plus au sud ?

Les environs sont en effet désertées de tout humain ou rôdeur pour le moment, la blonde ne peut pas contredire la mécanicienne sur ce fait et vient doucement opiner en relâchant les maillons tout juste saisis. Revenant à sa hauteur, elle acquiesce à nouveau face à l’analyse précise des lieux soufflée sa tatouée, analyse qui rejoint la sienne. Ce lieu serait un parfait point de repli, à voir néanmoins si la rivière n’est pas infectée, un argument de poids dans la balance, point décisif même. “Oui, mais il faudra qu'on aille voir l’état de la rivière avant toute conclusion.” Avant d’aller plus loin dans les projections, forcément, il y a forcément un loup dans cette histoire, c'est trop beau pour être vrai.

Aucun intérêt à rester ici, tout est dit. “Retournons à hauteur des filles et allons ensemble visiter le centre.” Le centre de correction est grand, très grand et il n'y a pas de concours de zizis ici, ces femmes doivent y progresser ensemble,  la prudence est d’or au sein de leur groupe. Marche arrière, rien à signaler de bien intéressant pour le duo qui s’en retourne vers les habitations au sud dans l’espoir de retrouver leurs collègues de fortunes.

Le calme plat, un sacré calme qui fait progressivement monter une pointe d’angoisse chez la forgeronne. Elle n’aime pas vraiment ça. Rendues aux pieds des habitations, ses doigts se lèvent pour rejoindre ses lèvres avant qu’elle n’expulse l’air dans une mélodie particulière mais qui devrait parler aux demoiselles, un chant d’oiseau. C’est court et presque aussi efficace qu’un appeau, il y a de l'entraînement, beaucoup d'entraînement. Elle attend alors un retour de leur part, c’est ainsi qu’elles communiquent parfois, mais rien de vient chatouiller ses tympans en retour, toujours ce même calme plat. Dans un fin soupir, son museau se hisse vers cette porte ouverte non loin d’elle. Elle n’aime pas ça.

D’un signe silencieux du menton, elle désigne la maison à la brune et range sa machette dans son fourreau pour prendre son 9mm qu’elle extirpe lentement de son holster. Le message n’a pas besoin de mots pour être clair, sans signe de vie des filles, il faut qu’elles redoublent de prudence. De la main, elle lui fait alors signe à sa tatouée de passer devant, celle-ci est bien plus efficace qu’elle en confrontation directe.