La soirée, tout comme la nuit qui avait suivie, avait été particulièrement intense en émotions. Jena était insatiable, certainement autant que moi. Nous avions remis ça plusieurs fois, en variant les plaisirs. Et, au bout du compte, nous nous étions séparés avec la promesse de retrouvailles à venir. Elle agissait comme une véritable drogue sur moi. Passées les premières semaines, je pensais me lasser rapidement et chercher plutôt une autre compagnie mais… Je finissais invariablement par revenir vers elle, incapable de me passer de Jena trop longtemps.

Pourtant, je ne cherchais rien de sérieux. Il était peut-être temps de mettre un point final à cette relation avant qu’elle ne le devienne un peu trop, ce serait sans doute le mieux pour nous deux. Je n’avais pas envie de me poser avec quelqu’un. Une fois mes études finies, je comptais bien me faire un nom sur les circuits de motocross, ce qui était incompatible avec une vie de couple.

J’avais fini par appeler Jena pour lui dire qu’on ne pouvait plus continuer, mais après quelques semaines sans nouvelles, ses messages sur mon portable s’étaient multipliés. Je n’avais pas donné beaucoup suite à ceux-ci, jusqu’à ce qu’elle frappe à l’improviste chez moi un soir. J’avais poussé ma petite sœur quand elle m’avait annoncé qui c’était, bien content que ce ne soit pas mes parents qui aient ouverts. « Jena ? Salut… » Je lui rendis un regard équivoque, incapable de comprendre ce qu’elle faisait subitement sur le pas de ma porte. « On peut marcher ? » J’attrapai ma veste avant de fermer précipitamment derrière moi, l’emmenant à ma suite. On s’était à peine écarté de la maison, qu’elle lâcha sa bombe. « Quoi ? » Enceinte ? Je me retournai vers elle, quelque peu sidéré. Puis, subitement, je lâchai ce qui s’apparentait à un rire. « Tu rigoles là j’espère ? Tu me fais marcher. » C’était une façon de me récupérer ou… ? Franchement, je n’en savais rien. Ca me paraissait complètement invraisemblable. J’avais du mal à y croire, surtout que nous n’étions plus ensemble. Je lâchai d’une voix plus basse : « T’es sûre de toi ? »

Elle n’aime pas vraiment cette distance polie qui s’est installée entre eux après leur séparation un peu plus… définitive. C’est étrange, alors qu’ils ont toujours été tout feu tout flamme. Mais là, ils sont empruntés presque. « Si tu veux. » Au moins, il n’y aurait pas d’oreilles indiscrètes pour entendre ce qu’elle a à lui dire. Pas de sa famille en tous les cas et ce sont bien eux les plus importants. Elle est nerveuse, bien sûr, se demandant comment il va prendre la nouvelle. Une boule s’est formée dans l’estomac de la jeune femme. Incapable de faire durer la torture plus longtemps, elle lâche la nouvelle sans s’encombrer de circonvolutions inutiles. Au moins, c’est fait. Elle n’est pas forcément soulagée, parce qu’elle craint sa réaction, mais elle n’est plus seule avec cette nouvelle.

Et naturellement, il en demeure saisi. Incrédule aussi, alors qu’il rit, non sans penser qu’elle lui fait une blague. Elle soupire avec agacement et impatience, son visage inhabituellement grave. Résolu aussi. Elle ne dit rien, le laissant tirer ses conclusions tout seul face à son silence pesant. Il semble comprendre que ce n’est pas une plaisanterie. Bien. C’est un peu offensant qu’il ai pu penser ça, mais elle va mettre ça sur le compte de la sidération. C’est sur qu’aucun des deux ne l’a vu venir celle là. Pourquoi pile quand ils décident d’arrêter de se voir, de passer à autre chose ? Pourtant, l’amour est toujours là du côté de la jeune femme en tous cas. Elle a Locke dans les veines et rien que de le voir là enflamme son corps et ses sens et lui rappelle pourquoi elle est complètement accroc à ce type.

« Je suis sûre oui. J’ai eu du retard. J’ai fait un test, puis une prise de sang. » Son air résolu cède place à une attitude plus apeurée face à ce changement qui s’annonce dans sa vie et vient faire voler en éclats ses projets. « Je… Je sais pas ce qu’il s’est passé. Je ne m’y attendais pas et j’ai eu du mal à y croire… Je voulais juste que tu sois au courant. » Elle hésite, avant de lâcher, un peu cynique : « C’est le tien, au cas où tu te poserais la question. » Contrairement à lui, elle n’a jamais été volage. « Tu fais ce que tu veux de cette information Locke. » Et qu’est-ce qu’elle voudrait qu’il en fasse au juste ? Il pourrait aussi bien dire que cela ne le concerne pas et qu’elle n’a qu’à avorter. Ou qu’il lui filera de l’argent pour l’aider, si il a un peu d’honneur.

Comment c’était possible ? A quel moment ça avait pu se produire exactement ? On se protégeait, mais le risque zéro ne devait pas exister, non ? « Merde ! » M’exclamai-je, quand elle me confirma aussitôt avoir fait la totale : test de grossesse et prise de sang à l’appui. Jena n’avait visiblement rien négligé avant de venir me trouver pour m’en parler.

Je me passai deux mains sur le visage, avant de les garder pressées l’une contre l’autre devant moi. Elle avait plus eu le temps de se préparer à la nouvelle que moi. Malgré tout, Jena paniquait aussi. Quelque part, ça me rassurait un peu. Les sauts furieux de mon cœur faisaient battre le sang à mes tempes. « Que je… » Je poussai un profond soupir, me pinçant l’arrête du nez. Elle n’avait aucun doute sur l’identité du père non plus. Je devais comprendre par là que Jena n’était pas partie voir ailleurs depuis notre séparation. Je me sentais encore plus comme un crétin, alors qu’elle avait dû retourner encore et encore l’information dans son coin, incapable de me joindre plus tôt. « Je suis désolé, Jena. J’ai seulement pensé… » Je secouai un peu la tête. « Enfin, que c’était rien de grave. »

Un silence s’étira entre nous ensuite. J’avais du mal à comprendre ce qu’elle attendait de moi exactement, maintenant qu’elle avait lâché sa bombe. Je faisais ce que je voulais de cette information ? Qu’est-ce que ça voulait dire exactement ? Je la détaillai sans bien comprendre. « Tu as déjà pris une décision ? » Visiblement pas. Sinon, elle me l’aurait dit. « Qu’est-ce que tu veux, toi ? » J’avais du mal à faire la part des choses. La décision raisonnable serait certainement d’avorter, non ? Je n’avais pas fini mes études, Jena n’arrivait même pas à joindre les deux bouts entre ces petits jobs, et on n’était même plus ensemble. Je ne pouvais pas imposer ça à ma famille, pas plus qu’elle. Pourtant, si je réfléchissais déjà à tout ça, n’étais-je pas déjà en train de chercher une autre solution ? Est-ce que j’avais envie… d’être papa ? Je ne m’étais jamais posé la question avant. Je n’avais que vingt ans, après tout. « Ca fait beaucoup à encaisser. Est-ce que… est-ce qu’on a le temps d’y réfléchir ? Tous les deux ? »

La jeune femme frémit intérieurement à l’exclamation de son ex copain. Merde… Oui, en effet. Elle ne sait pas trop ce qu’elle espère en venant lui parler de sa grossesse… qu’il revienne vers elle ? Peut-être inconsciemment oui. Mais surtout, elle ne veut pas cacher ce genre de chose à Locklan. Il l’aurait bien appris à un moment donné déjà. Ils vivement dans la même ville après tout. Et peut-être qu’espérer qu’il assume l’enfant, au moins en aidant la mère célibataire financièrement, n’est pas trop abuser de la part de la jeune femme. Pour autant, sa réaction la blesse malgré tout. Il a l’air complètement désemparé. Mais elle n’a pas le droit de lui en vouloir alors qu’elle a eu la même réaction finalement… A rester sur ses toilettes et regarder les deux barres du test positif, complètement hébétée… A fondre en larmes en se disant que sa vie est fichue parce qu’elle est seule avec cet enfant. A envisager de l’expulser avant et faire comme si de rien n’était et à être aussi horrifiée. A espérer que c’était un faux positif et faire une prise de sang, qui n’a fait que confirmer la nouvelle… Un panel d’émotions violentes, qui se sont succédées au fil des minutes, des heures… des jours. Elle ne peut pas demander à Locklan d’aller plus vite qu’elle.

Et elle est loin d’être sereine d’ailleurs. Suspendue aux réactions du père de cet enfant, comme si sa vie en dépendait… Et c’est un peu le cas. Il a le pouvoir de l’aider, de la laisser complètement tomber, de se détourner d’elle, de revenir… Elle lui met sans doute la dépression sans chercher à le faire. Mais elle ne sait pas quelle décision prendre en cet instant. Et cet enfant, il a été conçu à deux après tout, même si par accident. D’ailleurs, après un instant d’errance, elle se reprendre et lui confirme que c’est le sien avant qu’il n’ose posé la question et ne la fasse partir complètement en vrille par une accusation voilée.

Elle pince un peu les lèvres quand il s’excuse de ne pas avoir répondu à ses messages. « Tu as pensé que je venais pleurer près de toi pour qu’on se remette ensemble ? » C’est très probable et cela aurait pu être le cas. Mais la séparation était claire pour eux deux. Et Jena a un peu de fierté tout de même. « Ce n’est pas quelque chose de… grave. D’important oui. » Elle s’est radoucie. Son visage se trouble. « N-non… Pas vraiment. » Ce qu’elle voudrait… Son regard se perd dans le vide. « Je ne sais pas Locke… Je ne sais plus… Si toi et moi, on était ensemble, heureux, avec des projets, je ne me poserais même pas la question mais là… » Elle le regarde de nouveau, avec des yeux presque implorants et désolés : « Je ne veux pas te mettre le couteau sous la gorge… » Elle pince les lèvres quand il demande un délai. « Un peu de temps… Mais pas trop, après… il ne sera plus légalement possible de faire quoique ce soit… » Elle parle d’avortement. Même si elle est réticente. Peut-être… même si il ne revient pas, elle doute de pouvoir le tuer… « En vérité... je suis terrifiée. »

« Il y avait un peu de ça, oui. » Soufflai-je avec honnêteté en réponse à Jena. J’étais gêné. Notre séparation restait toute récente. J’avais mis fin à cette relation car elle commençait à devenir trop sérieuse, et ce n’était pas ce que je souhaitais. Sauf que cette grossesse inopinée me ramenait inévitablement vers elle et me faisait me poser mille questions. « Je ne le prends pas à la légère, Jena. » Nous étions à un tournant. Et pour la première fois de ma vie, je n’étais pas certain de savoir comment aborder ce virage.

Elle me confirma rapidement qu’elle n’avait encore pris aucune décision de son côté. Elle avait sans doute attendu de connaître ma réaction à cette nouvelle, sauf que je nageais autant en eaux troubles qu’elle. Avoir des enfants n’était pas non plus dans mes projets immédiats. Je voulais me lancer sur les circuits. Je serais amené à bouger sans arrêt, ce qui était même incompatible avec la simple vie de couple. Mais Jena me laissait entrevoir un autre avenir à ses côtés, avec ce qu’elle me laissait entendre.

Je lui rendis un regard hésitant, sans bien savoir comment réagir. Elle était prête à attendre un peu, dans la limite du raisonnable, parce qu’il nous faudrait rapidement prendre une décision si elle ne souhaitait pas garder le bébé. « D’accord… merci. » La suite me figea un peu, alors qu’elle m’avouait que tout cela la terrifiait. Sans même réfléchir, je la pris dans mes bras pour la serrer doucement contre moi, ma tête posée contre la sienne. J’aurais voulu la rassurer, mais je n’avais aucune idée de quoi demain serait fait.

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J’avais à peine réussi à fermer l’œil les jours qui avaient suivis. Je m’étais traîné en cours tant bien que mal, la tête constamment ailleurs, sans être à ce que je faisais réellement. Le soir venu, l’envie de faire de la moto entre amis ne me tentait pas davantage. Je ressassais sans arrêt ma conversation avec Jena, avec l’impression de faire une grosse connerie. Mais ça me frappa avec force le matin suivant : cette petite vie qui naissait en elle, je ne voulais pas qu’elle l’étouffe. J’étais déjà occupé à réfléchir comment nous allions faire pour joindre les deux bouts, elle et moi. En bref, ma décision était déjà prise.

Cette fois, ce fut à mon tour de me pointer sur son pallier après l’avoir rappelé. J’avais séché les cours ce matin, ne souhaitant pas attendre la fin de son service pour pouvoir la voir. Quand elle ouvrit la porte, les mots vinrent d’eux-mêmes après un court silence entre nous : « Jena, tu… tu devrais le garder. » Devant sa surprise, j’enchaînais : « J’ai beaucoup réfléchi. Dans quelques mois, je devrais avoir fini mes études. Je pourrais m’occuper de vous et… » Je soufflai ce qui s’apparentait à un rire. « Ça me paraît un peu fou aussi, mais… est-ce que tu serais prête à ce qu’on se remette ensemble ? » Je restais suspendu à sa décision, sentant mon stress monter d’un cran.

Est-ce que le fait que Locke la pense capable de ce type de fourberie pour le récupérer la blesse ? Oui, bien sûr, et la déception nage dans ses yeux bruns… Ainsi que la colère, qui agite le regard qu’elle pose sur lui. C’est mal la connaître que de la penser capable de venir pleurer près d’un homme pour le récupérer. Locklan n’est pas le seul à avoir de la fierté ici. Jamais elle ne s’abaisserait à ça et il devrait le savoir. Elle retient une répartie cinglante, se contentant de pincer les lèvres en signe de désapprobation. Les choses ne se déroulent pas vraiment comme elle l’aurait souhaité. Elle n’a jamais envisagé de faire sa vie avec lui, depuis le départ, ils sont au clair là-dessus… Ils s’amusent, ils passent du bon temps, mais il n’y a aucun contrat d’exclusivité qui les relie et Locke en a bien joué. Jena par contre… Non. Elle n’a eu que lui pendant tout le temps de leur relation. Et même depuis leur séparation. Coucher pour coucher ne l’intéresse pas, à moins de tomber sur une bombe atomique. Sauf qu’aucun homme ne peut rivaliser avec Locke maintenant, c’est triste quelque part.

Ils décident d’attendre un peu avant de prendre une décision. Elle peut bien lui accorder ça… Au moins ne lui demande-t-il pas d’avorter directement. Il ne rejette pas complètement la jeune femme et cet enfant qui se développe doucement en elle. Mais elle espère qu’il n’attendra pas trop longtemps pour autant. Ce qu’elle veut elle ? S’en débarrasser ? Rationnellement oui. Émotionnellement… Elle sait déjà qu’elle n’y arrivera pas. Tant pis si elle doit l’élever seule, elle se débrouillera… Elle y arrivera… Elle ferme les yeux, et se retrouve au même moment dans les bras de Locke. Elle doit faire appel à toute sa volonté pour ne pas fondre en larmes contre lui tout simplement. Comment va-t-elle faire si il l’abandonne ? Elle n’est pas aussi forte qu’elle le voudrait… Elle prend une ample inspiration dans ses bras, cale un sourire sur ses lèvres et finir par lui dire au revoir et tourner les talons. Pour mieux pleurer à l’abri de son regard qui la transperce.

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Les jours suivants, elle les vit comme étrangère à sa propre vie. Collée à son téléphone, à vérifier sans cesse que Locke n’a pas laissé un message ou appeler… Pourtant, il lui faut bien réfléchir à l’avenir sans lui. A calculer combien elle pourrait mettre de côté tant qu’elle le peur encore et ce n’est pas fameux. Pourra-t-elle travailler jusqu’au bout ? Et ensuite, qui gardera le bébé ? Bien sûr, sa famille l’aiderait si elle s’abaissait à demander… Pour le bien d’un enfant, elle pourrait ravaler son arrogance et supporter leurs remarques sur son mode de vie dissolu…

Mais finalement, Locke se manifeste et autant dire qu’elle est fébrile quand il arrive. La porte s’ouvre sur lui. Son cœur bat à se décrocher de sa poitrine, suspendue à ses lèvres. Et les mots de la délivrance arrivent. Elle demeure muette, n’osant trop y croire… La suite l’achève. Rester avec eux… Elle a envie de lui sauter au cou… Mais quelque chose la retient… Ah oui… « Est-ce que… » Elle s’interrompt… Est-ce qu’elle est prête à entendre la réponse à sa question ? Elle inspire et demande d’une voix tremblante d’incertitude : « Est-ce que tu as encore des sentiments pour moi ? » Elle n’attend pas la réponse, reprenant très vite : « Je ne veux pas t’imposer une vie que tu ne veux pas, je ne veux pas que tu me détestes parce que je t’ai coupé les ailes, je ne veux pas qu’on soit ensemble par obligation, cela ne donnera rien de bon… Si tu ne m’aimes plus, tu peux aussi juste nous aider un peu financièrement quand il sera né, mais tu pourras faire ta vie comme tu l’entends. » Sa voix s’est faite plus fragile et plus tremblante encore. Elle déteste ces montagnes russes émotionnelles. Elle a envie de lui hurler qu’elle, elle est toujours très amoureuse de lui. Elle s’est voilée la face jusqu’à récemment, pour ne pas l’étouffer, mais il l’a charmé dés leur première rencontre et cela n’a fait que se renforcer au fil de leur relation. Et elle a terriblement peur de la réponse.

Resté sur le pas de la porte, je lui rendis un regard interdit à la voir modérer son enthousiasme. Je ne savais pas vraiment à quoi je m’attendais, mais sa question me prit au dépourvu. Est-ce que j’avais encore des sentiments pour elle ? Elle avait sans doute raison. Se remettre ensemble, même pour la naissance de notre enfant à venir, n’était pas une bonne excuse. Loin de chercher à me passer la corde au cou, Jena songeait à une autre éventualité où je pourrais poursuivre mes projets tout en les aidant financièrement. « Je n’ai pas envie d’être un père absent pour cet enfant à naître, Jena. » Je ne voulais pas être uniquement un chèque déposé sur un réfrigérateur en attente d’être encaissé. Pour moi, c’était tout ou rien.

Pourtant, je détournai brièvement le regard de mon ex. Elle me forçait à réfléchir à nouveau sur comment je souhaitais façonner mon avenir. « Jena… » Je poussai un soupir. « La vie de famille et les circuits ne sont pas vraiment conciliables. » J’eus une moue ennuyée, avant d’ancrer à nouveau mon regard en le sien. « Je t’ai quitté parce que ça devenait trop sérieux entre nous, ce n’était pas mon intention avec la vie que je comptais mener… et peut-être que ça me faisait un peu peur aussi. » J’eus un sourire désolé. « Je n’allais pas t’emmener dans mes valises partout, ce n’était pas une vie pour toi. C’était mieux de passer à autre chose, tout simplement. » Je m’étais senti libre de partir, de m’envoler de vers nouveaux horizons. Ma voie était toute tracée : dans quelques mois, je serais parti de Seattle pour de bon.

Les mains dans les poches, je m’appuyai contre le cadran de la porte sans la quitter du regard. « Peut-être que cette vie libre et sans attaches me plaisait bien, mais juste… tout me paraît différent maintenant. Je veux dire, les accidents arrivent vite et beaucoup de vies finissent par basculer avant même d’avoir pu marquer l’Histoire sur les circuits. Et… il n’est plus vraiment question que de moi, là. Je ne peux pas simplement m’envoler sans me soucier des conséquences, comme tu dis. » Mais elle ne s’exprimait pas sur ses propres désirs, et peut-être que sa décision était déjà prise. « Et toi ? Qu’est-ce que tu veux ? »

Je tentais ma chance, lâchant d’une voix plus hésitante : « Je comptais partir en Ecosse à la fin de mes études avec l’argent que j’aurais à ce moment-là… ça t’intéresse de venir avec moi, et on avise ? » Il n’était pas question de brûler les étapes si elle avait des doutes sur les sentiments que je pouvais éprouver pour elle, ou sur mon investissement. En vrai, je pouvais comprendre. Tout aurait été plus simple si nous étions restés ensemble… et c’était moi qui étais parti pour voir ailleurs. Tout était subitement à refaire.