Le flot de paroles de Jacob la pétrifie sur place. Il lui raconte ce qu'il a vécu là-bas : la mort, le déferlement de violence, la folie meurtrière des Oblivions. Elle se raidit tandis qu'il continue et n'a pas trop de mal à imaginer ce qu'il a vécu là-bas. Elle ferme les yeux quand elle l'entend parler de cette femme enceinte qui a perdu son bébé probablement au moment où elle même mettait au monde leurs jumeaux et retient à  grande peine un hoquet d'horreur. Que dire ? Que faire ? Elle ne sait pas, alors elle reste pétrifiée sur place. C'est encore pire que ce qu'elle pouvait imaginer. Oh oui, bien pire. Elle veut lui hurler de se taire tandis que les pires scènes se déroulent dans son esprit, mais c'est elle qui le lui a demandé.

Jacob avait raison, elle se sent misérable. « Oui... » souffle-t-elle simplement d'une voix plus faible quand il lui demande si c'est ce qu'elle voulait savoir. Les mots sont durs, la réalité est cruelle, mais elle avait besoin de l'entendre pour réaliser pleinement ce qui hantait son époux. « Je suis désolée pour tout ce que tu as vécu là-bas. » Elle hésite mais soutient le regard de son mari. « Je n'aurais pas dû perdre mon calme. » reprend-elle. Le mal est fait, elle le sait. Les cris, la colère ne mènent à rien de bon, mais elle est comme ça : Tasya vit toujours pleinement ses émotions. La fatigue, les tensions, la peur n'arrangent rien, elle a l'impression d'être sans cesse à fleur de peau. Et là, tout est retombé comme un soufflet. De toute manière, Jacob s'est déjà engagé, cette dispute n'amènera rien de bon.

Elle s'avance d'un pas vers lui, moins sûre d'elle. Son regard scrute un instant cet homme qu'elle a du mal à reconnaitre, essayant de deviner sous ses airs sévères, les traits doux de son époux, mais elle peine à les trouver. Alors elle finit par baisser les yeux. « Je suis terrifiée à l'idée que tu t'en ailles et que tu ne reviennes pas... » souffle-t-elle. Comme Cooper, comme tous ces hommes partis à la guerre et qui ne sont jamais revenus. La mexicaine n'ose plus soutenir son regard de peur de craquer alors elle attrape doucement sa main pour la serrer.

Il ne lui a même pas donné les pires détails. Il y en a tant à raconter, tant qui le marquent et l'empêcher de fermer l'oeil comme il le voudrait. Jacob n'a qu'un souffle tendu, qui frise avec la colère quand soudainement il réalise que la rage de Tasya s'est dégonflée. Il ne fait pas un concours pour attester de ce qu'il y a de pire entre dehors et dedans, il s'en fiche. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il ne peut plus vivre normalement après ce qu'il a vu à Glenwood, qu'il ne pourra plus jamais être celui-là qu'elle a marié.

Il détourne les yeux quand elle s'empare de sa main. Sans la repousser, Jacob peine à redescendre. Elle lui confie sa crainte, la terreur qu'elle éprouve dans le fait qu'il ne rentre pas. Et lui a envie de lui dire que, de toute façon, il n'est jamais vraiment rentré. Mais il s'abstient dans la foulée, conscient qu'elle n'a pas besoin de ça : Je vais revenir, lui assure-t-il. Parce qu'il revient à chaque fois, après avoir vu tomber les autres.

Jacob n'enlève pas sa main mais detourne le regard. Elle sent son ventre se nouer et hésite à juste.. le laisser. Mais que se passera-t-il ? Ils s'éloignent petit à petit, ils ont du mal à se comprendre... Il n'y a que quelques jours avant qu'il parte pour Seattle. Elle ne veut pas que Jacob s'en aille fâché. Alors, doucement, elle lève la main de son époux pour la poser contre sa joue et ferme les yeux à son tour. Si elle peine à reconnaître son mari, ses états d'esprit, ses humeurs, son corps lui est toujours le même. Elle s'y réfugie, appréciant le contact furtif même si elle voudrait plus.

Ses yeux scrutent longuement son époux tandis qu'il lui dit qu'il va revenir. « Alors vas-y... » souffle-t-elle en fermant à nouveau les yeux et en luttant contre la panique qui menace de la submerger à l'idée qu'il s'en aille encore une fois. Elle tente de maitriser les larmes qui noient déjà son regard. Jacob n'a pas besoin de son accord, elle le sait, et elle ne peut pas affirmer qu'elle comprend pourquoi il préfère s'en aller plutôt que de rester auprès d'eux, mais s'il peut au moins partir l'esprit plus serein...

Après une brève hésitation, elle vient se blottir contre lui et enserrer sa taille de ses deux bras. Dans sa poche, toujours la lettre qu'elle ne lui donnera finalement pas. Elle la brûlera, probablement. Tasya ne veut pas que Jacob parte l'esprit préoccupé, inquiet de ce qu'il pourrait se passer ici.

Il se sent nul. Tellement nul de ne pas pouvoir l'aimer comme il le faisait avant. De pouvoir lui donner tout ce dont elle a besoin pour être heureuse, et se sortir la tête de cette ville infernale. Jacob la laisse venir se blottir contre lui, refermant ses bras autour de sa taille doucement. Sa tête vient trouver la sienne, il plonge le visage dans son cou pour récupérer un peu de cette force dont il a besoin pour se sentir légèrement mieux. Les yeux fermés un temps, il pince les lèvres en les rouvrant, puis avise la présence d'une lettre dans la poche arrière de sa femme.

Là, il tend la main, la saisit soudainement pour la sortir de là. Qu'est-ce que c'est ? Demande-t-il en se séparant d'elle. Un peu intrusif ? Oui, mais Jacob a du mal avec les secrets, les cachoteries. Et en lisant les mots, son regard s'arrondit de surprise, avant de briller d'une colère nouvelle : Tasya, souffle-t-il d'une voix froide. Qui...? Qui a osé lui envoyer ça ?

A son étreinte, elle le serre encore plus fort, appréciant chaque instant de ce contact devenu si rare. Sa main remonte jusqu'à sa nuque tandis qu'elle l'embrasse. Elle le retrouve quelques secondes qui sont trop furtives tandis qu'il se redresse brusquement en tenant la lettre qu'elle avait finalement décidé de lui cacher.

Tasya secoue la tête. « Non attends... » souffle-t-elle en tentant de récupérer la feuille mais trop tard, Jacob l'a déjà ouverte et lue. A son ton froid, elle se sent pâlir. « Je voulais t'en parler.. Je te le promets » réplique-t-elle en sentant la panique l'envahir. « Je.. Je ne sais pas ce que c'est, je l'ai trouvé dans mon sac... Quelqu'un l'a probablement glissé dedans quand je faisais des courses. » Elle n'avait rien vu, rien remarqué. Elle n'a même pas souvenir d'avoir été bousculée, rien, mais en même temps, elle n'était pas particulièrement vigilante.

Son regard passe de la feuille à son époux. « Je n'ai rien fait, je te le promets ! » Parce que, comme River, ne va-t-il pas l'accuser de s'être attirée de nouveaux ennuis ? Et pourtant, elle n'a rien fait, absolument rien.

Il se sent raide, en colère. Ses yeux sombres la sondent et il n'y voit que l'inquiétude et la peur que sa réaction suscite chez elle. Evidemment, Jacob n'apprécie pas de devoir brusquer sa femme, mais il apprécie encore moins qu'elle reçoive ce genre de missive et qu'elle essaie de le lui cacher finalement. Je ne t'accuse pas, précise-t-il rapidement, même si sa voix vibre encore d'une colère qu'elle peut entendre tout à fait lisiblement. Alors, comment le lui dire ?

Il soupire, n'a vraiment qu'une envie : retrouver l'auteur et lui faire comprendre le fond de sa pensée. Il n'y a bien que quelques choses qui peuvent faire sortir Jacob de ses gonds. Qu'on touche à sa famille, à sa femme, en fait partie. Qui ? Demande-t-il alors de but en blanc, sans réaliser que Tasya n'a probablement pas la réponse. Il se doit d'essayer quand même : Qui a fait ça ? Insiste-t-il fermement en la regardant droit dans les yeux.Je veux le savoir,

Tasya reste droite et hoche la tête quand Jacob affirme qu'il ne l'accuse pas. Elle pose une main sur son bras pour tenter de le calmer. Si elle est aussi révoltée et effrayée par cette lettre, voir son mari en colère n'est pas rassurant non plus.

Si elle est tentée de dire qu'elle n'en sait rien, ce n'est peut-être pas tout à fait le cas. « Je n'ai aucune preuve.. » hésite-t-elle. Tasya évite son regard, consciente qu'elle lui a peut-être caché trop de choses. « Il y a quelques temps, avant ton retour de Glenwood, on est sorti se promener au parc, les enfants, Phoebe, Elliot, Grace et moi. » Sa main passe nerveusement dans sa nuque. « Deux hommes m'ont bousculé, des miliciens. Ils m'ont traité de... sale mexicaine. » C'était pitoyable, mais bizarrement, le dire à voix haute la rend presque honteuse. « ça n'a surement rien à voir ! » Ou alors, ce serait de l'acharnement. « On est parti et je n'en ai plus entendu parler. » murmure-t-elle.

Elle relève la tête. « Ou peut-être que cette lettre ne m'était pas vraiment adressée ? » suppose-t-elle d'une petite voix. Tasya n'y croit pas une seule seconde. Son regard se pose sur la lettre et elle sent sa gorge se nouer.