mi-septembre 2022

Ce soir, elle se sentait à peine mieux. Les douleurs lui laissaient un vague répit, probablement par pur sadisme. June en avait profité pour se doucher et enfiler une tenue confortable, pour passer le reste de la nuit. L’heure de diner venait à peine de passer qu’elle était déjà prête à aller se coucher, à jeun, mais elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir. C’était Valentine, qui rentrait d’une autre de ses interminables journées. Il y avait beaucoup de travail, certes, mais l’avocate n’était dupe. Et il fallait bien qu’un jour, elle cesse de regarder sa relation se déliter sans réagir. Assise sur son lit, ses cheveux de feu lâchés sur ses épaules, elle força sur sa voix quand la française passa devant la chambre.

- Tu vas m’éviter encore longtemps ?

Valentine ne le cachait pas et d’ailleurs, s’il y avait bien une chose dont elle était incapable c’était de faire semblant. Elle n’avait aucun complexe et aucun soucis à ce que ses expressions et ses émotions se lisent sur son visage. L’horticultrice ne se cachait de rien, et « utiliser » son travail comme excuse lui semblait tout bonnement parfait. Alors, elle ne s’était pas gênée. Septembre avait toujours été un mois particulièrement chargée, mais Valentine avait finit par apprendre à déléguer, et son rythme s’en était porté que mieux. Pourtant ces derniers jours, elle pouvait le dire sans difficulté : déléguer ne servirait à rien sauf à rentrer chez elle trop tôt, et c’était hors de question.

En passant la porte, la maison était silencieuse, même si la présence de June se faisait sentir, elle avait retiré ses bottes en caoutchouc, son manteau et était monté à l’étage pour prendre une douche. À peine eut-elle ouvert la porte qu’une question déjà vient l’accueillir. Elle lève les yeux vers June.

Je me disais que deux semaines de plus ne serait pas de refus, répond t-elle ironique.

- Je te pensais moins puérile que cela, répliqua June du tac-au-tac.

Elle ne pouvait pas nier savoir pourquoi Valentine se comportait ainsi. Celle-ci avait répugnée être appelée à la prison pendant l’exécution des prisonniers, pour prendre part à leur sort sinistre. Pour autant, l’avocate n’entendait pas s’excuser, pas si facilement. Et dans tous les cas, ça n’étaient pas quelques mots qui résorberaient le gouffre qui s’était créé suite à cette initiative.

- Tu sais que rien ne te retient ici, rien de véritablement matériel en tout cas, ce n’était pas comme si elles partageaient un bien immobilier ou la garde d’un enfant, si tu n’es pas disposée à en discuter, qu’est-ce qui t’empêcher de t’installer ailleurs ?

Parce que si ce froid était voué à s’éterniser, sans retour en arrière possible, il était probablement absurde de s’infliger leur présence mutuelle.

Pardon ? fait-elle en français, en relevant le regard alors qu’elle venait se retirer son pull et le posait sur la chaise.

La française n’était pas certaine d’avoir bien entendu ce que venait de lui dire June. Tu es celle qui a dépasse une limite, tu veux que je te récompense pour les activités extra-scolaires que tu partages avec ton adolescente sociopathe ?   déclare t-elle d’un ton qui se voulait expressément acerbe. Rien ne la retenait ? Était-ce le manque de sommeil de June qui avait finit par avoir des conséquences sur sa psyché pour sortir des inepties pareilles ? La française n’en croyait pas ses oreilles et d’ailleurs, tout se lisait sur son visage.

Après 4 ans, c’est vraiment la première chose qui te vient en tête ? l’interroge t-elle, visiblement, blessée. Valentine n’avait pas la moindre idée de ce qui pouvait se passer dans la tête de June à cet instant. June devait avoir perdu l’esprit, non, c’était bien plus prévisible que cela. Sa fierté l’empêchait de faire les choses dans l’ordre.

- J’ai dépassé une limite…, répéta l’avocate.

Vraiment, elle ? Un soupir lui échappa alors qu’elle se hissait sur ses jambes. Son estomac lui envoya un signale déchirant de douleur, mais elle grimaça à peine. Son état de santé n’était pas le sujet, et elle aussi pouvait jouer à entretenir cette distance glaciale.

- Je pense que tu as la mémoire courte, et tu ne dois pas te souvenir de l’état d’esprit dans lequel tu étais il y a cinq mois, parce que la rouquine n’avait pu oublier, elle, bien plus affectée qu’elle ne l’aurait voulu par ce qui était arrivé à Valentine, à ce moment-là, tu étais en colère. Contre toi, surtout. Ose me dire que ce n’est pas vrai, la défia-t-elle en avançant de quelques pas, je t’ai juste… offert la possibilité de ne pas être victime ou spectatrice, pour une fois.

La quadragénaire ne pouvait pas dire que les mots dépassaient sa pensée, mais ils étaient certains très mal choisis pour la situation. Trop tard, ils étaient dits désormais.

- Après 4 ans, j’aurais pensé que tu le comprendrais.

Que je comprendrais quoi exactement ? demande t-elle de manière rhétorique, elle n’attendait pas de réponse de la part de June.

Dis moi ce qu'il fallait que je comprenne, comment tu as formuler ça dans ton esprit, parce que pardon, mais entre mes faiblesses et ta salle de torture, je ne fais pas le lien, s’emporte t-elle, presque. Elle soupire, et se masse les paupières. June ne pouvait justifier cet acte de barbarie par elle ne savait quelle manière de lui renvoyer l’ascenseur, pour ce venger d’elle ne savait quel affront. Valentine n’était pas basique et primaire de cette manière.

Pour une fois, qu’entendait-elle donc par là ? Tu ne m’as rien offert, June, tu m’as présenté face à un spectacle de barbarie que tu as justifié grossièrement comme nécessaire face à mon état d’esprit d’il y a cinq mois, continue t-elle. Valentine avait toujours été du côté de June, malgré des décisions parfois plus que détestable. Elle l’avait toujours fait dans l’idée qu’ils, eux, Fort Ward, étaient au dessus de ce genre de revanche préhistorique, ou du moins qu’ils y aspiraient malgré un nombre certain d’erreur. Pour une fois ? Comment ça pour une fois ? répète t-elle, en espérant qu’elle se trompait sur son analyse de l’expression qui sortait de la bouche de June. Mes responsabilités ne te conviennent plus ? Tu préfères que j’aille jouer au soldat à l’extérieur pour satisfaire je ne sais quel doute que tu sembles avoir à mon sujet ?

Un « putain » lui échappe, elle savait qu’elle n’avait pas envie d’en parler aujourd’hui, ni même demain. Elle n’avait pas eu le temps de prendre le recul nécessaire, ni même de penser à réellement ce qu’il s’était passé dans cette cave pour qu’elle soit autant enragée par cette histoire. Suis-je devenue trop faible, pour June Phelbs ?

- Tu ne comprends pas, rétorqua June encore une fois, je ne te trouvais pas trop faible ; tu te trouvais toi-même trop faible.

Et d’ailleurs, Valentine avait esquivé le défi de nier cette évidence. Elle n’avait pas eu besoin de confier cet état de fait, l’avocate la connaissait depuis suffisamment longtemps pour la déchiffrer. Peut-être la guerre était-elle venue jeter un froid progressif dans leur vie de couple, bien avant cet épisode estivale, mais elles avaient eu le temps d’épancher des litres et des litres de salive. Rien que toutes les deux, pour apprendre à ce connaître.

- Ce n’est pas toi, qui regrette régulièrement de ne pas être suffisamment prête à affronter ce qui peut se tramer là, dehors ?! Insistait la quadragénaire, et ne fais pas l’ingénue Valentine : toi, plus que la plupart des gens ici, sait parfaitement le genre de « barbarie » par lesquelles nous sommes obligés de passer.

Les cobayes humains, les exécutions, les manipulations. La française en était au mieux spectatrices, au pire bonne conseillère.