Vaquer le plus possible à ses occupations avait été la philosophie maîtresse. Pourquoi réfléchir ? Quand on pouvait faire absolument tout le contraire. Elle avait forcément mieux à faire que de chercher à comprendre ce qui avait bien pu capoter ces dernières semaines, quand elle était à peu près convaincue qu’en réalité June était entièrement fautive. La française pouvait prétendre à une certaine stabilité et une vraie routine. Pendant longtemps, elle l’avait profondément déplorée, mais en réalité, aujourd’hui, elle lui apparaissait comme un réel privilège. Combien pouvait se dire dans une routine ?

Je n’ai jamais déploré passer après ta fonction au sein de nos murs, June. La française aurait pu, certainement, il n’en était rien, et en réalité, leur couple n’avait jamais fonctionné sur des schémas grégaires et basiques.

Valentine s’adosse à l’étagère. … Et je ne t’ai jamais demandé d’arrêter, et mon avis sur ce conflit est… changeant, au mieux. fit-elle. Valentine n’avait jamais été … très militaire, entre rigueur et une certaine sévérité, elle avait préféré s’en tenir éloignée. La mission diplomatique lui avait semblé parfaite comme compromis entre la distance qu’elle souhaitait garder et son envie de participer à l’effort.

Mais je ne passerai pas après tes jeux avec Zelda. C’est tout simplement hors de questions.

Valentine regarde June et tends sa main vers elle. C’est si compliqué de s’excuser ? Evidemment que oui.

- Ça n’avait rien d’un jeu, souffla-t-elle, sans s’aventurer plus loin.

Ce n’était de toute façon pas avec Valentine qu’elle devait aborder le sujet épineux de Zelda. Avec le temps, celle-ci avait été forgée par l’influence de l’avocate, mais peut-être celle-ci avait sous-estimé les dégâts psychologiques que subirait cette enfant poussée dans les bras de la guerre. L’adolescente était une arme, certes, mais elle était aussi à l’image d’un animal sanguinaire. Il lui fallait sa dose de sang pour se satisfaire, rester dans le rang et se rappeler son allégeance. Mais la rouquine ne se leurrait pas : un jour ou l’autre, elle devra y mettre un terme définitif.

Longuement, elle fixa la main tendue de l’horticultrice. Lentement, avec hésitation, elle approcha la sienne pour entremêler ses dois à ceux de Valentine et se rapprocher d’elle. Si c’était difficile de s’excuser ? Elle n’avait pas idée.

- Je suis désolée, mieux valait un plongeon dans l’eau froide.

Et elle n’allait pas en rajouter. Parce qu’elle savait que parfois, ça ne servait à rien de trop en dire ; et surtout, parce qu’elle était sincère. L’avocate était navrée d’avoir mal manœuvrée toute cette histoire, son jugement obscurcit par des ressentiments personnelles. Elle devait se promettre que ça ne recommencerait plus.

- C’est… c’est nouveau pour moi, tu le sais. Que ça dure, sans que ce soit une façade, confia-t-elle avec une rare pudeur : Valentine était la personne au monde qui la connaissait le mieux, sous le voile de fer, mais malgré tout, s’exposer était un exercice atypique, et cette fois, j’avoue que je me pose une question, à laquelle j’aimerais bien avoir une réponse.

Une entorse à leur principe, naturellement basé sur l’invisible et les mots qui se lisaient entre les lignes. Mais June n’en demeurait pas moins une cérébrale, alors elle avait besoin d’entendre, d’analyser et de comprendre, pour finalement apprendre. Toujours.

- Pourquoi tu reviendrais, ses prunelles d’émeraude fixèrent leurs mains jointes, et malgré la proximité, elle reformula : si tu reviens.

Autrement dit : pourquoi une jeune femme si libre, nourrie au soleil de la Provence et capable d’un amour réel, lui donnerait autant d’année de ce qu’il restait de sa vie.

Pour les mêmes raisons qui t’ont fait venir, June. lui répond t-elle, alors qu’elles entrelacent leurs doigts ensemble.

Pourquoi revenir ? Parce qu’elle ne réussissait pas à partir. Devait-elle le dire ? Vraiment ? Était-ce réellement nécessaire ? Pourquoi avait-elle tant de mal, même après des années à se côtoyer. Valentine se demandait si elle pouvait expliquer cela par ses antécédents, sa promesse silencieuse de ne plus jamais exprimé ses mots. Il y avait eu tant de non-dits confortables, qui lui permettait de demeurer lointaine et détachée, sans pour autant se foutre de tout. Assez pour qu’elle veuille revenir, pas assez pour qu’elle veuille partir.

Je n’aime pas beaucoup dormir seule ici, et je crains que tu sois l’une des seule à supporter mon antipathie et mon flegme insolent.

… et elle rit. Un rire inattendu, terriblement instinctif, pour elle qui ne fonctionnait qu’à l’intellect. C’était si drôle, d’entendre Valentine fuir ses propres mots, alors qu’elle reprochait à June de faire la même chose, quelques secondes auparavant. Ça lui suffisait, elle n’avait pas besoin de mièvrerie, la manière de s’exprimer de sa compagne lui convenait. L’avocate eut alors l’audace de réduire encore la distance qui les séparait, glissant sa main libre à la taille de l’horticultrice pendant que son front épousait le sien. Ensuite, elle respira son parfum. Celui de la terre, des plantes et du travail.

- Oui, c’est certainement la seule raison, approuva-t-elle sur un ton gentiment moqueur, que personne d’autre ne lui avait jamais entendu, quel plaie de dormir seule ; et… il faut bien que je me sacrifie pour le peuple.

June lui sourit, les yeux pétillants, résistant à l’envie de lui voler un baiser. Pas maintenant. Même leur réconciliation n’était pas commune, voilée d’une pudeur qui s’apparentait à de la maladresse – ou l’inverse. La rouquine s’éloigna alors, lentement, pour rendre sa liberté à Valentine.

- Je t’attendrai ce soir.

Si elles voulaient, aucune d’elle n’aura à dormir seule.