Tu es bien loin de me laisser indifférente, cependant je ne comptais en rien te forcer. Alors, oui. J'espérais secrètement qu'un jour tu oserais me poser cette question, dis-je d'une voix emplie de douceur afin de réduire au maximum les risques qu'il puisse prendre cela comme une quelconque attaque personnelle. Après tout, ce n'est en rien un secret que Jacob a une fâcheuse tendance à toujours douter de lui et à se servir du moindre argument pour le retourner en sa défaveur.

Un léger frisson parcourt mon échine lorsque sa main passe sur ma taille et je reste confortablement installée sur ses cuisses. L'un de mes bras passé autour de son cou, je m'en sers pour rester proche de lui sans pour autant que cela risque de le mettre mal à l'aise. Quant à mon autre main, elle vient délicatement se perdre dans sa chevelure. Mes doigts s'y promènent lentement, jouant avec ses mèches et cherchant à l'apaiser par ce geste tendre.

Et bien, tout dépend. Je suis disponible généralement chaque soir, mais je peux aussi me libérer dans la journée selon ce que tu souhaiterais faire. Nous pourrions aller dîner, ou déjeuner ? En réalité, je suis ouverte à toute proposition. Tant que cela te met à l'aise, toi. Je n'ai pas envie qu'il se sente mal à l'aise en essayant de correspondre à cette idée qu'il me faut forcément du faste afin que je sois comblée. Mon esprit ne peut cependant que s'inquiéter du fait qu'il existe de fortes probabilités qu'une quelconque proximité avec moi n'implique qu'à l'avenir Jacob risque d'être mis en danger.

Aussi, je me fais plus sérieuse et viens plonger mon regard dans celui du brun, y laissant voir une inquiétude palpable. Jacob... Avant toute chose, je veux que tu saches qu'il est possible que faire partie de mon cercle le plus proche fasse de toi une cible pour ceux qui voudraient m'atteindre. Et... je ne voudrais pas qu'il t'arrive malheur. Mais égoïstement, je n'ai pas non plus envie de te repousser pour te protéger. Alors... Je préfère te prévenir, et je comprendrai ton choix de couper court à tout cela, si tel était ton désir.

Je suis du genre patiente, tu devrais le savoir, dis-je avec un sourire étirant le bord de mes lippes et un clin d’œil venant souligner la complicité de cette phrase. Et ce sourire ne fait d'ailleurs que s'élargir alors que le brun vient m'interroger au sujet de ma volonté d'apprendre à monter à cheval. Je n'ai pas abandonné le projet, bien au contraire. Je n'ai juste pas eu beaucoup de temps, récemment. Aurait-il comme idée de vouloir me donner un cours en guise de rendez-vous galant ? C'est... original. Mais je suis certaine d'être capable d'y voir une touche de romantisme, en cherchant bien.

Au reste, le sérieux revient prendre sa place sur mes traits et dans le ton de ma voix. Il est accompagné d'une inquiétude latente que je peine à masquer. Car je ne souhaite en rien que Jacob soit à son tour entraîné dans toutes ces histoires. Dans cette vie où l'on ne peut jamais faire confiance à personne avant d'avoir eu suffisamment de preuves que l'on ne cherche pas à nous assassiner. Où chaque jour pourrait être le dernier, simplement parce que vous véhiculez un idéal politique qui ne ravit pas tout un chacun.

Baissant un instant le regard, mes mains viennent se poser respectivement sur la nuque et le torse de l'homme. Mes doigts quant à eux viennent tracer lentement des cercles, distraits, sur sa peau et sur son haut. Comme pour tenter de me rassurer. De me réconforter. De m'apporter une force que je doute posséder malgré tout cela. Je n'ai pas envie de te cacher. Je n'ai pas envie de faire semblant pas... pas avec toi. Mais plus encore, je ne veux pas te perdre. Te causer du tort. Ou te faire risquer ta vie simplement pour avoir fait le choix d'être... à mes côtés. Je ferme les yeux, peinée et attristée par cette réalité. Car il semblerait que peu importe mes décisions, la fatalité soit toujours la même : si je tiens à protéger ceux qui me sont chers, alors je suis obligée de les éloigner de moi. D'être seule. A jamais.

Alors j'ai hâte d'y être, glissais-je d'une voix presque murmurée. Comme sur le ton de la confidence. Puis, si un doux frisson vient se propager le long de mon bras au passage des doigts du brun sur ma peau, c'est un sentiment amer qui vient alourdir mon cœur lorsque la réponse de Jacob se fait entendre.

Bien évidemment, elle est parfaitement logique. Et si un sourire exprimant toute ma compréhension vient ourler lentement mes lippes, celui-ci se teinte malgré tout d'une pointe de tristesse. Ce sont mes choix qui m'ont amenée dans cette position. Mon désir de pouvoir offrir à chacune la vie dont elle a été privée pendant de nombreuses années. Et aujourd'hui, encore, mes ambitions me privent du luxe d'imaginer vivre quelques bribes d'une existence normale. Celle que je tente d'apporter aux autres par mon travail.

C'est certainement trop tard que je me rends compte que mes yeux se sont subrepticement humidifiés et, par réflexe, je me redresse légèrement en prenant une grande inspiration. Afin, comme à mon habitude, de reprendre le dessus sur mes propres émotions. Tu as raison. Ta sécurité et celle de ta famille sont la priorité. Excuse-moi, j'ignore où j'avais la tête. Ainsi, malgré moi, je recommence à vêtir ce masque derrière lequel je vis depuis de très longues années maintenant. Peut-être même depuis ma plus tendre enfance. Je souris à nouveau, hoche la tête et finis par me détacher de lui à contrecœur pour me relever. Glissant presque nerveusement ma main dans mes cheveux, je fais quelques pas afin de rejoindre mon verre que je porte à mes lèvres pour le vider sans tarder.

Je ne saurais prendre le risque de priver des enfants de leur père... Je ne suis pas aussi égoïste que cela... Quitte à en souffrir, et à me priver une nouvelle fois de l'opportunité de vivre quelque chose d'authentique. Comme si je n'étais rien d'autre que moi.