J'ignore quelle naïveté me pousse encore à croire qu'il me sera un jour possible de connaître la normalité. Jamais cela n'a fait partie de mon quotidien, d'une quelconque manière. Née dans un environnement des plus dangereux, à côtoyer misère et désolation au quotidien. Forcée d'agir pour le bien des siens sans prendre en compte ses propres désirs. Amenée à entrer dans un groupe extrêmement puissant lorsque le monde s'est effondré. Obligée de jouer constamment un rôle alors que tout était devenu subitement encore plus hostile qu'auparavant. Et je parle bien de ce qu'il se passait entre ces murs. Derrière les dorures extravagantes de la Zone Blanche. Endroit que tous jalousaient, sans savoir qu'il s'agissait certainement du pire endroit où se trouver. Forcée de constamment surveiller mes dires, mes gestes, que ce soit en société ou au sein même de ma propre maison. Et aujourd'hui, me voilà Sénatrice. Une nouvelle fois épiée, menacée de mort. Tout cela car je pensais être capable d'apporter aux autres ce que je n'ai jamais pu avoir.

Je prends une profonde inspiration, le regard fixé sur ces quelques gouttes restant au fond de mon verre vide. Je ne réponds pas à la mention de mon prénom par le brun, bien trop aspirée par ce tourbillon de pensées ayant envahi mon esprit. Une dure réalité me heurtant une nouvelle fois comme si j'avais été capable de l'oublier quelques instants.

Si un frisson remonte le long de mes bras lorsque les doigts de Jacob se posent dessus, je ne peux pourtant le regarder. Cela ne servirait à rien de le faire souffrir davantage. Puisque je tiens à lui, alors je dois le protéger de ce que cela implique d'être proche de moi. Je ne l'ai que trop vu concernant Elliot. Pourtant je suis obligée de me tourner vers lui. Je ne cherche pas réellement à lutter. Et lorsqu'il relève mon visage, je rouvre ces mêmes yeux légèrement embués vers ses traits. Ce que je souhaite..?

Depuis combien de temps ne m'avait-on pas sincèrement posé cette question ? Il m'en est presque difficile d'avaler ma salive, sur l'instant. Puis après un court moment d'hésitation, je finis par reprendre la parole dans la sincérité la plus absolue. Je souhaiterais être... normale. Pourvoir aimer et être aimée en retour. Pour celle que je suis, et non celle que tout le monde pense que je suis. Être avec cet homme qui habite sans cesse mes pensées, sans risquer de le mettre en danger lui, ou ses enfants. Découvrir ce que cela fait, d'être dans une relation sincère. A ces mots, je baisse le regard. Laisse un soupir las s'échapper d'entre mes lèvres. Puis je reprends. Voilà quelle est cette impossible réalité que je souhaite.