Gary répondit à sa question, sans véritablement entrer dans les détails. D’après ses dires, tout allait bien. Il ne mentionna aucune mésaventure. Etait-il possible que le camp n’ait subi aucune perte humaine au cours de ces trois derniers mois ? Ou bien leur leader cherchait-il simplement à les préserver des mauvaises nouvelles ? Les estimant trop faibles encore pour accuser le coup. La gorge de Christina se serra une seconde, ne pouvant s’empêcher de penser que si Sven était resté tout ce temps ici, il irait bien aujourd’hui.

- Julia ? Rebecca ? Ethan ? Elle demanda des nouvelles de ceux qu’elle n’avait pas dans son champ de vision. Brooke. Buzz. Mais la nouvelle n’avait pas encore fait tout le tour du camp, et certains étaient encore certainement à l’extérieur.

Le couple reçut quelques autres nouvelles, hochant la tête en prétendant suivre. Mais la fatigue et l’hypoglycémie embrouillaient leurs esprits. Christy, tout du moins, avait du mal à assimiler, submergée par le souvenir des derniers mois qu’elle avait vécu de son côté. Elle posa un regard las sur Alan, lorsque celui-ci entreprit de répondre à la question que Gary osa finalement poser. Il y avait aussi tant à dire, et pourtant si peu de mots pour l’exprimer. Leur expérience commune au stade était autre chose. Mais certains d’entre eux avaient aussi vécu un temps dehors : Isabel, Quinn, Justin. Ils savaient. Mais aucun ne portait le deuil de leur progéniture.

Christina baissa les yeux en croisant le regard de Nara, alors qu’Alan évoquait la disparition de leur garçon. Il serra davantage sa main dans celle de sa femme, mais celle-ci ne lui rendit qu’une poigne molle. Il l’avait perdu. Le terme n’était pas imagé, c’était précisément ce qui s’était passé. A un instant, ils étaient ensemble tous les trois. Puis une horde les avait pris par surprise et la seconde d’après, ils avaient dû se disperser. Ils s’étaient tous perdus de vue. Longtemps. Jusqu’à ce que Christy ne retrouve les affaires souillés de son fils. Puis qu’Alan ne la retrouve ensuite…

L’ancienne hôtesse de l’air serait rester longtemps à fixer le sol à ses pieds, si Quinn et Abel n’étaient pas revenus peu de temps après pour leur donner deux ou trois trucs à grignoter. La femme croisa alors les regards peinés et désolés de leurs anciens amis. Un brin accusateurs peut-être aussi.

Nara avait accompagné Alan jusqu’à sa femme, vers les autres, parce qu’elle savait qu’ils avaient besoin d’eux. Evergreen était en quelque sorte une famille, dans laquelle la jeune femme se sentait à l’aise. Depuis le stade, où elle avait rencontré le père de famille, elle s’était bien entendue avec ce dernier et toute sa famille. Christina, toujours l’œil protecteur et le conseil sage, Alan, cette paternité émanant de lui, et Sven, ce garçon si adorable qu’il semblait faire tâche dans un décors si chaotique. Nara adorait les Karlson parce qu’ils lui faisaient penser à cette famille qu’elle enviait. Parce que son père a elle avait disparu ou parce qu’il n’avait jamais été parfait.

Elle chercha la main de Buzz sans le regarder, sentant qu’il arrivait parmi le petit groupe pour retrouver avec joie le couple Karlson. Elle n’osa pas le regarder quand elle vit Alan ouvrir la bouche avant que quelqu’un ne daigne à demander ce que tout le monde se demandait : Qu’est-ce qui s’était donc passé dehors ? Gary évidemment, correspondait toujours à cet homme de poigne. Nara avait levé les yeux vers lui en hochant la tête pour elle-même, parce que c’est exactement la question qui lui brûlait les lèvres.

Mais la réponse d’Alan fit serrer la main de Nara dans celle de son petit ami. Elle aurait pu parier qu’ils ne retrouveraient pas James, mais elle ne pouvait pas les blâmer pour ça. Après tout, elle aussi avait eu une période où elle n’avait qu’un désir : Quitter le stade à la recherche de son père, qu’elle pensait toujours vivant. Mais c’était Buzz qui l’en avait empêché. Il était là pour l’épauler et lui faire entendre raison, même si lui-même désirait plus que tout de retrouver Samuel Turner.

Mais Sven. Sven ne pouvait pas avoir été supprimé de la Post Apocalypsia. Impossible. Nara secoua la tête avant de détourner les yeux de Christina, qui posait justement son regard sur elle. « Non. » Elle releva alors brusquement la tête en refusant d’y croire, d’un ton catégorique et sec. « Nop nop nop. Bon. » Elle murmurait juste assez fort pour que Buzz et les gens agglutinés à côté d’elle ne l’entende mais elle tenta de paraître impassible. À la place, elle se força à reposer son regard sur Christina, puis sur Alan. Elle serra un peu plus les doigts de Buzz, ignorant la potentielle douleur provoquée par une telle poigne.

« Ecoutez, il vaudrait mieux vous reposer. On aura tout le temps d’en reparler. Vous êtes à la maison maintenant. » Dit-alors Nara en élevant légèrement la voix. Elle leva la tête pour tenter un sourire à Buzz, qui bizarrement sonnait faux. Elle n’avait pas envie de sourire, elle pensait à ce pauvre Sven, au fait qu’il n’aurait jamais dû partir avec eux, au fait qu’il ne méritait pas de finir comme cela, aussi bêtement. Est-ce qu’il était mort ? Est-ce qu’il était perdu ? Seul ? Nara espérait la même chose de son père, toujours et secrètement, même si elle essayait de se persuader du contraire.

« On s’occupe d’abord de vous deux. » Ajouta-t-elle en hochant de nouveau la tête. Sa voix s’était enrouée légèrement alors elle se contenta de froncer les sourcils et de secouer de nouveau la tête.

Vacant à ses occupations, Dante en fût pourtant sorti lorsque son amie Tamara fit éruptions dans le chalet en annonçant le retour des Karlson. « Sérieux ?! » était le seul et unique mot que le blondinet parvint à prononcer. Non pas qu'il ne soit pas heureux de les revoir, au contraire cela lui faisait extrêmement plaisir depuis le temps qu'ils avaient quitté ce refuge, mais c'était justement cette longue absence qui prenait fin que Dante n'arrivait pas à réaliser.

Il resta quelques secondes sur place, immobile, avant de réagir afin de partir avec les autres personnes présentes à la rencontre de Christina, Alan, Sven et peut-être même James. Mais une fois sur place, le sourire omniprésent du jeune homme s'estompa. Le couple était bien présent, mais aucun signe des deux fils. Les Karlson étaient partis à trois avec pour but de retrouver le fils aîné, pourtant les seuls à être de retour étaient les parents. Le canadien s'imagina tout de suite le pire ; la mort pour des enfants.

Ne sachant quoi dire d'un tant soit peu intelligent, Dante se contenta d'exprimer sa joie de les revoir « Très heureux de vous retrouver ! » lança-t-il tout souriant. Mais ce sourire était un peu exagéré car l'inquiétude était présente. Alan expliqua alors que le couple n'avait pas retrouvé Sven. L'espoir que ce dernier soit en vie prit alors le dessus. Avec de tels parents, et étant donné que ça faisait peu de temps qu'ils n'avaient plus aucune trace du fiston, le blondinet se dit que Sven parviendrait à rejoindre le camp. Évidemment, si les Karlson ou quiconque souhaitait organisé une sortie pour le retrouver, Dante serait de la partie.

    Les regards des autres étaient à la fois rassurants, revigorants, et difficiles à supporter. Derrière ce soulagement qu'ils nous insufflaient à s'amasser autour de nous, rendant encore plus réel notre retour, il y avait autre chose, cette petite pointe de reproches que personnes pourtant n'osait lever. Je croisais un instant le regard de Dante alors qu'il nous adressait quelques mots et tentais un sourire reconnaissant. Oui, toutes ces personnes étaient notre famille. La seule qu'il nous restait désormais.

    Au moment où j'avais répondu à Gary, j'avais bien senti que Christina ne tenait plus le coup, elle était ainsi à côté de moi comme une sorte de pantin désarticulé. Après la perte de notre enfant, les jours avaient été longs, et nombreux avaient été ceux où elle tenté de faire demi-tour et où je n'avais eu d'autre choix que de lui ouvrir les yeux, quitte à être un peu sec par moments. Elle avait depuis notre arrivée ici fait son possible pour voir le côté positif de notre retour, mais aborder vivement le sujet de notre fils avait ravivé tout ce qu'elle essayait d'ignorer.

    Et les premiers commentaires fusèrent. Notamment celui de Rebecca qui, même si ça n'avait pas été volontaire, était plein d'une amertume que je ne pouvais lui reprocher. Alors qu'elle s'était avancée vers Christy, je me contentais de lui adresser un regard à la fois plein de peine et d'excuse, posant une main légère sur son bras. La voilà de Nara s'éleva non loin, elle aussi peinait à croire la nouvelle, mais le courage de m'étendre sur le sujet était devenu inexistant. Buzz était aussi à côté d'elle, soulagé de le voir également, c'était sa carte où étaient illustrés de nombreux visages d'ici qui m'avait aidé bien souvent à tenir bon, surtout pour notre retour catastrophique. Tentant un nouveau sourire tout aussi vide que les autres, je hochais la tête en me passant une main las sur les yeux.

« Merci. »

    Ce mots avait été comme un souffle, mais il suffisait de lire un minimum sur les lèvres pour le comprendre. Nous étions en effet là et aurions tout le temps d'en discuter plus tard, il fallait s'occuper de nous, mais malgré notre retour et le soulagement de les revoir tous, la perte de mon fils, survenant à ma perte d'espoir quant à James, laissait un trou béant dans mon cœur que je n'étais pas certain de pouvoir panser.

Pas le temps d’attendre la réponse de Dante, que j’étais déjà retourné dehors. Je voulais en savoir le maximum. Surtout pour entendre le blond prononcer le mot sérieux. J’avais préféré ne pas être trop collante avec Christina que je sentais épuisée. Je m’inquiétais plutôt pour Sven. J’avais lié une amitié sincère avec lui et résultat, il s’était évanoui dans la nature. Je lui avais laissé un de mes dés avant qu’il disparaisse, je n’étais pas triste d’avoir perdu un objet, mais plutôt la perte de mon ami. Certes, il fallait garder espoir, mais j’avoue que dans une situation pareille ce n’était pas vraiment facile. Je remarquais alors que Dante était arrivé avec un train de retard.

Je sentais la tristesse des parents qui venaient de perdre un fils. Je ne pouvais pas comprendre leur peine et je ne me souhaitais pas de pouvoir le faire un jour. Mais en attendant ils avaient besoin de soutien et qu’on s’occupe d’eux. Moi qui avais décidé de rester dans l’ombre jusqu’à maintenant pour encaisser la nouvelle, je m’approchais doucement d’Alan. Il faisait partie des rares que j’avais repérés dès le début de ma vie au Stade. Le feeling était tout de suite bien passé avec lui. Il m’avait aidé lorsque j’avais tué mon premier mob. Je devais à mon tour être là pour lui. Sans vraiment réfléchir plus longtemps, je m’approchais et le prit dans mon bras.

Un bras se glissait sur ses épaules tandis que ma seconde main se posa sur sa nuque avant de le serrer contre moi. Beaucoup aurait sans doute vu une agression sexuelle d’un tel câlin, mais quand on me connaissait un peu on s’y habituait. Je ne le retenais contre moi juste assez longtemps pour pouvoir lui glisser discrètement quelques mots à l’oreille.

- Tu pourras toujours compter sur nous. Si vous avez besoin, tu peux venir me réveiller à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

Alors que je relâchais mon étreinte, je lui offrais mon plus beau sourire. Celui que j’avais piqué au soleil tellement il était rayonnant et coopératif. J’espérais pouvoir lui redonner un peu de baume au cœur.