En une seconde, ils furent rejoints par plusieurs visages familiers. D'abord Edwin, puis Gary qui prit la relève d'Alan et cette vague positive redonna un peu de force à l'ancienne hôtesse de l'air ! Elle ne retint pas un léger sourire. Elle en aurait chialé, tellement elle était soulagée de rentrer. Ces derniers mois avaient été aussi cauchemardesques que nécessaires - oui oui ! - et il ne faisait aucun doute que le couple était revenu changé. Endeuillé et changé.

- Ça va, ça va, dit-elle en prétendant qu'elle pouvait marcher seule. Mais Gary n'en fit rien et ce fut tant mieux ! Il héla qui voulait bien l'entendre d'aller chercher Rose, expressément. Je vais bien, répéta-t-elle, pourtant sans grande conviction.

Le couple, ainsi que l’attroupement qui s'était formé autour d'eux, arriva finalement aux portes du chalet. Leur état de santé était pour l'instant la principale préoccupation. Elle évitait dans tous les cas de poser les mauvaises questions : avaient-ils retrouvé James ? Qu'était-il arrivé à Sven ? Il fallait dire que les réponses à ces interrogations s'imposaient d'elles-mêmes... Les détails viendraient donc en temps et en heure. Quand les corps seraient reposés. Bientôt.

Rose fit alors son apparition, et Christy répéta une nouvelle fois qu'elle allait bien. La médecin ne l'écouta que brièvement, et donna des ordres à Skyler.

- Ah oui, je veux bien un peu d'eau... Et elle se retrouva avec une bouteille en plastique dans les mains. L'eau était fraîche, et la femme la fit couler dans son gosier, alors qu'Alan répondait à la question. Je vais m'asseoir, ça ira, ajouta-t-elle.

Elle passa une main dans ses cheveux sales. Puis son regard coula sur tous les gens autour d'eux : Tamara, Abel, Dante, Arthur, Kassandra... ils étaient tous là. Tous ? Elle chercha notamment Julia du regard. Les attitudes prévenantes de leurs anciens amis étaient comme du baume sur leurs cœurs et la femme sourit vaguement de nouveau. Elle lisait dans leurs regards les questions qu'ils avaient pour eux. Celles qu'ils n'osaient pas poser.

- Racontez-nous ce qui s'est passé ici, depuis qu'on est parti, s'empressa-t-elle ainsi de demander, pour ne pas avoir à penser dans l'immédiat à l'échec de leur aventure.

    Les premiers ne tardèrent pas à arriver jusqu'à nous, et malgré le vide qui s'était creusé en moi depuis ces dernières semaines, je ne pouvais m'empêcher de me sentir soulagé, presque heureux, de les voir en vie. Ils allaient bien, ils étaient là. Adressant un sourire fatigué à Gary quand il vint soutenir Christina, je relâchais un peu ma prise avant de ne pas user de mes dernières forces à quelques mètres de l'arrivée. Chaque paire d'yeux lançait des questions auxquelles je n'étais absolument pas prêt à répondre ; de toute façon l'état de mon épouse était pour l'instant bien plus important.

    Rose arriva accompagnée de Skyler et je sentis comme un nouveau poids s'ôter de mes épaules ; elle aussi allait bien. Depuis combien de temps n'avions nous pas mangé ? Fouillant dans ma mémoire pour me souvenir du nombre de jour, je faillis préciser que nous étions sous nourris quasiment depuis notre départ.

« Deux ou trois jours. »

    Inutile de préciser que le problème était bien plus profond que cela, la plupart savaient parfaitement ce qu'il y avait là-dehors et à quel point la vie était impossible. Alors que Christina s'asseyait un peu à l'ombre, je restais à côté en regardant tour à tour les personnes nous entourant. Qu'il était bon de les revoir tous, ils avaient l'air en forme, contrairement à nous qui devions avoir des têtes de revenants. Me penchant légèrement pour faire glisser mon sac et armes jusqu'au sol, je me demandais un instant si tout cela n'était pas une illusion et, machinalement, j'enserrais de ma main gauche l'épaule de ma femme, attendant tout comme elle le récit de ces quelques mois passés ici.

Aujourd'hui, Quinn n'avait rien de spécial à faire. En tout cas pas à trois heures de l'après midi. Son travail viendrait un peu plus tard, lorsqu'il serait question de commencer à préparer le repas du soir. Mais là, il était trop tôt. Du coup, armée d'un livre et des lunettes de vue qu'elle avait emprunté à l'un des habitant du chalet, elle s'était étalée dans l'un des canapés de la grande salle. Pour lire, pénarde.

Un chapitre terminé, elle vit entrer Tamara à tout berzingue dans la pièce. Les Karlson étaient de retour. Il fallut un temps pour que la blonde mette un visage sur ce nom. Lentement, elle tira sur les lunettes et croisa les branches pour les poser avec son livre sur la table basse où un beau bordel traînait. Ils étaient vivants. Après tant de temps, ils avaient réussi à retrouver la route du chalet. Quinn ne se réjouissait pas autant que les autres. Pour la simple et bonne raison qu'elle ne connaissait que trop peu cette famille. Ils avaient pris la route peu de temps après qu'elle soit arrivée alors autant dire qu'elle avait du échanger seulement deux ou trois mots avec eux.

N'empêche que par curiosité, la blonde leva ses fesses du canapé pour suivre le mouvement. Sans doute que c'était de la curiosité mal placée mais au final, c'était quand même un événement important. Ils rentraient, sains et saufs. Les mains enfouies au fond des poches de son jean noir, elle avança jusqu'à la foule. Ils étaient déjà tous attroupés autour de Christina et Alan. Directement, Quinn remarqua qu'un membre de la famille manquait à l'appel. Mais elle ne dit rien, comme elle ne fit rien non plus. Elle resta à l'écart, à observer, sans aucune expression sur le visage. Elle laissa la place à ceux qu'ils connaissaient bien mieux et puis de toute façon, qu'est ce qu'elle aurait bien pu leur dire ? Qu'elle était contente de les revoir ? Il y avait de grandes chances qu'ils ne se souviennent même pas d'elle.

Calmement, elle suivit le groupe et garda une oreille attentive lorsque Rose se mit à parler. Elle avait beau ne pas l'aimer, elle restait médecin. Ils n'avaient pas mangé depuis plusieurs jours. Sans attendre, Rose s'était tournée vers la foule, cherchant quelqu'un du regard. Et ce quelqu'un c'était Quinn. « Il reste des choses à grignoter ? » Rapidement, la blonde fit l'inventaire dans sa tête. Oui il restait quelques trucs, des restes du repas d'hier soir aussi mais ce n'était pas ce qui conviendrait le mieux à deux personnes n'ayant pas manger depuis plusieurs jours. Il fallait du sucre et des choses pas trop lourdes. « Il reste un paquet de biscuit. » Elle fit quelques pas de recul, puis tourna les talons en direction des cuisines. « J'vais voir c'que j'trouve. » Lança elle en disparaissant de leur champ de vision.

Il faisait chaud. Il faisait beau, et Nara était dehors, assise sur une souche en tailleur. Elle portait un débardeur trop grand pour elle qui baillait à des endroits peu avantageux. Ses cheveux étaient rassemblés en un chignon fouillis, la nuque dégagée et libre de respirer un peu. Parfois, la pierre ripait et lui blessait les jambes, mais ça n’était pas grave. Elle perfectionnait sa taille et comptait bien faire tout un stock d’armes de sa fabrication. Le tout aurait été parfait pour chasser, si du moins elle trouvait quelqu’un de vraiment motivé à lui montrer.

Buzz ne s’y connaissait pas plus qu’elle, alors inutile de partir en duo chasser comme deux enfants. Nara trouvait l’idée inutile. Alors du coup, elle se contentait de travailler sur ce qu’elle savait vraiment faire. Elle se rendait également utile au campement et paraissait cependant en meilleure forme, après s’être fait réprimander par ses camarades qui trouvaient stupides qu’elle se tue à la tâche.

Mais ce jour, là, Nara ne savait pas encore ce qui l’attendrait. Quand elle vit l’agitation autour du portail qu’elle avait aider à faire construire. La jeune femme leva alors la tête, dégagea une mèche de cheveux de son visage et souffla inutilement vers le haut pour s’aérer le visage. Arquant un sourcil, elle haussa les épaules pour elle-même avant de redonner un coup de percuteur sur une pierre en cours de taille. Puis, ils continuèrent à s’agiter, ce qui fit de nouveau lever la tête à la brune. « Qu’est-ce que… » Lâcha-t-elle en dépliant ses jambes.

Les Karlson. Ils étaient de retour. Pour de vrai. Elle laissa tomber le percuteur et le morceau de silex, mais elle ne bougea pas tout de suite. Tout le monde s’était pressé vers eux, ce qui était parfaitement normal. Mais elle fronça les sourcils en les voyant arriver. Il manquait quelqu’un. Sven. « Non… Non il n’aurait pas dû… Non… » Alors Nara accéléra le pas, avant de se mettre à courir vers eux. Christina s’assit un peu plus loin, entourée de tout le monde qui essayait de les soulager d’un poids qu’ils avaient endossé depuis leur départ, celui de la survie.

Nara se précipita vers Alan, se plantant devant lui alors qu’il se tenait légèrement à l’écart. Elle avait envie de l’enlacer ou de dire quelque chose, lui dire qu’elle avait craqué à leur départ, elle qui pourtant n’avait plus versé de larme depuis le début de l’Apocalypse, lorsque l’appartement de son père s’était avéré vide. Elle ne voulait pas pleurer mais elle n’arrêtait pas de penser à ce que tout le monde avait en tête évidemment : Qu’est-ce qui était arrivé à Sven. Elle fit volte-face pour essayer d’apercevoir Buzz au loin, avant de se détourner en concentrant son regard vers Alan. Il avait les traits tirés, il semblait à bout. Elle leva ses deux mains vers lui, d’un geste un peu brusque, pour finalement les poser avec douceur de part et d’autre de son visage. Elle parcourut son visage délicatement comme s’il s’agissait d’un vieil animal blessé.

« On va s’occuper de vous. » Annonça-t-elle alors. Cela ressemblait presque à une directive un peu sèche, mais en réalité, il s’agissait d’une promesse. Elle s’avança alors vers lui pour l’enlacer enfin en une étreinte brève mais forte. Elle avait presque peur de lui faire mal. En reprenant des forces, Nara n’en avait pas négligé de poursuivre ses exercices. Elle ne voulait pas perdre du poids et en plus perdre en force. Elle relâcha son étreinte et se mordit la lèvre inférieur, la question de Sven lui brûlant les lèvres. Elle se contenta de froncer les sourcils en se tournant vers les autres.

« Viens t’asseoir aussi, t’es épuisé. » Dit sur le même ton Nara qui lui prit la main pour s’approcher du groupe, et de sa femme qui se voyait désormais soulagé du poids de la solitude par les membres d’Evergreen. Ils étaient en sécurité désormais, c’était le principal.
 

    La masse de personnes s'agglutinant autour de nous était grandissante et bien que je me sentais libéré d'un poids à chaque visage familier que je voyais, je ne pouvais m'empêcher de percevoir derrière leur joie tous les questionnements qui tonnaient en eux. Pris dans mes réflexion, je ne remarquais Nara que lorsqu'elle s'arrêta juste devant moi ; elle avait maigrit un peu mais elle allait bien. Je lui adressais un petit sourire fatigué tandis que ses mains sur mon visage me ramenèrent à la réalité ; nous étions bien là, avec eux, ce n'était pas un rêve ou une illusion. Fermant un instant les yeux en soupirant, je répondis à son étreinte tout en posant une main sur l'arrière de sa tête ; et Buzz ? Etait-il toujours là ? Mon regard à nouveau calé dans les yeux de la brune, je la laissais m'entraîner auprès des autres pour m'asseoir ; oui, j'avais réellement besoin d'un peu de repos. En avions-nous seulement eu ne serait-ce qu'une seconde depuis notre départ ? Je redécouvrais peu à peu à quoi pouvais ressembler la sérénité, même fragile.

« Je suis heureux de voir que vous allez bien. »

    J'avais prononcé ces quelques mots avant de lâcher sa main, me concentrant alors sur les explications de Gary. En effet, le camp semblait avoir un peu changé, et il y avait quelques têtes que je ne connaissais pas, mais nous étions revenus. Quelques personnes racontèrent à leur tour des anecdotes de ces derniers mois sans que j'y prête une grande attention, trop occupé à analyser tout ce qui nous entourait. La question de Gary cependant me fit immédiatement relever la tête et je restais un instant interdit, le regardant avec des yeux fatigués et pris par trop d'émotion. Secouant la tête, je pris une profonde inspiration. Par où commencer ?

« Il n'y a plus rien là dehors. On a pu aller jusqu'à chez nous à Seattle, puis dans notre chalet près du Chester Morse Lake mais il n'y avait aucun signe de James. »

    Marquant une pose, je pris dans la mienne la main de mon épouse et la serrait fort comme pour ne pas perdre pied, ne pas la perdre elle non plus.

« Nous avons hésité à descendre jusqu'à San Francisco mais c'était trop risqué. Et sur le chemin du retour... Sven... Nous l'avons perdu. »

    Mes derniers mots avaient été étouffés par un sanglot tandis que je baissais la tête en serrant les dents, tentant de retenir mes larmes. Il n'y avait pas besoin d'en dire plus pour l'instant, je n'en avais de toute façon pas la force.