Le type restait debout à côté du canapé pour déblatérer.
Neil se contentait de l’observer, toujours accoudé, sans vraiment bouger. Il n’y avait pas beaucoup d’expressions qui filtraient sur sa face, principalement parce qu’il cherchait à discerner celles de son interlocuteur. Tous ces mots qui passaient, il n’avait aucune preuve qu’il y ait même un soupçon de vérité. Vu le flot de paroles surement, au moins quelques morceaux, mais il aurait aussi bien pu réarranger les évènements.
Le gamin le quittait des yeux un instant en l’écoutant, il manquait cruellement d’informations sur où il avait foutu les pieds. Il n’avait jamais été même assez curieux pour s’intéresser à cette ville avant, n’avait jamais vu une rue, tout ce qu’il en connaissait venait de son atlas routier. Quasiment rien en somme.

L’armée. Finalement l’homme abordait le sujet qui l’intéressait. Neil se reconcentrait tout entier sur sa face. A Salem le scénario avait plus ou moins été le même, quoique moins rude. Tout le monde était convié à rejoindre le camp mais il avait refusé d’y foutre les pieds. Personne n’était venu les y forcer. Et merde, si ici il était tombé, où est-ce que son père avait bien plus se planquer à son arrivée ?
Il relevait le nez en entendant la suite. Il y en avait d’autres dans le parc. Un groupe, plusieurs voitures, plusieurs maisons même. Ça devait commencer à faire une petite armée tous ces bras, même en admettant des familles, ça restait une force conséquente, probablement armée, autant que celui-là. Et merde. Il avait espéré que les montagnes dissuadent les opportunistes mais si des réfugiés par wagons entiers pouvaient débarquer, même à l’autre bout, le chalet était plus que jamais en danger.

Il lui adressait à peine un regard « Neil. » et retournait à fixer le mur.
Il était dans la merde. Il repensait au camp de Salem. Peut-être qu’il avait tenu, faut dire qu’ils étaient à cheval sur la sécurité. Les mecs qui l’avaient récupéré en janvier avait essayé d’y entrer, mais l’accès leur avait été refusé. La ville était moins densément peuplée, à peine un dixième de la superficie de celle-ci, c’était possible que des gens soient encore en vie là-bas. Il n’avait pas trop d’espoir quant à sa mamie la voisine de palier mais au moins Molly et Chris, ils étaient jeunes, elle enceinte au moment de la crise. Ils n’avaient pas dû quitter le camp depuis.
Il soufflait du nez, tendait un bras pour chopper sa bouteille. Il avait espéré apprendre quelque chose sur Seattle, et maintenant que c’était fait, il était dégouté. En soulevant le plastique vide il tirait la tronche et le reposait. C’est vrai qu’il l’avait vidé, il avait oublié.

Le gamin reposait les yeux sur son invité toujours debout à côté du poney. Il avait posé son arme, son sac, parlait sans se faire prier. « T’sais tu peux t’asseoir hein. Vire les couettes. » Il le dévisageait encore un moment, la joue sur ses phalanges avant de se redresser, dépliant ses pattes pour les coller au fauteuil.
« Du coup, t’avais un endroit sûr, avec d’autres gens et t’as juste décidé de tenter ta chance à travers la forêt ? » En admettant qu’il disait vrai sur ce point, qu’il était bien à un « autre bout du parc » jusque-là, ça faisait une sacré marche pour un mec à pieds. Il avait bien un but, quelque chose qui l’avait au moins poussé à partir en premier lieu. Neil redoutait la mégalomanie des dirigeants, c’était une bonne raison de fuir en soit, il en avait fait l’expérience. Un groupe armé bien terré dans son coin c’était une chose, mais s’ils cherchaient à découvrir la forêt...
Merde. Il venait de réaliser. Ce type était peut-être un de leurs éclaireurs. Putain, il avait un don pour se foutre dans la merde ce gamin.

Un peu plus et ça aurait pu passer pour une discussion normale, à peu de choses près. S’il n’y avait pas eu une jument au milieu du salon, peut-être un peu moins de méfiance des deux côtés et peut-être un truc à boire ou manger, ça aurait pu.
En l’état c’était juste deux types paumés qui se fixaient en chiens de faïence.

L’excuse de l’autre type lui restait en travers de la gorge. Qu’ils se fassent avoir une fois par une horde, il le concevait aisément, deux fois, ça devenait carrément étrange. Ils auraient dû être sacrément optimistes ou peu débrouillards pour ne pas avoir foutu des vigies de partout, jour et nuit, suite à ça. Surtout qu’ils étaient en nombre conséquents d’après les dires de ce type. Ils auraient dû être organisés, avoir un plan de secours établi à l'avance, quelque chose, une base.
Samson ne correspondait pas au profil de ce genre de naïfs. Avait-il fait profil bas jusque-là ? Même lorsqu’il s’agissait de la plus basique des sécurités ? Il y avait un truc qui ne lui plaisait pas dans cette histoire.

Il le fixait en pondérant sur son cas. Peut-être qu'il ne s'était jamais trop mêlé aux affaires de son groupe. Les mecs qui vivaient dans la rue comme tous les schismatiques de la belle époque avaient une certaine tendance à l’isolement. Parce qu'il était calme et pas trop belliqueux, Neil lui accordait le bénéfice du doute, juste pour l’instant.

La question le tirait de ses pensées.
C’était quoi ça encore ? Le gamin cherchait à percer la sournoiserie, parce qu’il l’était lui-même et que ça faisait tomber des pluies d'emmerdes. Après quelques secondes à le fixer comme un chat sauvage effarouché, il haussait une épaule et se détournait. « Dans la forêt. » Plutôt dans les boites des conserves, mais c’est vrai qu’une fois il avait trouvé une jeep abandonnée dans les bois. Techniquement, tout ce qu’elle contenait était bien dans la forêt. Le chalet aussi, et le poney.
Ça le faisait quand même tiquer comme curiosité. Il laissait planer un instant de silence en regardant la jument et revenait au rodeur qui avait échoué sur son canapé. C’était presque palpable qu’il y avait un truc derrière.

« C’est quoi ta vraie question ? »
Est-ce qu’en plus de tout ça, il comptait s’installer là ? Offrir gracieusement ses bras pour grappiller des trucs et pourrir joyeusement la paix royale que Neil avait glanée ? Hors de question, jamais.
Plutôt crever seul que vivre avec un quelqu'un qu'il ne connaissait pas.