L’odeur des entrailles en putréfaction qui émanait de notre camouflage était vraiment horrible – pire que tous ce qui m'étais advenu de senti jusqu'à maintenant. Elle prenait à la gorge, embaumait l'habitacle du véhicule et rendait l'air presque irrespirable… Je dû, d'ailleurs, faire un effort surhumain pour ne pas rendre mon petit déjeuner sur le tableau de bord, lorsque je m'étais redressé sur mon banc. Le cœur au bord des lèvres – et l'estomac déjà bien noué par l'angoisse – j'avais, sans plus tardé, enfoncer l'accélérateur. Il n'y avait plus une seconde à perdre ! Le bruit du moteur avait déjà attiré l'attention des morts, tout autour de nous, et ils commençaient à s'agglutiner à la carrosserie de la voiture. « Accrochez-vous ! » Dans crissement de pneus, j'avait décollé en trombe. Faisant demi-tour, en fauchant un ou deux morts sur notre passage, j'avais la main écrasée sur le klaxon. Faisant tout mon possible pour entraîner un maximum de morts dans notre sillage.

Et ça fonctionnait ! Par le rétroviseur, je pouvais déjà voir qu'une partie de la horde se massant devant le centre médical, avait pivoté dans notre direction. Leurs mains tendues devant eux battaient l'air en tentant d'atteindre l’arrière du véhicule. J'avançais, juste assez pour garder les morts à distance, mais pas trop non plus… il ne fallait pas les semer… J’avais guidé notre cortège sur Ruston Way, avant de tourner à droite sur Ferdinand Street. « On devrait vérifier s'il y a toujours le Talkie dans le coffre à gants. Ça nous permettrait de communiquer avec Clint et Gregory, pour voir où ils en sont… » lancais-je à la pianiste assise à mes côtés, tout en surveillant toujours attentivement l'avancé de la horde par le rétroviseur.

Spoiler:

Selene n’avait pas mis sa ceinture et à la première embardée, elle manqua de s’assommer sur le tableau de bord. La voiture percuta deux mordeurs squelettiques qui furent éjectés comme des poupées de chiffons et ils purent s’extirper de la masse de cadavres pour les entraîner dans le sillage. Difficile de quantifier le nombre qui suivait mais… ils suivaient. Dans ce genre de situation tendue, elle n’avait pas le temps de détester son partenaire. La pianiste fouilla dans la boîte à gant et trouva effectivement le deuxième talkie de l’équipe de Serena – celui que les ravitailleurs laissaient toujours dans le véhicule « au cas où ». La jeune femme régla la fréquence et communiqua avant les deux hommes.

- Selene pour Clint et Gregory. Ça se passe ?
- Ouais, pour l’instant.
- On a doit improviser avec Frederik, on détourne un troisième groupe. Prévenez-nous si vous changez d’itinéraire… il faut qu’on évite de se croiser.
- Bien reçu.
- Ok.

Parfait. Leur boulot désormais, c’était de ne pas empiéter sur les zones prévues pour leurs complices… et ne pas planter la voiture.

Spoiler:

Selene fouilla dans la boîte à gants et trouva enfin le deuxième talkie laissé là par le groupe de Reena. Aussitôt, j’entendis le grésillement de la radio, alors qu’elle réglait la fréquence pour tenter d’entrer en communication avec Clint et Gregory. Et lorsque la voix des deux hommes lui répondit, je fus soulagé de savoir que tout allait bien pour eux – du moins, que tout allait bien, pour le moment. La pianiste leur résuma alors, très brièvement, notre situation, avant de leur demander de nous aviser s’ils changeraient d’itinéraire… Question qu’on évite de se croiser et de fusionner à nouveau les hordes.

Nous roulions toujours sur Ferdinand Street, mes mains crispées sur le volant et mon regard n’ayant de cesse de bondir de la route en avant, au cortège de morts qui nous suivait depuis le rétroviseur. En fait, pour être bien honnête, je crois que je les regardais plus souvent eux que le devant de notre véhicule… C’est probablement pourquoi, lorsque je tournai à gauche à la prochaine intersection, ce fut la voix d’Oliver qui me fit prendre conscience du danger vers lequel, tout droit on filait ; « Fred, fais gaffe ! ». Le centre de la rue que l’on venait d’emprunter était complètement inondé et jonché de débris… Si l’on passait par là, je craignais que l’on cale le moteur... mais il était déjà trop tard pour rebrousser chemin. Les morts nous talonnaient.

J’essaya donc de contourner pas le terre-plein ; là où l’eau était la moins profonde, mais où la boue, quant-à-elle, ne l’était pas moins… et comble de malheur, on ne tarda pas à s’enliser. Sentant la voiture targuer sur le côté, l’une des roues avant avait calé dans la boue. Tournant dans le vide, alors que j’essayais, à grand coup de volant, de la déloger de là… mais il n’y avait rien à faire ; « Eh merde ! » Je commençais très sérieusement à paniquer. Les morts s’approchaient dangereusement et j’avais beau enfoncer l’accélérateur dans le tapis, rien ne bougeait !

Spoiler:

Ça fonctionnait. Les morts suivaient, ils filaient à vitesse réduite pour conserver leur avance mais ne pas se faire rattraper. Le cœur de la jeune femme battait la chamade, elle serrait les dents pour ne pas concrétiser la nausée qui lui retournait l’estomac. Ses yeux bleus ne cessaient d’aller du rétroviseur extérieur au pare-brise, vérifiant nerveusement que les distances de sécurité étaient respectées.

- Putain ! Fais ga-

Trop tard. A un tournant dans l’une des rues de Tacoma transformées en marécage par les pluies et la réappropriation des lieux par la nature, la voiture s’était sérieusement enlisée. Son voisin avait beau écraser la pédale, les roues patinaient dans le vide, projetant derrière deux des gerbes de vase qui excitaient d’autant plus les morts à leurs trousses.

- Mais merde, fais quelque chose !

… mais il n’y avait rien à faire.

Spoiler:

Malgré tous mes efforts désespérés pour nous sortir de là, la voiture refusa obstinément de bouger – ses roues trop profondément enlisées dans ce sol marécageux. Tout ce que je parvenais à faire, c’était de nous enfoncer encore d’avantage. Envoyant des giclées de boue dans la direction des morts qui nous poursuivaient – les excitants plus encore qu’ils ne l’étaient déjà… Leurs râlements frénétiques s’approchaient un peu plus à chaque seconde, dans une véritable cacophonie de mordeurs affamés qui n’allaient pas tarder à nous mettre la main dessus, si nous ne sortions pas bientôt de là ! Il n’y avait pas à dire, je nous avais conduit tout droit vers la catastrophe…

Les morts n’étaient plus qu’à une dizaine de mètres du véhicule lorsque, jurant entre mes dents, j’ouvris finalement ma portière pour bondir comme un forcené à l’extérieur. Après tout, quelle autre option avait-on, à part celle de prendre nos jambes à notre cou en espérant pouvoir semer la horde ?! Atterrissant, pieds joints sur ce sol inondé, j’avais calé jusqu’aux chevilles dans une vase épaisse et collante. Peinant à me mouvoir, j’avais alors entrepris de contourner la voiture vers l’avant, pour aller porter main forte à Selene dont la portière était bloquée. Je n’eus toutefois pas le temps de me rendre, qu’elle utilisa son arme à feu pour faire voler le pare-brise en éclat et s'y frayer un chemin par-dessus les débris de verre.

Ce fut, alors, au moment où la pianiste s’extirpait de l’habitacle que le cri d’Oliver me fit rebrousser chemin en catastrophe. « Oli... NON ! » ma voix se cassa lorsque je vis les morts fondre sur lui, mes genoux manquant de lâcher sous mon poids. Le souffle coupé et le cœur tordu de douleur devant cette scène tout droit sortie de mes pires cauchemars, j’allais m’élancer au secours de mon ami – couteau à la main en refusant l’évidence qu’il était déjà trop tard – lorsque Selene m’agrippa par le coude et me tira vers l’arrière. Et si les lèvres de la jeune femme remuèrent, je n’entendis pourtant rien de ce qu’elle me dit… Trop profondément plongé dans une léthargie où tout ce que je voyais et entendais était les deniers instants d’Oliver. Incapable d’en détourner mon attention, malgré la véritable torture que ça m’infligeait.

Je ne me souvenais même pas d’avoir repris le chemin vers le centre médical où se trouvait les autres et pourtant, c’était bien vers là que j’avançais. Marchant mécaniquement dans les pas de Selene, comme si mon esprit était resté derrière, accroché à cet endroit où j’avais abandonné mon meilleur ami à une mort atroce… et lorsque j’avais réintégré mon corps, ce fut pour me précipiter, en chancelant, jusqu’à la bordure de la route où je redis le contenu de mon estomac. C’était de ma faute s’il était mort… De ma faute.

Spoiler:

Ses oreilles sifflaient douloureusement suite au coup de feu. La musicienne roula sur le tableau de bord, parvenant à s’extirper du véhicule sans s’écorcher sur les débris de verre. Elle glissa sur le capot, se réceptionna dans la vase en produisant un « splotch » couvert par le bruit des rôdeurs… et le hurlement d’Oliver. Selene se retourna vivement, mais il était déjà trop tard. Elle eut beau tenter de le libérer en tuant les goules qui l’encerclait, elles étaient trop nombreuses. Bien trop nombreuses. La jeune femme cessa de presser la gâchette lorsque la moitié de son chargeur eut été inutilement vidée, juste à temps pour retenir Frederik, prêt à commettre une folie.

- ARRÊTE ! Lui cria-t-elle pour qu’elle entende raison, c’est trop tard !

Elle ne l’appréciait pas mais n’en était pas à lui souhaiter que ses amis meurent dans d’aussi atroces souffrances ; et elle aimait bien Oliver. Celui-ci a disparu sous les charognes, on ne l’entendait plus crier, on ne pouvait que voir les morts affamés s’arracher des lambeaux de chair, des organes et des os. Par empathie, elle fut submergée par la douleur de son complice, celle que ressentirait tous les proches du jeune homme, mais elle avait une famille à rejoindre. Hors de question de rester ici, ils ne seraient en sécurité que quand ils auront atteint le fort…