Ils étaient toujours pris au piège dans le commissariat. Adossé contre le mur du couloir, Isaac replia ses jambes contre lui, s’appuyant sur son coude gauche. Un effort surhumain pour le vieil homme. Une fois encore, la douleur vint le faire souffrir. Il s’était évanoui quelques instants. C’était inquiétant. Lui-même ignorait comment il allait pouvoir faire pour sortir, se relever serait déjà un exploit.

Cherchant Andrea du regard, il finit par l’apercevoir près de la deuxième cellule, en train de discuter avec la jeune femme qui s’y trouvait. Le cinquantenaire ne dit rien, se contenant de les regarder, jusqu’à ce qu’il comprenne que c’était trop tard. Le corps mutilé de Tessa n’avait pas supporté les blessures qu’on lui avait infligées. La jeune femme se retourna alors vers les deux hommes. Ils devaient récupérer les armes et les munitions, puis sortir de là. Andrea indiqua qu’ils passeraient par la réserve.

« Lisandro… Est-ce... Est-ce que tu peux m’aider à me relever ? » Il n’avait pas le choix. Et quand l’ancienne régisseuse évoqua la possibilité qu’ils soient obligés de fuir, l’aîné se demanda s’il en serait capable. Certes, il pouvait encore tenir sur ses jambes, mais il redoutait un nouveau malaise. Il se sentait terriblement faible. Le chilien l’aida à se remettre sur pieds, péniblement. Mais cette fois, il parvint à rester debout. Avec l’aide du doc’, il entra dans la réserve. Appuyé contre le bureau qui se trouvait dans l’armurerie, il souffla encore un instant pendant que les autres remplissaient leurs sacs. Ces quelques mètres avaient été éprouvants… Et ils devaient encore sortir de là, et rejoindre leur véhicule avant de pouvoir espérer rentrer, tous ensemble…

Bien sûr que cela fit paniquer le shérif. Mais pendant qu’il canardait la façade, ils avaient une chance de sortir de là, et une possibilité qu’il vide son chargeur pour rien, aussi. Lui crier par contre, que sa fille était morte ? Le chilien n’était pas certain que ce soit une excellente idée. Il ne répondit d’ailleurs pas. Même si le silence en disait parfois plus qu’un long discours. Il s’éloigna rapidement de la fenêtre, devenue une cible clignotante pour le Shérif au-dehors, et rejoignit Andrea et Isaac, toujours inconscient. Il mit le temps, mais peu à peu, il émergea de son malaise, rassurant le médecin sur son état. Il ne fallait pas s’attarder, mais cela valait mieux pour eux qu’il soit conscient. « T’en fais pas, on va sortir de là. » Il jeta un coup d’œil à Andrea qui se penchait pour être certain que jamais la pauvre Tessa ne revienne d’entre les morts.

La brune avait raison, il fallait bouger, partir de là au plus vite. La réserve semblait être la meilleure option, aussi, ne discuta-t-il pas. Il aida Isaac à se relever et ensemble, ils rejoignirent Andrea pour remplir les sacs d’armes et de munitions. Le chilien chargea Isaac légèrement, prenant le reste bien accroché à son dos. Il aida Andrea à remplir les derniers sacs de ce qu’ils étaient capables de porter. La sortie allait être difficile. Mais, avaient-ils vraiment le choix ? Le médecin jeta un coup d’œil à Isaac, encore bien faible, avant de revenir à Andrea. « Il faudra soit faire diversion en parlementant avec l’autre cinglé, soit parvenir à le toucher avant qu’il ne nous touche. On devrait pouvoir s’en sortir avec les morts vu l’accueil de toute à l’heure. » Il se plaça à nouveau en soutien à Isaac, étant le seul capable d’utiliser ses deux bras – l’un pour le soutenir, l’autre pour tenir une arme. Mais serait-ce suffisant ? Ils étaient derrière la réserve, prêt à partir. « Isaac… Comment tu le sens mon vieux ? » Fit-il, inquiet pour lui. Il regarda Andrea avant que la décision ne se prenne : « Tu veux que je fasse diversion, ou on tente le tout pour le tout ? »

Isaac peinait, mais vacillant, il tenait sur ses jambes. Il aller vraiment falloir faire vite. Dehors, le Shérif continuait de canarder, de façon régulière, et chaque éclat dans la façade semblait ameuter les morts à tenter d’ouvrir l’entrée du commissariat. Andrea eut la bonne idée de refermer la porte qu’ils avaient dû franchir tout à l’heure, il n’y avait plus qu’à espérer que cela leur donnerait un peu de temps pour s’échapper. Il fallait sortir de là, et vite. La porte de sortie était bloquée de l’extérieur et ils n’avaient que les quelques mots de Tessa, pour leur donner un indice sur la voie à prendre ; il existait une autre sortie. C’était obligé. Andrea courait partout, cherchant une issue, Lisandro laissa Isaac s’appuyer contre un mur pour chercher avec elle. Enfin ils trouvèrent. « Là ! » S’écria-t-il.

Andrea le rejoignit et ensemble ils durent dégager les étagères, plutôt lourdes. La tâche était pénible, mais Isaac étant dans un piteux état, ils n’avaient pas d’autres aides. Au début, les étagères ne bougèrent pas. « Aller ! » Protesta-t-il, accompagné des plaintes d’Andrea. C’était leur dernière porte de sortie, il fallait que ces étagères bougent, tombent, n’importe ! Enfin, ils parvinrent à les dégager, tandis que dehors, les morts s’agglutinaient derrière la porte, les râles semblaient résonner à l’intérieur, mais ils n’étaient pas entrés. Pas encore. La porte qu’Andrea avait fermée n’était pas encore attaquée. Lisandro leva le nez, avisa la fenêtre là-haut. « Putain d’merde. » Fit-il en grinçant des dents. Il avisa Andrea. « Si je te porte, tu peux te débarrasser de la grille. Tu le sens de passer de l’autre côté sans casse, ou j’monte après ? » Dehors, les portes tremblaient sous les assauts. « Mierda. » Puis il regarda à nouveau Andrea. « Ok, tiens-toi à moi. » Et sans plus guère tergiverser, il souleva Andrea pour la hisser sur ses épaules. Afin qu’elle puisse faire tomber les barreaux et sortir. Elle n’aurait plus qu’à dégager la sortie de secours et leur offrir la possibilité de s’échapper. Il resterait avec Isaac pour aider le cavalier à sortir de là. S’il fallait qu’un des trois survivent, Lisandro n’avait pas beaucoup à hésiter, ça devait être elle. L’aidant du mieux qu’il pouvait, bien camper sur ses jambes, le chilien prit appuie contre le mur alors qu’elle s’aidait de ses épaules pour faire tomber la grille et sortir. « Isaac, tiens-toi prêt. » Les morts n’allaient plus être retenus très longtemps. Il jeta un dernier coup d’œil à Andrea, alors qu’elle s’apprêtait à passer de l’autre côté. Il aurait voulu dire quelque chose, mais rien ne lui vint. Il n’était pas certain d’en réchapper cette fois. Et dans le fond, ce ne serait pas trop grave. Il retrouverait Alma. Tout ce qu’il ressentait en cet instant, c’était l’urgence et la précarité de la situation, et de la gratitude aussi, pour ce qu’Andrea avait fait pour lui ces derniers jours.

Ils avaient fini de charger leurs sacs. A présent, ils devaient trouver un moyen de sortir de là. D’après Tessa, il y avait une issue, là, quelque part. Encore fallait-il la trouver. Elle semblait très bien cachée. Isaac scrutait chaque recoin de la pièce, à la recherche du moindre indice. Mais son bras le lança encore, et il fut contraint de se crisper de douleur, soufflant pour essayer de rendre cela moins douloureux.

Ils n’avaient plus beaucoup de temps. Dehors, les rôdeurs s’agglutinaient de plus en plus contre la porte principale du bâtiment, faisant entendre leurs râles sourds et le frottement de leurs ongles sur la paroi qui n’allait pas tenir très longtemps. Le cavalier regarda Andrea récupérer le trousseau de clés qui était resté sur la porte de l’armurerie avant de refermer celle qui séparait les deux parties du bâtiment. Cela leur laisserait un peu de temps. Mais s’ils ne trouvaient pas le passage indiqué par la prisonnière, ils seraient enfermés là…

La voix du chilien s’exclama alors, il semblait avoir trouver quelque chose derrière le râtelier. Avec l’aide de la jeune femme, ils dégagèrent le passage sous l’œil contrarié de leur aîné. L’homme devait se préserver pour pouvoir espérer rejoindre leur voiture. Il respirait profondément, tentant de ne pas porter attention à son épaule meurtrie. Une fenêtre avait été dissimulée, elle leur offrait une occasion de s’échapper de là. Malheureusement, Isaac était trop faible pour passer par là, ni même pour faire la courte-échelle. Le doc’ aida donc la métisse à se hisser jusqu’à la fenêtre. Il n’y avait plus qu’à espérer que tout aille bien pour elle, et qu’elle puisse dégager l’issue de secours sans difficulté. L’ancien éleveur la regarda disparaître par la fenêtre avant de se redresser. « Va falloir que tu m’aides… J’ai peur de pas pouvoir aller bien loin une fois qu’on sera dehors. » Ses jambes étaient faibles et il se raccrocha à l’encadrement de la porte avant que Lisandro ne l’aide à rejoindre l’issue de secours.

Andrea ne tarderait pas à leur ouvrir. Le regard rivé sur la paroi, pour l’instant close, Isaac attendait le moindre signe de la part de la jeune femme. Au même moment, un bruit sourd tonna dans un énorme fracas. La porte principale venait de céder.