Otis perd son sourire en voyant le regard suspicieux de la plus jeune face à lui. D’ailleurs, la petite rousse ne tarde pas à lui demander qui il est et pourquoi il veut voir Lucy. Le métis sourcille légèrement, c’est la première fois qu’on lui pose cette question. « Je… » Décontenancé, il bafouille un peu, cherchant à expliquer à l’adolescente qu’il veut simplement passer du temps avec la jeune femme. Mais bien sûr, il ne peut pas avouer qu’il est son petit-ami et que c’est pour cela qu’il aimerait la voir… Cela causerait bien trop de problèmes à Lucy. Les autres filles du motel ne sont pas censées être courant de cette relation. Le dessinateur et sa belle se sont mis d’accord sur ce point. Le jeune homme a très bien compris pourquoi c’était important… Mais évidemment, à la question de sa cadette, il est difficile de ne pas l’avouer… Simplement pour qu’elle comprenne qu’il n’est pas un vulgaire client. Enfin en théorie si, puisqu’il a pris de quoi payer ce rendez-vous avec sa petite amie. Mais qu’importe… Il veut simplement la voir après tout ce temps passé loin d’elle…

Il se gratte nerveusement la joue, cherchant les mots pour ne pas dires de bêtises. Pourquoi est-ce qu’elle le regarde comme ça ? Il ne comprend pas. Alors, il ouvre la bouche une première fois mais aucun son n’en sort. La deuxième tentative n’est pas plus glorieuse. « Je m’app… Je m’appelle. » Il se sent stupide, complètement pris au dépourvu, comme si elle était au courant d’un truc. Il finit par se reprendre, arrivant à articuler cette fois « Je m’appelle Otis. Je viens souvent voir Lucy. Est-ce que je peux la voir ? » Il appuie sa demande d’un regard qui la supplie de bien vouloir l’accompagner jusqu’à la chambre de sa petite amie. Puis continuant à sortir ce qu’il a apporté de son sac, il répète « J’ai… Euh… J’ai apporté ce qu’il faut… » Il dépose finalement ça sur le comptoir de l’entrée, ne quittant la plus jeune des yeux et espérant qu’elle daigne enfin lui donner l’autorisation de rejoindre Lucy.

J’abandonne pour de bon mon jeu de cartes et je le fixe, la mine revêche. Je sais, je sais, faut pas faire fuir les potentiels clients, tout ça tout ça, mais, je sais pas, y a un truc qui me plait pas. Ptet parce qu’il a l’air… trop gentil. Ouais, je sais, ça craint de dire ça hein, mais d’après Oxana, ce sont les pires. Ceux qui vont te faire le plus de mal parce que t’auras baissé ta garde. Et Lucy a clairement pas besoin qu’on lui fasse plus de mal. Mes sourcils se froncent sans même que je m’en rende compte à cette pensée, alors que de son côté, il bafouille tout seul comme un grand. Ouais, clairement, c’est pas un habitué, la plupart du temps, ils posent leurs affaires sur le comptoir et, même si t’en as plein qui sont pas à l’aise avec moi, ils se démontent pas comme lui. Je fais partie du décor pour eux et ils ont rangé ça dans un coin de leur tête pour pas trop se poser de questions sur moi. Ca va, t’as personne qui m’a encore demandé clairement combien je prenais. Je sais même pas comment je réagirais en vrai.

Je tapote du bout des doigts sur le comptoir alors qu’il répond rien et je souffle, un peu impatiente. « T’as perdu ta langue ou quoi ? » Il s’attendait à quoi ? Que je le laisse passer comme si de rien était ? Après tout ce qui est arrivé ici ? Je peux pas faire grand-chose pour les filles moi mais ça, au moins, je peux. Essayer de veiller à leur sécurité et qu’on les dérange pas. « Tu viens vraiment la voir souvent ? Parce que ta tête me dit rien. » Et j’ajoute avec un soupir, essayant tant bien que mal d’ignorer ce regard de chiot perdu qu’il me lance. Parce que je dois pas me laisser attendrir par ce genre de trucs, c’est exactement ce que veut pas Oxana. « Parce que si c’était le cas, tu saurais que Lucy reçoit plus personne jusqu’à nouvel ordre. » J’attrape quand même ce qu’il a ramené et je regarde tout ça avec attention. « T’as ramené vachement de trucs quand même. Tu veux que j’essaie de voir si une autre fille est dispo ? Enfin si t’as vraiment envie de… tu vois quoi. Après, t’en as pas qui ressemble à Lucy, mais t’as ptet un autre genre. Pas besoin de faire le timide avec moi ! Y a Alba qui est là je crois, elle est super jolie. » Je lui décoche un large sourire, même s’il ne gagne pas mes yeux. Ca me fait bizarre de parler comme ça, j’avoue. Mais je vais pas laisser échapper un client alors que les temps ont été difficiles. Non ?  

« Je… Euh… Non ! » Le métis finit par élever un peu la voix alors qu’elle lui demande s’il a perdu sa langue. Comment peut-il se laisser faire par une adolescente ?! Il devrait se reprendre mais il n’y parvient pas. Cette situation le dépasse, il aimerait bien comprendre pourquoi il n’a pas le droit de voir la rousse. « Oui… Je viens souvent… » Appuie-t-il alors. Même si durant leur dernier rendez-vous s’est fait loin du motel, dans la petite maison qu’il a trouvé pour eux… Il est quand même venu rendre visite à la jeune femme plusieurs fois !

Mais ce qui l’inquiète c’est quand il entend dire que Lucy ne reçoit plus personne depuis un moment. Il fronce légèrement les sourcils, peu rassuré. « Comment ça personne ? Pourquoi ? Il lui est arrivé quelque chose ? » Demande-t-il tentant d’en savoir plus. Est-ce qu’elle va bien ? Il ne cesse de se répéter cette question en boucle, espérant une réponse. Mais la plus jeune à l’accueil lui propose simplement de voir une autre fille. Otis se contente de hausser les épaules avant de lui répondre plus sèchement. « Nan laisse tomber… Je ne veux pas voir d’une autre fille. » Son regard se fait plus sombre mais il n’y a rien de menaçant dans ses yeux, juste une profonde déception et de l’incompréhension parce qu’elle a l’air de ne pas vouloir lui expliquer ce qu’il veut savoir. Il se frotte le visage avant de tenter une dernière fois « Je… Je veux juste voir Lucy… S’il te plaît… » Mais cela ne sert à rien d’insister, l’adolescence semble trop bien sûre d’elle pour lui accorder ça. Une moue déçue se dessine sur ses lèvres et il jette un œil à tout ce qu’il a sorti de son sac. Il soupire avant de terminer « T’auras qu’à lui dire que je suis passé et lui donner tout ça. J’reviendrai plus tard. Si tu peux aussi lui dire ça… » En espérant qu’elle le fasse… Il repassera dans le coin d’ici les semaines à venir. Il fait finalement volte-face avant de sortir fourrant les mains dans ses poches. Il passera la nuit au No Man’s Land avant de rejoindre les autres…

Les garçons, c’est quand même vachement bizarre des fois. Celui-là a pas l’air de faire exception et je me demande à quel point il est juste comme les autres, à perdre ses moyens parce qu’il y a une gamine en face de lui. Je devrais probablement pas m’amuser avec ça hein, je le sais bien, mais vu sa tête, c’est soit ça, soit je le prends en pitié. Et la pitié, ça rapporte rien il parait. « Tu viens souvent ? C’est vrai ? J’me souviens pas de ta tête. » Je plisse les yeux vers lui, comme si ça pouvait m’aider à mieux me souvenir et j’ai une moue pas convaincue.

Pourtant j’suis euh… comment on dit déjà ? Physonotriste ? Un truc du genre. Faudrait que je demande à Zoey, elle doit connaitre le mot pour les gens qui se rappellent des autres gens. Bref, j’suis comme ça quoi. Je hausse une épaule à sa question, sans vraiment répondre. On m’a dit que c’était genre secret et j’ai une grimace avant de souffler, avec une mine désolée dont j’saurais pas dire à quel point elle est naturelle ou pas. « Si tu la connaissais aussi bien, tu saurais, c’pas à moi de te le dire, désolée ! »

Bon, il veut pas voir d’autres filles, okay. Je suis sur le point de retourner à mon château de cartes quand il en rajoute une couche. « Y a quoi que tu comprends pas quand je dis qu’elle reçoit personne ? C’est pas moi décide tu sais. J’ai des consignes, si je les respecte pas, je me ferais engueuler. » Je lance un regard inquiet vers l’entrée, comme si quelqu’un pouvait débarquer et confirmer ce que je dis. Enfin, même en me prenant un sermon, je continuerais de faire ce que je veux en vrai. Donc on s’en fout.

Je le fixe avec de grands yeux quand il soupire et qu’il regarde ce qu’il avait ramené pour pouvoir voir Lucy. Il avait quand même mis le paquet. L’espace d’une seconde, j’ai envie de demander ce qu’elle leur fait pour qu’ils paient autant mais j’ai vraimeeeeent pas envie d’entendre la réponse en vrai. Et je suis pas sûre d’avoir envie de l’entendre un jour. Et puis, il parait qu’ils ont tous envie de croire qu’ils sont uniques, que la fille qu’ils vont voir ne reçoit jamais d’autre mec… quelle connerie. J’me retiens de lui dire que je suis pas sa secrétaire quand il me fait passer le message, tout en rangeant ce qu’il a ramené derrière le comptoir. « Ouais, ouais, j’lui dirais ça. » En vrai, s’il a autant envie de la voir que ça, il a qu’à se débrouiller. Comme si ça arrêtait les autres un simple non. Et je le regarde partir, griffonnant sur le carnet qu’un Otis est passé, avant de recommencer mon jeu de cartes, le chassant de mon esprit aussi vite qu’il y est entré.

Spoiler:

Otis ne peut s’empêcher de regarder la jeune rousse d’un air désespéré. Il tente de la persuader mais c’est peine perdue, l’adolescente n’a pas l’intention de céder. Pourtant, il est bien venu plusieurs fois, d’autres filles le reconnaîtraient sûrement… Dans son esprit, il se dit qu’il devrait lui demander d’aller chercher une autre fille, pour qu’elle lui confirme qu’il a déjà vu Lucy ; comme cette petite blonde qui a l’air super gentille. Johanna s’il se souvient bien. Malheureusement les mots ne lui viennent pas et il n’ose pas insister encore une fois. Il soupire simplement en voyant qu’elle prend tout ça à la légère. Le métis, lui, sent une certaine inquiétude s’insinuer dans tout son être en se demandant si Lucy va bien. Mais il se contente de quelques mots, déjà prêt à quitter le motel. « M-Merci… C’est… C’est vraiment important… » Comme pour lui faire comprendre qu’il doit vraiment la voir et qu’il espère qu’elle passera le message. Une fois dehors, il remonte le col de sa veste, fourre les mains dans ses poches avant de s’éloigner d’un pas las tout en jetant quelques regards vers la fenêtre de sa chambre. Il reviendra quand il pourra…

***

Fin décembre 2020

Son sourire ne quitte plus son visage depuis plusieurs jours, depuis cette conversation avec Connor après des semaines à ruminer cette maudite soirée au No Man’s Land et cette discussion avec Lucy. Les révélations de la rousse ce soir là ont été un véritable choc pour l’artiste qui s’est senti terriblement mal les jours qui ont suivi. Pris de terribles angoisses les semaines suivantes, il s’est décidé à parler à son chef, lui révélant tout d’abord sa relation avec Lucy – même si les autres devaient bien se douter de quelque chose – ainsi que toute l’histoire concernant sa petite amie et l’urgence de la mettre à l’abri. L’ancien sportif a finalement accepté qu’elle vienne chez eux quelques temps, pour se remettre doucement.

Accompagné de sa petite amie, Otis revient au campement après plusieurs jours passés aux alentours du No Man’s Land pour la convaincre de le suivre. Alors qu’ils approchent de l’entrée, il attrape la main de Lucy avant de se retourner légèrement vers elle, un sourire rassurant sur les lèvres. « Tu verras… Ils ne sont pas méchants… Personne ne te fera de mal ici, je te le promets. » Il est conscient que la faire venir dans un groupe constitué majoritairement d’hommes, après ce qu’elle a vécu, ne doit pas être simple pour elle.

Elle ne risque rien ici. C’est ce qu’il veut lui faire comprendre… Personne ne lui fera de mal tant qu’elle sera avec lui. La main dans la sienne, le métis continue sa progression, plutôt confiant. Il adresse un sourire rassurant à sa petite amie, conscient que ce ne doit pas être simple pour elle. Se retrouver dans un endroit inconnu, avec des personnes qu’elle ne connaît, dont des hommes pour la plupart… Pourtant, quand elle avoue au dessinateur qu’elle connaît Milow, il se tourne vers elle, curieux. Comment se connaissent-ils ? Il l’interroge du regard et elle ne tarde pas à lui donner des explications. En l’écoutant, il ne peut pas s’empêcher de sourire avant de lui répondre « Oui Milow vit ici. » Otis l’apprécie beaucoup d’ailleurs, même si cela n’a pas été réciproque durant un moment. Mais depuis leur retour de Georges, le plus jeune a l’air d’apprécier un peu plus l’artiste. Peut-être parce que celui a tenté de le réconforter après sa dispute avec un autre garçon ? Qu’importe, l’idée de savoir qu’il a pu rendre visite à Dame Sety l’étonne un peu. « Et donc ? Il est venu te voir au motel ? C’est vrai ? » Un sourire malicieux étire ses lèvres et il ne tarde pas à la rassurer quand elle lui donne plus de détails. « T’en fais pas pour ça… » Est-ce qu’il est jaloux ? Non, ce n’est pas vraiment son genre… D’autant plus que Lucy met le doigt sur un détail qui – tout comme son petit ami – n’a pas échappé au métis. « J’ai déjà essayé d’en parler avec lui mais… Ouais. C’est encore compliqué pour lui… »

Mais très vite, la conversation s’interrompt alors qu’ils entrent dans le van aménagé du dessinateur. Il la laisse s’installer sur le lit alors que ses tocs lui reviennent momentanément. Il range ses affaires, déjà parfaitement arrangées mais c’est plus fort que lui. Sûrement se sent-il un peu nerveux de la voir là. Il est si heureux pourtant. Un sourire franc ne quitte pas ses lèvres alors qu’il croise le regard azuré de la rousse alors qu’elle relève les yeux. Il finit par la rejoindre, s’installant près d’elle et espérant que cet endroit lui plaît… C’est ce qu’il compte lui demander d’ailleurs avant qu’elle ne le prenne de court. Aux révélations de sa bien-aimée, il reste figé quelques instants. Il n’a jamais été doué pour ce genre de déclaration mais ce n’est pas pourtant qu’il ne ressent rien pour la jeune femme, au contraire. Jamais il ne s’est senti aussi bien avec quelqu’un. Peut-être même plus qu’avec Zoé et Scott… Il la laisse l’embrasser timidement, la laissant guider ce doux contact pour ne pas la brusquer. Il la sent encore distante parfois mais il le comprend… Quand le baiser prend fin, il vient caresser tendrement sa joue, le regard plongé dans le sien. Puis à son tour il souffle quelques mots… A mi-voix… « Et toi… Tu es sûrement la personne à qui je tiens le plus… Depuis que… » Sa gorge se serre en repensant à Zoé… Mais il fait de son mieux pour contenir ses larmes. Elle serait sûrement heureuse pour lui aujourd’hui… Et soulagée qu’il ait trouvé Lucy…