- Eeeet putain de … Chinga tu madre !

Je lâche un 'eeeew' du tréfond des Enfers alors que j'essaie de me redresser, mains appuyées sur le cadavre décomposé sous moi. Mais mes pieds glissent sur un autre corps, et j'vois du coin de l'oeil une partie du flanc de la bestiole partir en même temps que mon pied droit. Ça m'arrache un sale haut le cœur, je galère à me mettre debout, je glisse sur ses vieux trucs dégueulasses avec l'impression d'être une mouche prise dans une toile.

Sans m'arrêter de râler, j'finis par rouler, écrasant la tête de mon poids – le craquement que j'entends m'achève au passage – et me redresse sur les genoux. Je sais que j'ai vécu pas mal de trucs dégueulasses et que j'suis censé être immunisé à tout ça, mais … ça m'empêche pas de vomir tout ce que j'ai.

L'odeur, chaque fois qu'elle entre dans mes narines, m'arrache un nouveau spasme douloureux, et il me faut un moment pour me reprendre. Je plaque la manche de mon sweat contre ma bouche et mes narines, inspirant comme je peux le parfum du vêtement pour arrêter de dégobiller sans respirer.
J'oublie mon sac, dont le contenu – biscuits, chocolats, ce genre de bail – s'est déversé autour de moi, et j'me maudis au passage d'être incapable de rester concentré devant moi. Il avait suffi d'une seconde le nez levé pour que j'trébuche sur ces cadavres qui n'étaient pas là la première fois que j'étais passé par là.

Au loin, j'vois finalement un mec qui traîne un corps. Sans trop de peine, je déduis que c'est sûrement lui qui les a posé là, pour des raisons obscures. Ce que je sais, c'est que j'ai pas envie de me frotter à lui. Faut être carrément chelou pour faire ça.
Alors, les mains et les vêtements tâchés de ce vieux sang pourri et d'autres substances dégueulasses dont je me serai bien passé de toucher, j'me mets sur mes jambes, titube un peu, fais un pas vers l'intérieur du bâtiment, puis reviens pour récupérer mon sac, avant de relever le regard pour croiser celui du mec. Bien sûr qu'il m'a vu. Il a dû même me voir m'étaler comme une pauvre merde.

Ça m'empêche pas de fourrer mes affaires au plus vite dans mon sac – la moitié tombe à côté – et de foncer à l'intérieur. Peut-être qu'il va m'ignorer, qui sait ?

À l'intérieur, j'suis un peu paumé. J'ai jamais fui quelqu'un, moi, encore moins dans un bâtiment. J'suis pas fais pour ça, mon cœur va finir par lâcher l'affaire bordel à cul.
Je cours au rez-de-chaussée, travers les couloirs en évitant les débris au sol, jetant des regards à l'intérieur des appartement déglingués, mais je me retrouve vite bloqué. C'est un jeu de chat et de la souris, et j'suis déjà essoufflé. J'ai pas ma Ventoline, je fais comment si je pars en crise d'asthme ? Moi je voulais juste me trouver à manger au No Man's Land et le ramener à l'ORB, pas me retrouver dans cette situation.

J'fais volte-face, pour voir s'étaler sur le sol l'ombre du mec qui entre à son tour. Dans le même élan, j'm'enfonce dans l'appartement le plus proche. Avec un peu de chance, il va tracer son chemin de l'autre côté, et ça me laissera le temps de partir.

Il parle, et je retiens mon souffle, propulsé dans un jeu vidéo d'horreur. Ouais, et s'il me trouve, ça fait quoi ?
À toute vitesse, je regarde autour de moi, analysant les restes de l'appartement. La fenêtre est éclatée, mais peine pour moi, elle se trouve vachement en hauteur.

Tant pis. Je peux pas me permettre de retourner gentiment dans le couloir, à la vue de son arme à feu. Je tente.
Et je crois que j'oublie d'être discret dans l'équation. Mes pieds crissent contre le verre éclaté, et j'ai beau tenté de faire doucement, c'est comme s'il y avait un kilomètre de bordel sous moi qui n'attendait qu'à être remué. J'vois même un rat qui déboule de sous une table pour se jeter dans le couloir en couinant, comme pour prévenir le mec de ma position.

- Putain de merde.

Foutu pour foutu, je tends les bras pour m'accrocher à la fenêtre et je m'aide du bureau, à côté, pour me hisser. C'est là que je nous déteste, moi et ma condition physique de légume, car je n'y arrive pas. C'est trop haut, et mes jambes se retrouvent à patiner contre le mur écaillé, jusqu'à ce que mes mains cèdent et que mes pieds amortissent ma chute. Putain le plus frustrant c'est que c'est pas si haut !

Je l'entends, lui, qui s'approche.
Dans un dernier élan, je me rue dans le salle de bain et me cale de l'autre côté, caché de l'entrée. C'est vraiment pas ouf, je déteste ces minuscules appartements, mais j'ai rien de mieux.
À tâtons, en essayant de respirer le moins fort possible, mes doigts attrapent le 9mm à ma ceinture, que Curtis a exagé que je garde toujours sur moi. C'est pas grand chose, mais j'crois que c'est mon seul espoir à cet instant.
J'enroule mes mains autour d'elle garde le canon partiellement tendu vers l'entrée.

Spoiler:

J'ai un sursaut presque incontrôlable quand j'entends la porte claquer. Ma main se plaque contre ma bouche pour m'empêcher de lâcher un cri, l'autre fait misérablement trembler l'arme. J'ai l'impression que mes jambes vont lâcher en prime. J'suis complètement pris au piège. Qu'est-ce que je vais dire à Curtis si je me fais buter ? Il va me défoncer !

Dans le battant de la porte, je n'arrive pas à le voir, mais je l'entends. Bien sûr, il ne fait aucun effort pour se faire discret, ce n'est pas son but. J'entends ses pas, je l'entends respirer. Il a clairement pas l'air jouasse, le type. J'ai fais quoi de mal, moi, à par juste être dans son champs de vision ? C'est sur sa famille morte que je me suis étalé pour qu'il soit si énervé ?

Je me rends compte que je retiens mon souffle depuis qu'il est entré. Lentement, j'expire par le nez, le temps de me reprendre. Le temps qu'un nouveau bruit sourd me fasse sursauter. Et alors, c'est mon instinct qui me fait agir sans réfléchir.

Mon dos se décolle du mur, je sors de ma cachette et me rue sur la porte d'entrée sans regarder derrière moi. J'passe devant la chambre où il est sans ralentir, lui passant sous le nez, et m'agrippe à la poignet de la porte d'entrée pour l'ouvrir d'un seul coup. J'm'engouffre dans le couloir sans demander mes restes et cours comme un dératé, soulagé qu'il ne m'ait pas chopé, persuadé que j'vais retrouver ma liberté … avant de me retrouver face à l'entrée du bâtiment. Bloquée.

- Mierda …

J'tire dessus, je pousse, j'utilise mes épaules, mais rien à faire, le type a été assez malin et prévisible pour nous enfermer tous les deux à l'intérieur.

- J'veux … j'veux pas de problème ! Que j'lance à l'aveuglette.

J'sens venir la course sans fin. J'pourrais repartir à droite, et refaire le même coup mais je suis vraiment pas sûr que ça remarche à chaque fois.
Alors à la place, j'me retourne, dos plaqué contre la porte, et j'braque mon arme sur lui dès qu'il se montre face à moi.

- Arrêtez-vous !

J'ai les cheveux dans les yeux et j'suis sûr que j'suis pas le plus intimidant du quartier. Comme un animal pris en chasse, la respiration saccadée, les yeux fuyants, les doigts tremblants.

- Arrê... arrêtez .. J'veux pas de problème, mais j'hésiterai pas à tirer.

Spoiler: