Pas convaincu le gamin on dirait, sur le fait qu’il ait toute sa place pour piller les réserves de bouffe et squatter le mobilier. Cez a un bout de moue contrite qui s’anime mais la perd vite, au profit de juste froncer les sourcils. Il tient pas tellement à se faire buter.  Au moins la déclaration suivante a du vrai, contrairement à l’assurance qui demande à être vérifiée. « Ça en même temps… » C’est juste du bon sens. S’il tente un truc, évidemment qu’il se fera buter, il en espérait pas moins.

Son regard passe sur la gerbille, il gère qu’il dit, mais l’italien qui a jamais foutu un pied en Italie doute sérieusement que ce soit aussi simple. Au moins le gosse est prêt à se mouiller un peu pour lui. Connerie ou coup de cœur improbable pour lui, c’est dur de trancher. Il lui rend son joint et lui file les assiettes avec. C’est quand même pas mal de rester le cul vissé au fauteuil pour se faire servir, dur de nier. La politesse l’étouffe pas, un peu affamé faut admettre, il tape dans le plat à peine dans ses doigts. Ça pourrait être la pire merde de la galaxie, il mangerait avec autant d’appétit. Mais le pire c’est que c’est vraiment bon, et chaud, et franchement on peut pas mieux espérer.

Il relève juste les yeux du ragout pour le regarder. « Okay. »  Il est trop occupé à graille comme un mort de faim pour déblatérer sur le sujet, mais c’est pas vraiment ce qui le dérange de partager le lit d’un autre gars. A vrai dire en l’état, il s’en bat la race, et royalement en plus de ça. Cette nuit il aura pas à lutter, ni à finir frigorifié, ni le mal de bide de pas bouffer.

Le repas passe trop vite, peut-être parce qu’il s’est jeté dessus comme un morfale, pour sûr il va se faire mal à l’estomac. Reposant l’assiette droit devant, il regarde un instant la cheminée. « Ça fait longtemps que t’es ici toi ? » Si c’est plus de trois mois, il pourra toujours lui en parler. La sécurité semble laisser un peu à désirer, en tous cas concernant les vivants, sinon il serait jamais entré, mais il a peut-être une bille à jouer. Après tout la gerbille, pour une raison qui lui échappe, à l’air de bien l’aimer. La Cage, aujourd’hui, c’est un peu l’institution qui fait rêver. Ils sont partout, tout le monde les connait, quelque part c’est presque gage d’un minima de sécurité. « Tu m'en parles deux secondes ? Genre l'ambiance, les gens... »

Y a presque un semblant de normalité ou de monde d’avant qui s’installe. Toujours des courbatures, toujours une fatigue excessive, mais à mater le feu dans le fauteuil et profiter de l’odeur de weed, Cesare retrouve un bout de sérénité. Ça va tout de suite mieux quand on a mangé. Un regard au fusil qui bouge pas, il dérive jusqu’à la gerbille. Bras croisés il l’écoute presque sagement, comme quoi tout arrive dans ce monde. Il hoche du crâne, retourne de temps en temps mater les flammes. Ah putain. Ça vient de là sa question d’outre-tombe sur la musique.

Faut qu’il prévienne aussi le gamin, quand ça sort de nulle part ça surprend. « Les gens en ont leur claque de juste la survie. » A un moment, flipper pour se maintenir en vie suffit plus, faut trouver une raison plus aiguisée de s’infliger toute cette merde depuis des années. Cesare récupère le joint. « Pour l’instant j’avise. » Avant de dire qu’il veut une place ou non. Par contre concernant ses compétences cachées, c’est le retour du haussement de sourcils. « J’étais pas vraiment dans un métier utile maintenant. Mais je sais me battre, j’suis honnêtement vraiment pas mauvais avec lui » son fusil chéri « et je fais à bouffer comme personne. » En tous cas plus grand monde en vie.

Le temps coule, discussion tranquille. Le joint finit écrasé et le crâne de Cesare définitivement apaisé. Quelques trop longues années qu’il a pas fumé, à peine picolé, ça tape tout de suite plus que sa constitution le laisse présager. Regard à la gerbille. « J’te suis. » Fusil et sac reviennent en bout de bras, il est peut-être un peu trop tranquille pour un gars en territoire presque hostile. A croire que dans la fumée s’est perdue la notion qu’on peut décider de juste le buter.

Au moins la chambre est à la hauteur de ce qu’il attendait. Un repère d’ado qui a pas grandi, clairement un peu trop fan de musique. Cez se marre dans sa barbe, laisse son bordel contre un mur. Dans le doute il suit jusqu’à la pièce d’après. « Nan ça ira te bile pas. » Parce que de là à dire qu’ils font la même carrure, même un aveugle s’y risquerait pas. Mais il fait chaud et ce sera peut-être sa seule occasion du mois, alors il tombe la veste, le t-shirt, et les chaussures avec. Un regard au gosse, putain il a pas été épargné. Il est peut-être même plus marqué que lui.

Le pantalon tombé, c’est un soupire de presque soulagement qui s’échappe. « T’sais que ça doit faire deux semaines que je l’ai pas enlevé celui-là ? » C’est à peine exagéré, dix jours faciles en tous cas. « A un moment j’ai cru qu’il allait fusionner avec mes jambes. » Il s’avance pour gratter de la place, mate la bassine comme s’il avait à moitié oublié comment on se lave. Mais gant choppé, il s’y met aussi. C’est pas dehors et à moins quinze qu’il va s’y risquer. Il tient pas spécialement à rechopper la pire saloperie qui l'avait cloué au lit et fait voir la lumière divine.

« J’étais producteur dans le ciné. » Autant dire pas vraiment grand-chose pour le préparer à comment le monde s’est soudain mis à tourner. Quoique, peut-être à gueuler, si, ça doit compter. Son regard passe sur le gosse qu’il voit déjà s’imaginer des trucs. « Je faisais surtout du porn, pour être honnête. » Obligé de rire, juste à voir sa tête.

Il s’en tire pas trop mal à nouveau le Cesare. De la bouffe, de quoi se laver, fumer, pioncer, parler avec un autre humain pas encore décomposé. Eh. Après l’hiver merdique qu’il vient de se taper, franchement, il pouvait vraiment pas beaucoup mieux demander. C’est seulement maintenant qu’il est en sécurité que la fatigue des derniers mois commence à peser. Un âne mort sur chaque épaule, peut-être un autre sur chaque cuisse aussi. Qui eut cru que c’était crevant la survie.

Un rire de plus part, il commence vraiment à lorgner sur l’idée d’aller se coucher, mais la porte s’ouvre à côté. Merde. C’est plié pour le plan discrétion ultime. Dany a pas l’air particulièrement rassuré, et l’autre poussin qui débarque est pas exactement sympathique. Cez est sur ses jambes en un quart de seconde, oubliée la fatigue, dissoute dans l’adrénaline. C’est qu’il l’attrape en plus ce petit bâtard, et ça prend vraiment tout ce qu’il reste de sang-froid à l’italien pour pas lui casser le nez dans un coup de tête réflexe. C’est quoi ces putains de manières ?

Il entend même pas vraiment les questions posées, juste le tremolo suppliant dans la voix de la gerbille. C’est bon. C’est terminé les conneries. Il choppe le bras de ce petit con de merde qui essaye de le secouer. Il se fout de sa gueule ? Cesare a des bras plus gros que ses cuisses et son torse réunis, il croit quoi ? Qu’il va lui faire peur le poussin squelettique ? Il le dégage de lui, tout à fait redressé et près à lui expliquer la situation à coups de mur dans le crâne. Et question pédagogie musclé, non seulement il s'y connait, mais il a pas peur de répéter.

« Repose un doigt sur moi et je t’éclate toi. » Même un regard en fait. Franchement un regard de travers suffira. S’il veut se battre, c’est pas Cez qui aura mal en premier, en tous cas pas assez pour le faire lâcher. C’est pas possible d’être aussi putain de mal élevé merde.