L’autre a repris son sac en prime, visiblement il compte se tailler aussitôt qu’il aura la vue sur la porte d’entrée. Cesare peut pas vraiment lui en vouloir, au moins pas pour avoir envie de se casser. Alors quand la gerbille grogne dans sa barbe son idée de se tirer, l’italien prend pas vraiment la peine de répondre. Il est un peu trop occupé à localiser le dernier cadavre en bas des escaliers. Là. Vu la forme, il doit avoir quelques morceaux brisés, ça l’arrange plutôt pour ce qui est de le terminer.

Coup de marteau, râles enterrés. Pour l’instant encore Cez tente de ne pas marcher dessus, sale expérience, des fois le pied passe à travers et honnêtement c’est pas joyeux d’avoir une jambe coincée là-dedans. Le silence a l’air d’être retombé, même dehors y a rien que perce vraiment l’obscurité. Parfait. Mais sa manche se fait chopper, vraiment un gamin celui-là. « Pas vraiment le choix. » Il va pas se taper un trek de deux heures à la nuit tombée. Il tient pas à se faire bouffer. « Plus que te balader de nuit en ville ? » Cet immeuble est peut-être pas le coin le plus sûr, il admet, mais c’est certainement mieux que ce qui peut l’attendre en planque dans l’obscurité.

La voix basse était revenue, pas très enclin à attirer plus d’entités, rôdeurs ou vivants dans le même panier, mais la question le fauche au dépourvu. « Mais t’es sérieux toi ? » Il veut pas aussi qu’il le borde, fasse une tisane tranquillité et un bisou sur le front de bonne nuit ? Pendant trois secondes il le fixe, foutu môme. « Si t’as envie de te faire une balade nocturne tu le fais. Si tu veux rester ici jusqu’au matin tu le fais. Mais il est hors de question que sorte pour me faire bouffer sous la pleine lune. » Merde. On commence par ne pas l’assassiner, et voilà que l’autre veut se faire raccompagner. Toujours dans l'excès ces cons d'ados, et on se demande pourquoi l'Acconci a jamais voulu avoir de mômes. Claquement de langue, faut pas exagérer.

Sac à dos en vue, Cesare le soulève un instant pour vérifier l’état. Les morts ont avancé droit devant, l’ont pas touché. « Surveille la rue, je vais chercher un truc pour barrer la porte. » Première porte juste à côté. La table à manger est trop grande, le meuble trop petit. Grimace vague sur soupire qui se cache pas, il s’enfonce un peu mieux pour trouver ce qui fera l’affaire pour la nuit. Un fauteuil de lecture. Ca arrêtera pas un cadavre déterminé mais si y a rien pour l’attirer… ouais, ça peut passer. Le tout c’est d’éviter qu’un se perde là par hasard complet.

Déménageur de l’extrême on devrait l’appeler. Depuis qu’il est arrivé à Seattle il fait que ça, tomber des murs, bourrer des portes, déplacer du mobilier. Un fauteuil de plus ou de moins, franchement il est plus à ça près. Des fois il regrette la rase campagne et les lignes de tir, quand il avait pas à se faire une forteresse au cinquième pour passer la nuit. Mais il a fait que trois mètres avec son barrage improvisé que la gerbille revient à la charge. Deux secondes il le fixe, carrément médusé.

Et puis le soupire, douloureux faut dire. Il aurait dû le flinguer. Il s'écroule à moitié, ce gosse va le buter. Il aurait dû lui mettre une balle quand il l’avait, et cette torture en forme de môme serait terminée. Une main sur chaque montant du siège, il sait plus s’il est crevé ou s’il a envie de l’encastrer dans la table à manger. Lui faut bien dix secondes pour même espérer penser à peut-être se redresser. Et fixer le gosse qui a pas fini de brailler, franchement plus amusé.

La Cage hein. Evidemment qu’il connait le coin, y a déjà bien trainé même s’il refuse de s’établir dans le quartier. Ce petit con en fait partie ? Ça a l’air d’être ce qu’il dit. Le silence revient, d’un Cesare qui pondère en le fixant, d’un côté ça le démange vraiment de le faire fusionner avec le parquet, de l’autre, s’il rend service à la Cage en ramenant leur petit caneton paumé… Ils ont des moyens non ? Vu leur business et le monde qui y passe, ils devraient sérieusement. Le fait est que le merdeux peut aussi lui raconter des conneries, mais c'est pas sur ça qu'il pari.

« Okay. » Ca y est, Cesare est fixé. Il se redresse, abandonne son fauteuil au milieu de la pièce. « Je remonte chercher mon fusil et on bouge. » Plus parce qu’on lui a promis de la bouffe que par solidarité, mais les bonnes actions ont pas besoin de s’étouffer de bonnes intentions. « Surveille la rue. » L’index menaçant reste pointé sur lui trois secondes, le temps de remonter, redescendre, récupérer son sac à dos sur les épaules et son arme en bout de bras, il est déjà prêt.

Reste à reprendre les rues, à peine éclairées, on voit tout juste où on fout les pieds et son début de tapis de cadavres ressemble sérieusement à un champ de mines. « T’as vraiment intérêt à ce que ça soit pas loin. » S’ils en ont pour plus d’une heure de trajet, vraiment, il va le buter.

Fusil sur l’épaule, marteau toujours à portée, les rues sont étrangement calmes cette nuit. Un peu plus et Cesare aurait un mauvais pressentiment sur la seule brise qui vient oser bouger quelques papiers moisis qui ont l'audace de voler. La lune suffit, la lampe de poche reste bien sagement dans son sac, il ne compte pas attirer l’attention sur leur petite expédition. Le silence est de plomb, parce qu’il est terriblement alerte sur leurs environs. Il déteste se déplacer en pleine nuit, on ne sait jamais ce qui va sortir des ombres et sur quoi on va finir par trébucher. L’ours préfère se terrer dès le jour tombé, bien barricadé derrière quatre portes fermées et un piège à l’entrée.

« Hein ? » La gerbille vient de poser une question qui n’a encore aucun sens. « Non. » Est-ce qu’il a une tronche de pianiste ? De violoniste ? Peut-être qu’il le prend pour un chanteur d’opéra, quoiqu’Acconci, ça aurait pas été un nom à dénoter sur l’affiche.

Mais au moins ils arrivent. L’entrée est surveillée, mais le regard des deux types ne l’arrête pas. Il n’a rien à se reprocher en venant ici, si ? Est-ce que le gosse ramène souvent de la compagnie ? Qui sait. Cez ne se risquera pas à tenter de savoir ce qui se passe dans le crâne de celui-là, ça a l’air bordélique à souhait. Alors il se contente de suivre, passer dans trois pièces qu’il ne connait pas. Le bâtiment a l’air gigantesque, aucune idée de combien de gens peuvent crécher là. Il se doutait que la Cage et tout ce qui suit n’était pas dirigé par trois pauvres cons associés, mais ça a l’air bien plus grand. La cheminée trône au milieu de la salle vide et il a comme un soudain soulagement. Il fait chaud, presque propre, et l’endroit est sécurité. « J’admet. » Le môme a pas menti, c'est bien mieux que son plan initial pour la nuit.

Il y a du monde de l’autre côté du mur, et Cesare regarde un peu tout autour de lui. Il retombe vite sur la gerbille. Instant de silence, sérieusement il a osé. « Pff. Sale gosse va. » Et s’il lève la main sur lui, c’est juste pour foutre le bordel sur la tignasse qui traine à son crâne. Qu’on ose pas lui dire qu’il le décoiffe, Daniel a jamais connu le principe d’un peigne. Quelques pas de plus dans la salle, il jette son dévolu sur un fauteuil à côté. Son sac tombe au pied en premier, suivi du fusil beaucoup plus délicatement déposé. Son derch en dernier, sur l’assise, suivi d’un soupire massif.

Pour cette nuit au moins, il va pouvoir se reposer. Pas de réveil au milieu de la nuit à cause d’un coup de feu à côté, pas à se faire peur d’un sale coup d’hypothermie. « Mais j’avoue que ça valait le coup. C’est pas dégueu ici. » Longtemps qu’il a pas vu une cheminée crépiter, une vraie, pas juste un feu de la galère dans un coin de la pièce pour survivre. « Y aurait pas une clope qui traine par hasard ? » Quitte à squatter et profiter, Cesare fait jamais les choses à moitié.

Mains levées, Cez se défend bien de vouloir bouger. Fauteuil, cheminée, zone protégée, clairement il en a pas envie, resterait bien trois semaines le temps de se retaper au son du feu qui crépite devant lui. Enfoncé dans le dossier, pendant deux secondes il se dit qu’il pourrait juste s’endormir comme ça. Mais d’autres voix passent derrière une porte à côté. Y a du monde qui habite ici, et un froncement de sourcils accompagne le semblant de moment de solitude qu’il arrive à gratter.

Entre la Cage, le bar, et la taille du bâtiment, ces types-là sont un minimum organisés. Pas le genre de structure qui ouvre grand les portes à n’importe quel con qu’ils ont croisé y a quoi, une heure, deux de ça ? Admettons qu’il crèche, bouffe à l’œil, il va repartir le lendemain sans aucune forme de paiement ? Ils font hôtel de voyageurs maintenant ? Y a comme un doute qui le prend. Un genre de mauvais pressentiment de s’être encore foutu dans la merde par l’appel du ventre.

Mais c’est le môme qui rouvre la porte, et les bras chargés. Cesare bouge pas d’un iota le temps de regarder tout ça. Bon au moins lui, ses intentions sont pas tellement discutables, il veut vraiment lui filer à bouffer dans l’histoire. Peut-être qu’il est juste un peu con, tous les groupes ont un chiot attardé il parait. Un sourire passe en reconnaissant l’odeur qui sort de cette clope, tend juste le bras vers la bière qu’on lui a ramené. « J’admets, le service est pas mal. » Faut vraiment qu’il retrouve un groupe, c’est plus possible de vivre en solitaire comme ça. Capsule qui saute au coup de briquet, il avale une gorgée avant d’attraper le joint qu’on lui tend bien obligeamment.

« Je t’en dois une, mais avant » Parce que c’est mignon là, il fume, il boit, il se détend. « c’est normal que je sois là ? J’veux dire les gens sont au courant et okay avec ça ? » Il le regarde, souffle la fumée lentement. Pas qu’il va se tirer en sprint avant d’avoir fini sa bière ou de manger, mais il aimerait au moins savoir sur quel pied danser. Il lui rend le joint après trois taffes tirées.