"Elena ?" Si elle est toujours aussi belle ? J'tourne un bref coup d'œil vers Keira comme pour chercher l'autorisation de parler à ce sujet. "Bah, ouais…" Je hausse les épaules. Canon et classe à la fois, clair que la grecque doit faire des envieuses, même après plusieurs années de survie.

Quand Roza m'explique les raisons de la mort de Joann, je tique une seconde. "C'est ce qu'on a vu passer dans le ciel y'a quelques semaines ? C'est aussi récent que ça ?" Ça me déçoit presque qu'elle ait été une victime parmi d'autres - car je doute qu'on envoie toute une frappe aérienne pour une pauvre meuf. "T'étais là bas quand c'est arrivé ?" J'ai plein de questions à lui poser à ce sujet, du coup. De qui ça venait, qui était ciblé et pourquoi…

Quant à Zack, "Nan, j'ai jamais collaboré avec lui. Je l'ai même pas croisé, et je l'ai jamais recherché. Cela dit, j'aurais p'têtre tenté si j'avais su ce qu'il t'avait fait." Mais ce que j’en aurais fait aurait provoqué de sacrés conflits avec le reste de la faction. “Si j’comprends bien le timing, tu l’as tué juste avant que j’prenne sa place dans ce groupe.” C’est ironique, non ? ‘Fin pour lui… Le sale petit con qu’il a agressé avec sa pote il y a quatre ans qui se lie avec ses alliés et vit des ressources qui lui auraient été allouées...

La russe continue de défendre les Remnants, elle semble y être vraiment attachée. Ca m’écœure, honnêtement, mais mon regard s’adoucit quand elle évoque un nom familier. "Aodhan, sérieux ?" Je cille deux secondes, tente vaguement de refaire les connexions pour comprendre comment il a atterri là-bas lui aussi. "C'était un ami." Que j'ajoute à l'intention de Keira. La coïncidence est étrange. "T'sais, j'ai un losange tatoué, là." Sur mon bras gauche. "Roza a un pique, Aodhan un trèfle et... Calypso avait un coeur." Un instant de flottement soudainement plus triste, sans appel sur le sort de la jeune femme. "Il était prisonnier lui aussi ?" Même si ça n'était le cas qu'au début pour Roza… ça rendrait ce copinage bien plus acceptable, je crois.

"Hm. Y'a des gens bien partout, même à New Eden il paraît. Ça pardonne pas ce qui a été fait. Emerald Freedom, le ranch d’Issaquah, plein de petits groupes du coin qu'en ont bavé et ma mère, merde, Roza !” Je m’énerve que l’évidence ne la frappe pas. “Qu’ils servent de première ligne de défense contre New Eden, tant mieux. Mais j’trouve ça d’une hypocrisie dingue que tous les connards de Seattle passent pour des gens bien parce qu’on doit s’allier contre un ennemi qu’on a en commun." Elle me convaincra jamais qu’il y a du bon chez eux. En espérant qu’elle lâche l’affaire. J’lui pardonnerai de s’être adaptée pour survivre, mais avec le cadavre tout frais qui gise à ses pieds, c'est tristement évident qu’elle a changé.

Je soupire et essaie de chasser ce sujet, même si la tension demeure dans ma voix. “T’es chez qui maintenant alors ? Les Exiles ou les Expendables ?” J’les connais mal, les deux. J’croise les bras, le valide soutenant le plâtré. “Que j’sache où te trouver. J’sais que ça sera pas comme avant, mais on pourra encore passer du temps ensemble, nan ?”

Secouant la tête dans le sens de la négation, elle ne laisse pas son ancien meilleur ami dans le doute bien longtemps : “Non, c’était il y a quelques années, p’tet deux voir trois, j’sais plus.” Avec toutes ses aventures, les dates ne sont plus qu’une tâche trop floue pour être correctement assimilé. “C’était le premier contact de New Eden et des Remnants… Ils sont venus en hélico et ont commencé à tout mitrailler.” L’histoire était bien évidemment plus complexe mais pour ce face à face, la slave préfère ne pas assommer ces interlocuteurs avec un tas d'informations trop vite.  “J’étais pas là pour le dernier raid, j’ai vu les avions passer au dessus de Seattle, mais c’est tout.” Une possible chance.

Concernant Zack, le mexicain trouve les bons mots, exactement ce qu’elle rêvait d’entendre, mieux encore, ce qu’elle avait besoin d’entendre. Rassurée, elle hoche alors doucement de la tête avant d’ajouter à mi-voix : “Timing parfait alors, pas plus mal.” Et avec leur passif respectif avec cet enfoiré, elle n’a que peu de doutes à l’idée que Zack aurait pu tenter quelque chose sur Eli par simple vengeance.

Malgré la joie sincère de ces retrouvailles, l’évocation de leur passé commun et de leurs tatouages respectifs a désormais en l’absence de Calypso cette touche de nostalgie… crève-cœur, littéralement et figurativement. Quant au sujet Aodhan, elle n’a pas de belle histoire à lui conter, surtout avec son changement de direction, son virage tordu et malsain qui l'a poussé à rejoindre Zack et les American Dream. Elle n’a rien pour le leurrer à ce sujet, absolument rien, alors, elle se contente d’un simple “Non, il n’était pas prisonnier.” qui elle l’espère suffit à clore la parenthèse sur le professeur et son récent passé douteux.

Quand le sujet des Remnants retombe sur le tapis, elle se sent bien soudainement stupide, les réprimandes soufflées sont à hauteur de celles qu’on lanceraient à un adolescent perdu dans son imbécilité aveugle. “Comme je viens de te l’expliquer… Beaucoup de choses ont bougé chez eux et bien avant l’arrivée de New Eden. Après, je ne vais pas t’faire l’affront de te demander de tourner la page, t’restes dessus s’tu veux.” Et tant pis si elle ne se tourne pas, finalement, au moins les choses sont dites et répété une dernière fois, il n’y en aura pas d’autre.

La dernière question pourtant simple force son regard vairon à s'attacher à son visage, à s'y glisser avec précaution et tout en silence. Étaient-ils encore capable de retrouver cette complicité passée ? Jusqu’à présent, elle n’y a jamais vraiment cru, ils sont trop changés, trop cassés et désormais trop différents. “Bien sûr.” Qui ne tente rien, n’a rien, non ? “Tu me trouveras du côté des Exilés.” Connor, au même titre qu’Eli n’adhère aucunement à l’idée de coopérer avec les Remnants, aussi, désormais fatalement étiquetée comme étant encore de ce camp, elle n’a pas sa place chez les Expendables. “Et.. si jamais un jour tu as b'soin d'aide pour quoique ce soit... tu hésites pas hein ?” Lâche t-elle le ton pleinement sincère alors que Vodka revient dans ses pattes pour quémander sa dose de caresses à coup de museau dans la main qui pend à son flanc, façon petit chat.

“Oh, okay.” Ça rendrait presque les New Eden sympathiques d’apprendre que je leur dois la mort de cette connasse. Mais que ça se soit passé il y a quelques années déjà, ça me fout un pincement au coeur. J’me sens un peu coupable de pas l’avoir su. De pas avoir cherché à savoir.

J’acquiesce simplement le reste, me retiens de rouler des yeux quand elle m’affirme qu’Aodhan n’a pas été leur prisonnier. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils peuvent bien trouver là-bas ? Ca m’bute, putain, qu’ils aient grossi les rangs de ces dérangés. Sentiment de trahison amer, j'regrette presque ce foutu tatouage.

“Ouais.” Je cille une seconde, bras croisés. Conscient d’avoir juste l’air d’un mec borné, mais peu importe : sûr que je resterai campé sur ma position. Il faudrait un putain de miracle pour que je change d’avis sur ce groupe. Qu’elle laisse tomber. T’façons c’est du passé.

D’ailleurs, j’me radoucis quand on aborde notre avenir. Je capte ce léger flottement qui précède sa réponse. Mais j’m’en formalise pas. Moi aussi, j’ai des doutes. Mais j’laisserai pas passer ma chance de la retrouver, j’en ai marre de perdre des proches.

“Cool.” J’esquisse un sourire. J’connais mal ce groupe, à vrai dire. J’sais juste que nos factions sont alliées, c’est un bon début pour me rassurer. “Ouais, ou si toi, t’as besoin d’aide… T’sais, je dois mieux connaître Seattle que toi, maintenant.” Quelle ne croit pas que je ne suis serais d’aucun secours. Certes, j’vends pas du rêve avec mon bras pété et après m’être fait traîner jusque là par son foutu mercenaire, mais j’suis utile - et loyal.

J’glisse les yeux sur Keira, lui adresse un petit rictus désolé. La pauvre s’est faite embarquer dans ce calvaire pour des retrouvailles avec une nana qui pour elle est une parfaite étrangère. “Faut qu’on aille récupérer notre piège à ours… S’il est encore là-bas.” Petit soupir, je reporte mon attention sur la russe et le molosse qui vient lui coller les jambes. “Tes copains nous l’ont fait paumer dans les rues. Si on l’retrouve pas, j’compte sur toi pour nous en racheter un.” C’est articulé sur le ton de la plaisanterie, mais… en vrai, quand même, ça nous arrangerait.

Un sourire, un regard plein d’une affection qui n’a pas vieilli. Je hoche la tête et souffle avant de tourner les talons, “Fais attention à toi.”