Il a un froncement de sourcils imperceptible à la remarque de la rousse. Et il lui darde un regard, comme si c’était suffisant pour avoir toutes les réponses aux questions qui se bousculent dans son esprit. « Vous le pensez vraiment ? » Qu’il s’amuse. Qu’il n’a pas à porter le même poids qui est sur leurs épaules d’adultes depuis des mois déjà. Ce serait… un soulagement. Ou quelque chose du genre. Qu’il ne paie pas pour tout ça.

Et, s’il a un sourire au reste, il a surtout un soupir. « C’est un fait oui. » Le reste lui arrache même une grimace. Il n’a jamais vraiment réussi à s’amuser sans avoir à réfléchir à quoi que ce soit. Et c’est encore pire aujourd’hui. « J’ai l’impression qu’on ne voit que ça à vous entendre. » Soufflé avec une pointe d’amertume qu’il n’essaie même pas de cacher. « Je vous assure, il m’arrive de sourire de temps en temps. » Enfin ça, elle a bien pu le voir au cours des heures qu’ils viennent de passer.

Pour autant, il ne s’attendait pas vraiment au reste. Et elle arrive même à lui arracher un sourire. « Tao serait ravi de vous avoir en baby-sitter soit dit en passant. » Surtout en comparaison de l’actuelle qui se contente de faire les gros yeux dès qu’il fait quelque chose qui sort du programme établi. Il a une hésitation avant de reprendre, lui lançant une œillade en coin. « J’aimerais beaucoup vous revoir. Juste vous et moi donc. » Il n’a pas la moindre idée du pourquoi. Juste que c’est une envie qu’il n’a pas envie de réfréner pour le moment. « A voir quelle activité vous plairait le plus donc. » Et il ajoute, un peu plus léger. « Ou on peut jouer ça au shifumi. Mais l’invitation pour l’escalade compte toujours en tout cas. » C’est probablement une mauvaise idée, mais difficile d’ignorer l’effet que croiser son regard peut avoir sur lui.

Un peu sans doute, ce n'est pas non plus évident mais elle l'imagine étrangement mal se payer une bonne tranche de rire tous les jours. Peut-être qu'elle se trompe. Un homme d'affaire, qui doit jouer des coudes pour faire exister sa société, se promène en Lexus... Non, décidément, il y a des clichés qui se vérifient. S'il a la santé et les moyens, elle n'est pas persuadée qu'il ait le bonheur pour lui. Ni qu'il sache concrètement ce que c'est.

Yuan essaie cependant, sa proposition de baby-sitting lui arrache un rire. Oui, certes, elle est l'amie de tous les enfants, notamment parce qu'elle est trop cool. Mais encore ? Et si on commençait par un café ? Propose-t-elle simplement en fronçant les sourcils, posant un regard curieux sur lui. C'est un bon début, non ? Ils ne sont pas obligés de forcément faire quelque chose. Même si dans sa tête, Max entend un bon starbucks, une promenade dans un parc sympa et puis... Voilà. Le reste ? Aucune idée.

Tu peux me laisser ici, annonce-t-elle en scrutant le quartier. Lorsqu'il le fait, elle saisit la poignée de la portière : Tu m'envoies un message quand tu t'es décidé sur la date, glisse-t-elle en saisissant ses affaires : Avec l'adresse et l'heure évidemment, ajoute-t-elle : Je suis une personne très occupée, alors ne me fais pas perdre mon temps ! Et puis elle referme, fait mine de se détourner quand elle entend le véhicule repartir une fois qu'elle s'est engagée dans un escalier. Le temps pour elle de ressortir. En fait, elle n'est pas du tout à côté de chez elle... Mais elle ne peut décemment pas lui montrer où elle vit.

Il a hésité. Pendant plusieurs jours. Arguant une montagne de travail pour laisser le numéro de Max au fond de sa poche, une semaine entière est passée. Puis une autre. Jusqu’à ce qu’il se retrouve, alors que la soirée est déjà bien entamée, à fixer la serviette, alors qu’il est installé devant son bureau. Il a du mal à se rappeler quel jour il est, tellement la semaine a été épuisante. Et il a un profond soupir, incapable de se décider. Et, surtout, incapable de savoir ce dont il a envie. Enfin, une part de lui le sait pertinemment. Mais Max n’est pas son genre, il l’a vu tout de suite. Pour autant, il a du mal à ne pas penser à son sourire, à son regard pétillant dès qu’il a une seconde à lui.

Et ça l’agace passablement.

Les minutes s’égrènent, alors qu’il finit par attraper son téléphone. Demain, c’est samedi. Zi est partie il y a quelques heures avec Tao en weekend. Ils ont fini par se dire qu’un weekend chacun en tête à tête avec leur fils ferait du bien au garçon. Surtout au vu de leur vie bien trop chargée. Alors, il est tout seul. Et c’est peut-être ce qui l’incite à pianoter ces quelques mots. « Il parait qu’ils font un super brunch à la Space Needle. Demain à 10h00 ? Ca me ferait plaisir de vous voir. Yuan. » Il est bien conscient qu’il y a de fortes chances qu’elle l’envoie bouler, surtout la veille pour le lendemain. Ou qu’elle ne prenne même pas la peine de répondre. Dans le doute, il ira quand même.

Elle ne répond pas d’ailleurs. Mais à 10h00, il est installé, son regard se perdant sur la vue panoramique qu’offre l’endroit et sans porter, une fois n’est pas coutume, de costume-cravate.

Il est sérieux ? Le message arrive tard, elle en a presque oublié de l'attendre. Ses yeux avisent son téléphone et elle a un temps de flottement en essayant de se remémorer tout. L'espace d'une seconde, elle a même un doute sur le fait d'être le bon destinataire. Une erreur est possible ? Et après deux semaines sans nouvelle, elle peut entendre qu'elle n'est pas vraiment tant appréciée que ça. Alors elle hésite. La tête posée sur son coussin, elle scrute à nouveau le message... et se décide finalement.

Elle n'est pas vraiment en adéquation avec le standing de cet endroit. Et ça se sent. Sa veste en cuir usée a son vécu, son jean également, elle jure avec le décor et a tout l'air de ne pas être sa place. De surcroît, elle a vingt minutes de retard. A l'accueil, impossible de se souvenir de son nom de famille en plus de ça. Elle ne tient sa chance qu'en l'apercevant proche d'une des baies vitrées. Le serveur la laisse enfin passer.

Tes autres maîtresses n'étaient pas disponibles ? Tu t'es rabattu sur moi par dépit ? Elle en est encore à se demander ce qu'elle fait là. Honnêtement. C'est peut-être ce qu'elle veut comme réponse, maintenant qu'elle le fixe. Une moue marquée, elle s'installe en face de lui et pose son sac au sol : Je te préviens, je commande tout en double ! Plaisante la rouquine... à moitié cependant. Tout dépend si c'est elle qui paie. Et si c'est le cas, elle ne peut pas se permettre d'y laisser un rein pour ses beaux yeux.

Pendant un instant, alors que les minutes s’égrènent, il en vient à se demander si elle viendra vraiment. Une part de lui se dit que ce serait plus raisonnable. Il ne fait jamais ça d’habitude, inviter une femme qu’il connait à peine à un déjeuner comme ça. Il ne fait jamais de karting avec quelqu’un d’autre que son fils non plus d’habitude. Tout ce qu’il fait, en général, c’est dans un but bien précis. Celui de mettre la femme qu’il convoite dans son lit. Mais là, c’est différent. Il a juste envie de la voir. Et ça l’agace un peu.

Pour autant, il ne sait même pas s’il est heureux de la voir arriver. Il se dit juste vaguement que ce jeans lui va beaucoup trop bien avant de se focaliser sur le reste. Et il se fend d’un rire à la remarque acerbe de la rouquine qui semble donner le ton de la conversation. « Je n’invite jamais mes maitresses à bruncher. Elles auraient l’impression que j’ai envie de passer du temps avec pour… discuter. Imaginez ce qu’elles pourraient vouloir après ça. » Libre à elle de décider s’il se moque d’elle ou non. Et, quand elle continue, il hausse une épaule. « Si vous faites ça, je vous mets au défi de tout manger. Et si vous perdez, vous aurez un gage. »

Il la suit des yeux alors qu’elle s’installe. Et continue, d’un ton tranquille. « On m’a proposé d’aller sur un circuit cet après-midi. Je me suis dit que ça pourrait vous amuser. » Au moins, il ne tente pas de lui faire passer un pseudo baby-sitting ou le fait que Tao ait envie de la voir. Se comporter comme un adulte n’est pas si terrible.

Elle fronce les sourcils à sa répartie avant d'afficher une moue qui trahissait une déception largement exagérée : Quoi ? Mais ça veut dire que je ne vais même pas être ta maitresse ? Souffle-t-elle en s'installant, le petit air qui ne change pas jusqu'à ce qu'un sourire perce à nouveau sur ses lèvres. A sa remarque, un rire lui échappe : Et si je gagne, c'est toi qui as un gage, annonce-t-elle.

Là-dessus, elle ne prend pas beaucoup de risques. Yuan ne doit pas savoir à quel point elle est un gouffre à bouffe, justement. Elle pourrait manger n'importe quoi, sans difficultés. Encore plus sur cette période du mois d'ailleurs ! Tu vas tellement être déçu quand tu devras me conduire absolument où je veux en me servant de chauffeur, poursuit-elle, l'air de ne pas y toucher. Et ça sera évidemment avec l'exigence de la tenue et du petit chapeau, ajoute-t-elle en regardant un instant le menu.

La voilà qui relève les yeux par-dessus ce dernier quand il reprend la parole avec l'air de ne pas y toucher : Un circuit ? Avec moi ? A-t-il l'impression qu'elle est une pilote confirmée ? J'ai oublié ma tenue de poulette de luxe, c'est grave ? Questionne-t-elle alors en fronçant les sourcils. Un serveur vient les rejoindre. Tu prends quoi ? Lui demande-t-elle, en repliant le menu sans même le lire : Exactement la même chose que lui, mais en double, et un café, ajoute-t-elle.

Il se fend d’un sourire en coin et pousse même jusqu’à lui décocher un clin d’œil, avant de répondre, d’une voix tranquille. « Je m’en voudrais de vous priver du meilleur brunch de la ville. Même si la question de savoir si vous y gagneriez au change pourrait se poser. » Il fait mine de réfléchir avant de continuer, son ton se faisant nettement plus amusé. « Ça mériterait presque une étude comparative. » Est-ce qu’elle lui plait ? Evidemment que oui. Si elle n’est pas son genre, ce sourire mutin et son regard expressif ne manque pas de faire son petit effet. Pour autant, le petit jeu qui semble s’instaurer entre eux lui plait encore plus.

Et il arque un sourcil quand elle reprend. « Vous conduire absolument n’importe où ? Et combien de temps ? » Histoire qu’elle n’essaie pas de l’arnaquer si elle gagne. « Il faudra me fournir le chapeau alors. » Du reste, il a un bref hochement de tête, laissant filer un rire à sa remarque. « Généralement, mes poulettes de luxe sont en sous-vêtements, pas d’inquiétudes à avoir là-dessus. » Soufflé avec une œillade pétillante avant de reprendre, comme si de rien était. « Vous aviez l’air d’aimer conduire et la vitesse. Alors… pourquoi pas ? Ils me prêtent une voiture et on peut faire quelques tours. Ca vous branche alors ? Promis, vous pourrez garder vos vêtements pendant que vous conduisez. »

Quand le serveur revient, il secoue la tête, sans cacher son amusement. « Trois formules complètes donc. Et un grand café pour moi. » Oui, il est curieux de voir la tête qu’elle fera quand tout sera amené sur table. Et de voir si elle sera vraiment capable de tout engloutir.