C’est le silence qui lui répond, vite interrompu par des cris. Des cris à glacer le sang. Des cris qui hurlent la souffrance et le désespoir. Au milieu de l’horreur que lui inspirent ces lamentations, il y a pourtant une lueur de soulagement. Ce sont les échos d’une voix masculine qui résonnent dans le bâtiment. Corray, probablement. Un éperon de culpabilité la transperce. Elle connaît mal le tatoué, et quand bien même elle souffre avec lui, elle ne peut empêcher une pensée de tourner dans son esprit. Ce n’est pas Selene.

Cependant, cela démontre au moins – s’il subsistait un doute – que leurs hôtes n’ont pas l’intention de leur servir le thé et les petits gâteaux. Et s’ils n’hésitent pas à torturer Corray, ils n’hésiteront pas à les torturer, elles. A cette idée, Juliet déglutit péniblement. Elle a déjà subi la colère brûlante, enragée, d’un groupe d’hommes qui frappaient à l’aveugle, avec pour seul but de la tuer. Ce souvenir est perdu dans une bulle sombre, floue, douloureuse. Un océan de souffrances, qu’elle a traversé sans se noyer. En revanche, elle n’est pas certaine de pouvoir résister longtemps à la torture méthodique. Aux tourments, infligés avec l’intention de détruire tout ce qu’il y a d’humain en elle.

N’y tenant plus, Juliet se précipite sur la porte et entreprend de s’y briser les poings à chaque coup. Elle hurle, alors que les insultes pleuvent de ses lèvres en un flot ininterrompu. C’est autant sa peur que sa colère qu’elle exorcise, toutes entières dirigées contre ses geôliers anonymes. Et quitte à souffrir, autant que cela soit mérité.

Spoiler:

Les cris se répètent, s’intensifient. Et durent… une heure peut-être plus. La souffrance de Corray ne semble pas prendre fin avant une éternité. Elle est pourtant bien obligée d’éteindre cette conscience dans sa tête, qui soufflerait presque un vent de panique dans son cœur. Raina a beau être forte, stoïque en toute circonstance, la situation pour elle reste inédite. Et aucune préparation ne pourrait la préparer à ce qui pourrait suivre. Le câble électrique caché dans sa manche restait son meilleur atout, mais qu’adviendrait-il, si l’opportunité ne se présentait pas ? Si elle était trop affaiblie pour la saisir ?

Respire. Il faut qu’elle se préserve. La méfiance la pousse à ne pas céder à la nourriture et à l’eau qui lui ont été offerte. A tort peut-être, mais si son estomac gronde et que sa bouche s’assèche un peu, devant cette eau qui trônait là, à ses pieds, elle craint le poison ou la drogue. Faire confiance n’est pas dans sa nature, et rien de tout ce qui se passait dans ce bâtiment ne l’incitait à croire à de la bienveillance de leur part. Plus aucun cri ne lui vint, Corray a dû finalement s’évanouir… ou pire. Le temps défile, sans qu’elle ne puisse en compter les minutes. Les heures défilent, et elle n’est pas capable de déterminer s’il fait jour dehors ou si la nuit a repris ses droits. Combien de temps resterait-elle là ? Combien de temps devrait-elle encore attendre, que son tour vienne ?

Spoiler:

Après des heures à hurler pour couvrir la voix de Corray, Juliet est exsangue. Ses côtes lui font souffrir le martyr, sa gorge semble tapissée de sable et son estomac gargouille bruyamment dans le silence revenu. Se laissant glisser contre la porte, elle avise la bouteille d’eau et la miche de pain, laissées intactes depuis son arrivée. Passant une main tremblante sur son visage, elle rejette un instant la tête en arrière. Elle ignore depuis combien de temps elle n’a pas mangé et bu mais cela commence à se faire sentir. L’hypoglycémie la guette dangereusement, et c’est péniblement qu’elle rejoint les victuailles laissées à sa disposition.

Elle se jette d’abord sur l’eau, en avalant plusieurs gorgées sans plus se questionner sur la possibilité d’un empoisonnement. Le risque est toujours réel, mais elle passe outre. L’eau tombe dans son estomac douloureux comme une pierre, mais lui permet au moins d’hydrater sa gorge et ses lèvres. Elle passe ensuite à la miche, qu’elle dévore entièrement en prenant à peine le temps de mâcher. Gonflée par l’eau, la mie prend bientôt toute la place et la rassasie considérablement.

Sa faim et sa soif apaisées, Juliet se traîne à nouveau contre la porte. Cette fois, elle prend appui contre le mur, fermant les yeux un instant. Se restaurer lui a fait du bien, mais son corps, épuisé et perclus de douleur, ne tiendra pas beaucoup plus longtemps sans se reposer. Dormir est exclu, elle se contente donc de cela. Un long moment passe, avant qu’un murmure ne lui parvienne. C’est d’abord un écho, léger et incompréhensible, qui semble se rapprocher. Les voix se précisent et elle croit reconnaître celle de l’homme qui les a amenés ici. L’autre lui est inconnue, mais la teneur de l’échange lui glace le sang.

- Et la négresse, on en fait quoi ?
- Je la garde au frais, pour l'offrir à Adonaï quand nous rentrerons avec nos réponses. Il a besoin d'une nouvelle bonne, celle-ci est de qualité...
- Je vois... J'ai envoyé Betsy voir l'autre, elle reviendra après... T'as prévu quo-...?

La négresse, cela ne peut être que Raina. Quant à cet Adonaï… le mot lui évoque bien une référence biblique, mais elle ne parvient pas à lui donner une signification dans cette conversation. Quoi qu’il en soit, cela n’annonce rien de bon. Se relevant péniblement, elle commence à chercher des yeux un second conduit d’aération, avec l’espoir qu’il lui permette de communiquer avec Raina. Car elle doit la prévenir, lui dire de se préparer au pire.

Spoiler:

Le temps passe, et c’est le visage d’Isaac qui s’impose à elle désormais. Elle se sent coupable, peut-être que si elle avait fait les choses différemment, elle ne serait pas ici, loin de lui. Elle avait peur qu’il ne parte à sa recherche et qu’il ne se perde, comme elle en cet instant. Mais il irait, n’est-ce pas ? Comme elle aurait remué ciel et terre pour lui. Elle espérait que les traces ne le mène nulle part, qu’il ne trouve rien, qu’il abandonne. C’était en réalité tout ce qu’elle espérait. Parce que les chances de s’en sortir vivantes lui semblaient moindre, compte tenu de la situation et de qui les avait fait prisonnier. Elle ne rentrerait probablement pas. Elle était déjà en train de se faire à cette idée. Parce que se rendre sans tout donner n’était pas dans ses gênes, et qu’elle comptait bien tout donner pour ne pas finir enfermer à jamais entre ces murs.

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Le nez en l’air, cherchant un second conduit, ses yeux finissent par repérer une tige de fer dépassant du plafond. Pas tout à fait ce qu’elle cherchait, mais clairement un outil utile dans cette situation. Attrapant la chaise, elle la place sous son objectif, et entreprend de grimper dessus. Mais ses jambes flageolent et elle est contrainte de s’y reprendre à deux fois avant de pouvoir se tenir debout. D’une main qu’elle sent engourdie, elle attrape la tige et redescend en trébuchant, s’asseyant précipitamment avant de tomber. Dans son esprit, une alarme s’allume. Peut-être que son hypoglycémie est plus avancée que ce qu’elle croyait. Ou bien… ou bien il y avait quelque chose dans la nourriture…

- Quelle conne… murmure-t-elle pour elle-même, enrageant d’avoir cédé.

Malgré ses paupières lourdes et sa vision déjà légèrement trouble, Juliet parvient à tordre le bout de métal et à l’insérer dans la petite serrure. Après plusieurs tours, quelques grognements, un déclic se fait entendre et le bracelet droit se libère. Par réflexe, elle agite un instant sa main, appréciant cette liberté illusoire.

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